Avent à Bangui - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Avent à Bangui

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Ce serait une erreur de raisonner en termes de continents. Certes les Africains se sentent fiers et honorés que le Pape se rende chez eux, au sud du Sahara, au centre de leur terre, aux confins de l’Équateur. Mais ce n’est pas seulement ainsi que le monde, y compris l’Afrique, doit considérer ce voyage pastoral. Ce mode de pensée « territorial » ou géographique date des analyses du pontificat de Jean-Paul II qui l’ont sans doute desservi. Chaque voyage était ramené à une dimension politique sous prétexte que ce pape avait gagné la guerre froide. Il y avait là indéniablement une part de vérité mais heureusement la personnalité reconnue par la sainteté dépassait de loin ces calculs à courte vue. Pour autant Jean-Paul II plaçait une énorme confiance pour l’avenir de l’Église catholique universelle dans les progrès de l’évangélisation en terre africaine. Entre 1980 et 1998, en onze voyages, il visita tous les pays africains qui étaient accessibles, soit trente-quatre sur quarante-six, plusieurs à deux reprises (Nigéria, Cameroun, Zaïre, Bénin, Côte d’Ivoire et Burkina Faso) et le Kenya trois fois. Un synode spécial sur l’Afrique en mai 1994 (contemporain du génocide au Rwanda) se conclut par la publication l’année suivante d’un document de référence pour l’Église en Afrique. Vingt ans se sont passés depuis. Jean-Paul II, fatigué mais aussi plus tourné vers le Proche-Orient à la veille du Millénaire, avait réduit ses déplacements. Son successeur Benoît XVI n’en fera que deux, visitant trois pays : le Cameroun et l’Angola en 2009, le Bénin en 2011. Puis à nouveau quatre années sans visite jusqu’à ce mois de novembre 2015.

Le pape François avait été invité par les évêques ougandais à célébrer le cinquantenaire de la canonisation des 27 martyrs de l’Ouganda intervenue en 1964 par Paul VI qui fut ensuite, en 1969, le premier souverain pontife dans l’Histoire à se rendre sur place, seul déplacement africain qu’il accomplit. L’événement fut considérable au lendemain du concile Vatican II dont il marqua l’appropriation par les Africains lesquels, à l’époque, n’y avaient pas joué un grand rôle puisqu’il n’existait encore que de rares évêques et un seul cardinal africains noirs. Le récent synode sur la famille a montré que les clergés africains y pèsent désormais de tout leur poids.

Cinquante ans plus tard, la démarche du Saint-Père ne pouvait être que différente. Les statistiques de bap­tisés et les comparaisons de pourcentages entre appartenances religieuses ont toujours leur utilité pour fixer les idées des « précepteurs » de ce monde. Mais il en va comme des taux de croissance du PIB : ce petit jeu — parfois un grand jeu — a ses limites qui deviennent de plus en plus évidentes. Par exemple, le temps est révolu des conversions collectives quand un prince ou un chef se convertissait, entraînant l’adhésion de tous ses dépendants.

À l’inverse, les so­ciétés les plus largement christianisées ont parfois été exposées aux pires conflits et massacres mutuels jusqu’au génocide. Du Cameroun au Kenya, des Congos-Rwanda-Burundi au Sud-Soudan et à la Centrafrique, ce sont des pays chrétiens souvent à 80 % qui se sont révélés éminemment vulnérables à l’intérieur et non du fait des quelque 10 % de musulmans locaux — si le fait est en train de changer, c’est souvent depuis l’extérieur de la région concernée ainsi avec Boko Haram depuis le Nigeria ou les Shebab de Somalie.

Le pape François, quelle que soit la région, privilégie les pays ou plutôt les situations les plus délaissées, au sens propre et figuré les périphéries. Ce fut net dans son voyage en Amérique latine en juillet : les trois pays les plus petits et les plus pauvres (Équateur, Bolivie, Paraguay). En ciblant la Centrafrique, 180e pays le plus pauvre du monde parmi 186, déchirée depuis plus de trois ans (son émergence a coïncidé avec sa propre élection pontificale en mars 2013) par une énième guerre civile, où les paroisses abritent de véritables camps de réfugiés, il allait à l’essentiel. Seule la situation intérieure catastrophique au Sud-Soudan dépasse cette crise en intensité. Le Pape ne manquera pas d’ailleurs d’évoquer cette dernière depuis ses trois voisinages : Kenya, Ouganda et Centrafrique. Il se porte donc dans l’œil du cyclone.
Sans être dans le secret des délibérations vaticanes, on peut percevoir que ce voyage est d’abord celui de Bangui, ensuite de l’Ouganda à cause de la Centrafrique et du Soudan, auquel il a été possible de rajouter par commodité le Kenya, non prévu au départ, en quelque sorte par scissiparité. Celle-ci s’étendra à toute la région des Grands Lacs loin d’être stabilisée (Congos/Rwanda/Burundi). Bangui se situe sur le fleuve Congo, géographiquement presque au centre de la terre d’Afrique. De pierre délaissée, la Centrafrique devient pour le Pape la pierre d’angle sur laquelle reformer tout l’édifice du ventre de l’Afrique et de l’humanité tout entière.

Le pape François, dit-on, ne connaît pas l’Afrique. Il n’y a jamais séjourné. Mais quel besoin d’être familier de l’Afrique — veut-on parler d’une soi-disante « mentalité africaine » ou « bantoue » ? — pour prier au cœur de l’un des nombreux bidonvilles de Nairobi (Kangemi) ou auprès des réfugiés de Bangui ?
Sera-t-il question des processus électoraux plutôt caducs dans ces trois pays ? En Ouganda, la campagne pour les élections du 18 février prochain est ouverte mais le président Yoweri Museveni, en place depuis 1986, se voit bien président à vie sans grand risque ; en Centrafrique, les élections ont été repoussées au 27 décembre sans que beaucoup croient en cette solution ; le Kenya qui ne votera qu’en 2017 peine à se sortir des désordres post-électoraux de décembre 2007-janvier 2008. Non, le Saint-Père ne se place pas à ce niveau. La plupart de ceux qu’il ira voir dans leurs abris de fortune ne votent jamais. Il ne regardera pas leur couleur de peau, leur accoutrement ou leur culture mais d’abord leur sourire même attristé, leur condition d’hommes simples, et surtout de pauvres, pas différents de ceux des « barrios » sud-américains ou des « slums » philippins : mondialisation de la pauvreté.
Le voyage à Bangui sera le test pour savoir si le Saint-Père peut remettre à l’endroit la géopolitique. Politiques, militaires, analystes sont dans leur rôle en mettant en avant les risques sécuritaires (plus de douze mille Casques bleus de la Minusca en Centrafrique dont deux mille français). Ils sont là aussi pour les prévenir. Le Pape et ses évêques, ses prêtres et ses fidèles laïcs engagés sont là non pas pour aller au devant du risque par simple témérité, ou un goût malsain du martyre, mais pour prêcher l’évangile de la justice et la rédemption.

On ne pouvait rêver meil­leure façon de proclamer le message du Christ en ce premier dimanche de l’Avent. Le choix même du moment de cette soirée du dimanche 29 novembre et du lieu, sur le parvis de la cathédrale de Bangui, révèle que le programme a été soigneusement pesé et calculé d’un plan spirituel. Un monde nouveau est en marche. Il vient.