Samedi dernier, fête de sainte Fleur, j’avais eu la joie de recevoir six des membres de l’équipe d’animation des Veilleurs d’Angers : me sachant ancien professeur d’art dramatique et de diction poétique, ils se sont dit que j’accepterai peut-être de leur donner quelques conseils en matière d’expression orale. Ils sont venus chez moi pour une prise de contact plus sérieuse qu’à la sortie des veillées… Natacha avait préparé pour eux un cadeau au citron, ils en furent touchés. Trois jeunes filles, trois jeunes hommes. Nous avons passé deux heures des plus agréables au soleil de l’automne, face au paysage bucolique qui s’étend devant notre maison. J’avoue que ce projet de me mettre à leur service me rend vraiment heureux : parfois, l’impression angoissante de n’être qu’un inutile.
Reste à établir le calendrier des jours de travail. Ma plus grande difficulté ? Me souvenir de leurs prénoms. Pour leurs patronymes, je verrai plus tard.
En partant, l’un d’eux, en accord avec les autres, me dit que le thème du mercredi à venir porterait sur le langage. « Accepteriez-vous de parler sur ce sujet environ 20 minutes ? » C’était gagné d’avance : l’un de mes défauts est d’aimer parler en public de ce que j’aime, sans connaître mes auditeurs. Ma langue maternelle est vraiment une patrie pour moi. Exercice analogue à celui de l’équilibriste… Les dangers sont autres, certes, et sans une intense production d’adrénaline il est probable que je m’abstiendrais… L’adrénaline, l’anti trac… Cette patrie est en danger, il convient d’être du côté de ceux qui la défende.
Donc hier soir je suis allé place du Ralliement à Angers, mon topo sous le bras : hélas, il pleuvait et je pensais qu’il ne viendrait personne… Dans les premières minutes du rendez-vous, seulement une dizaine était là, mais bien vite d’autres veilleurs étaient arrivés, malgré la petite douche qui persistait ; entre cinquante et soixante… malgré une note de mauvais esprit dans Angers MAG de ce mois qui prétendait que les Veilleurs ne pensaient plus qu’à ronfler…
J’ai donc pu, en deuxième partie de la « veillée » sur le langage, sortir mon topo et dire tout le mal que je puis penser sur ce qui s’est passé depuis la dernière guerre au sujet de la langue de France, véritable forteresse assiégée.
Voici la première partie de cette intervention qui reçut un accueil très amical, à ma grande satisfaction, car jusqu’à ce moment-là j’avais été très inquiet, pensant que certains de mes propos paraîtraient excessifs, peut-être retardataires…
« Les Veilleurs m’ont demandé de venir devant vous parler quelques instants de notre langue et des mots qui la constituent, sans oublier certains des maux qui lui sont aujourd’hui infligés et sans omettre de rappeler que les règles de notre grammaire nous permettent d’associer ces vocables en des phrases supposées délivrer une signification. On nous tarabuste souvent en nous assurant que nous ne sommes ‘’que’’ les cousins des chimpanzés, sans jamais pourtant avoir entendu ce cher cousin lointain prononcer à la Sorbonne une thèse sur les preuves de l’inexistence ou de l’existence de Dieu…
Le langage en effet nous est absolument propre, même s’il a quelques correspondances avec ce l’on nomme avec emphase le « langage des animaux » : il présente des différences telles avec lui que l’on ne peut le qualifier que de transcendant par rapport à leurs expressions. L’être humain seul se définit par l’énoncé des diverses caractéristiques de son langage : dont quelques-unes des plus importantes sont, au-delà de la basique transmission d’informations pratiques, de s’interroger, de raisonner, de spéculer, de définir le réel, de réfléchir sur tout ce qui étonne, enthousiasme, ou bien écœure, épouvante etc. … aussi d’explorer l’infini, non pas seulement l’indéfini de l’univers, mais ce qui appartient à l’éternité.
En 1985, j’ai publié un livre qui connut un certain succès puisque vendu à plus de trois mille exemplaires alors qu’édité par une maison d’édition quasi inconnue, les Cahiers Bleus. Son titre était : Langue française à l’épreuve. De quelle épreuve s’agissait-il ? De son assujettissement à la langue du dollar. C’est-à-dire à la puissance dominante d’alors comme d’aujourd’hui. Son propos n’était autre que de montrer que le français n’était pas impuissant, bien au contraire, à nommer les réalités contemporaines, à faire comprendre ce que découvre le scientifique, ce dont apparemment doute fortement le grand nombre des chercheurs, des industriels, des commerciaux qui ne voient qu’à travers le prisme de la puissance yanquie.
Il est une particularité de l’être humain que je tiens d’abord à souligner : il est libre dans ses choix. Il peut en effet assumer sa faiblesse et s’en tenir à son propre héritage, sans pour autant dédaigner de se renseigner sur ce que font les autres. Il peut aussi courber la nuque et passer sous les fourches caudines du vainqueur, ici les puissances économiques, notamment financières, dont la critique a été remarquablement faite par le cinéaste Henri Verneuil dans Mille milliards de dollars, film projeté il y a trois jours sur Arte…
Permettez-moi de vous poser quelques questions :
1/ Pensez-vous être de fins connaisseurs de la langue française ? – 2/ Même question concernant la langue anglaise ? – 3/ Face à l’anglais, vous paraît-il naturel que les autres langues parlées dans les 27 pays non anglophones de l’Europe soient peu à peu reléguées à l’état de langues locales, si ce n’est de langues en voie de disparition progressive ? – 4/ Aimez-vous votre langue maternelle ? – 5/ Pensez-vous normal que la langue française, fondatrice du Marché commun dans les années soixante, disparaisse au profit de l’anglais, pourtant absent lors de cette fondation, dans le fonctionnement des institutions de l’Europe, version 2013 ? – 6/ Est-ce que cette cinquième question vous a paru incongrue, d’actualité ou sans intérêt ? – 7/ Vous est-il jamais arrivé de ne pas comprendre certains mots d’origine anglophone utilisés par votre journal français ? – 8/ Acceptez-vous comme normal ou abusive l’irruption exponentielle de vocables anglophones au sein de votre langue nationale, pourtant inscrite dans la Constitution de la République française comme langue officielle de la France ?
Je pourrais poser d’autres questions mais déjà il me semble que les réponses que vous pourriez apporter suffiraient à nourrir une dizaine de réunions telles que celle de ce soir.
Je ne ressens aucune honte à préciser que je ne méprise évidemment pas l’anglais quoique ne le parlant pas, tout en précisant que cette méconnaissance ne me gêne en rien en ce qui concerne les différents travaux que je tente de mener à bon terme. J’ajoute enfin que je suis très souvent exaspéré par l’abondance des termes anglais utilisés tels quels dans certains médias, notamment traitant d’économie, de techniques, de sport, de médecine, de science, de relations internationales etc., comme s’il était évident que le profane, c’est-à-dire presque tout le monde, n’avait aucun droit d’accéder à la pleine connaissance des écrits figurant dans ces médias, qui n’avaient pourtant pas rechigné à toucher l’argent de leur achat. Les puissances veulent absolument faire de tous les Français des bilingues, en précisant que la seconde langue ne peut être que l’anglais.
La même exaspération me saisit lorsque j’écoute ce que disent la plupart de nos microteurs 1, si désireux de faire valoir leur soumission à l’‘’Uncle Sam’’… Je pense également à la présence exorbitante dans nos médias des chansons anglophones comme à l’absence sidérale des chansons en espagnol et en portugais, en italien et en allemand, en chinois comme en russe, en hongrois, en finnois et autres langues du nord, en polonais, en serbe, en roumain, en bulgare etc.. Existe chez ces nations une variété superbe de mélodies et de vocables que j’avoue écouter avec étonnement et joie quand cela m’est offert, mais cette richesse est totalement occultée par l’omniprésence des compositions anglophones, auxquelles participent un nombre de plus en plus grand de chanteurs prétendus français… songez à l’Eurovision et quantité d’autres phénomènes qui découlent de l’imposture politique qui a préludé à l’octroi des subsides du Plan Marshal après la 2e Guerre mondiale, subordonné à l’acceptation par le gouvernement français d’un détail alors sans importance : l’entrée dans notre pays et sans aucune restriction des produits de l’industrie culturelle états-unienne.
Vous pensez peut-être que la France d’alors bénéficia d’un droit comparable ? Que nenni, c’était parfaitement unilatéral. Et c’est pourquoi notre pays s’est mis à consommer à outrance de ces produits sortis des usines culturelles yanquies et avec une telle frénésie que nombre des enfants de France, même encore aujourd’hui, ne savent rien, entre autres, de la conquête du Québec, des explorations par des Français du Missouri et du Mississipi, des massacres de métis franco-amérindiens dans le Manitoba etc. mais ils connaissent fort bien les Amérindiens des westerns, les tuniques bleus et les défricheurs du Far West, tandis qu’ils végètent dans l’ignorance de ce que fut l’histoire de leur pays, encore récemment réduite à faire de la figuration alors que cette dernière connaissance de notre passé est capitale dans la perspective d’une prise de conscience de ce que devrait être notre avenir. Georges Bernanos avait écrit ceci : « Le grand siècle de l’histoire de France n’est pas en arrière de nous, il est devant nous ! », citation approximative mais exacte en son esprit. »
Dominique Daguet
- Petit coup de chapeau à Pierre Béarn, poète mort centenaire, inventeur du « métro-boulot-dodo » et auteur de ce néologisme.
Pour aller plus loin :
- Jean-Paul Hyvernat
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)