« Monsieur, m’écrit un lecteur, il est vrai que beaucoup de penseurs, théologiens et savants éminents considèrent comme très probable sinon certaine la pluralité des mondes habités. Mais cette hypothèse n’est nullement démontrée, sauf à tirer une conclusion hasardeuse de l’infini du cosmos. Deux arbres de sexe différent peuvent s’interféconder à 300 kilomètres de distance et plus. Combien faut-il de grains de pollen pour remplir une sphère de 300 kilomètres de diamètre ? Cela ne montre-t-il pas que la nature utilise parfois des moyens absolument hors de proportion avec le but à atteindre ? Il peut en être de même du cosmos : ces étoiles en nombre infini peuvent très bien n’être habitées que par une seule humanité. C’est pourquoi, quant à moi, je crois qu’il n’y a qu’une seule Terre, qu’un seul Christ et qu’une seule Rédemption. » (M. E. B., Le Mans.)1
Cher monsieur, je pense que vous pouvez croire cela (j’entends la solitude totale de l’humanité dans l’immensité du cosmos) en toute quiétude et sans crainte d’être démenti de longtemps.
Il y a bien les soucoupes volantes
Il y a bien les soucoupes volantes, que les militaires récusent périodiquement dans leur communiqué et que de nombreux astronomes croient au contraire véridiques. Mais, même si elles existent, ce qui semble de plus en plus probable, leur comportement à l’égard des hommes paraît concerté de façon à nous priver à jamais d’une preuve irrécusable2. Passons donc sur les soucoupes volantes, qui seules pourraient pour l’instant démontrer expérimentalement l’existence d’une vie extraterrestre intelligente, et reconnaissons que la pluralité des mondes habités n’est en effet qu’une hypothèse.
Mais « n’être qu’une hypothèse », qu’est-ce que cela veut dire ? Que ce n’est pas « prouvé » ? Sans doute. Qu’est-ce, en science, qu’une « preuve », et quand donc un fait peut-il être tenu pour « prouvé » ?
Avouons ici notre perplexité. S’il est nécessaire, pour s’assurer que la vie existe ailleurs, de mettre la main sur un extraterrestre et de le disséquer dans un laboratoire, nous sommes bien loin du compte, c’est un fait. Il faut donc raisonner autrement.
Pour avoir le droit d’affirmer que la vie intelligente existe vraisemblablement ailleurs que sur la Terre, il faudrait :
– Qu’il existe ailleurs des planètes semblables à la Terre ;
– Que la vie apparaisse aussitôt que les conditions de son apparition existent ;
– Que la vie aussitôt apparue évolue automatiquement vers le plus complexe ;
Que les vies extraterrestres supposées aient eu le temps d’évoluer au moins jusqu’à la complexité de l’homme.
Examinons ces conditions l’une après l’autre3.
1. Des planètes, on sait, comme je l’ai déjà dit, qu’il y en a autour de toutes les étoiles de type F, G, K, M. Van de Kamp, en Amérique, a montré leur existence autour de toutes les étoiles les plus proches : leur présence est observable grâce à la photométrie. Notons que les étoiles de type F, G, K et M font 98 % de l’ensemble des étoiles, qui sont entre 100 et 200 milliards dans notre galaxie. Et il y a, semble-t-il, une infinité de galaxies.
2. Parmi ces planètes, le calcul montre qu’il en existe inévitablement une catégorie qui présente les caractéristiques de la Terre : ce sont celles qui ne sont ni trop près ni trop loin de l’étoile centrale. Trop près, elles n’ont pas d’atmosphère. Trop loin, elles en ont trop. Comme l’ensemble est réparti selon la loi de Bode, il existe autour de chaque étoile une ceinture où le type terrestre est donc inévitable4.
3. Nous ne savons pas comment la vie apparaît. C’est pour l’instant un complet mystère. Les « explications » avancées jusqu’ici ne valent rien (a). Ce que nous savons, par contre, c’est que, sur la Terre, elle est apparue aussitôt. Les plus anciens vestiges fossiles ont entre 3 et 4 milliards d’années. Ces vestiges montrent une vie très élémentaire. Ils supposent cependant toute une biochimie préalable qui a dû durer plusieurs centaines de millions d’années, ce qui nous fait précisément remonter à l’origine de la Terre. Nous ne savons donc rien des mécanismes qui engendrent la vie. Mais ce que nous en voyons montre qu’ils agissent dès que les conditions de leur action existent. On peut certes supposer qu’il ne s’agit pas d’un mécanisme automatique, mais d’une action divine. Je ne sais si cette hypothèse, qui prêterait à une telle action l’espiègle dessein de nous induire en erreur en se déguisant en mécanisme, est très respectueuse. Elle revient à dire que chaque jour que j’appuie sur la gâchette, Dieu met docilement le feu à la poudre5.
4. Que la vie évolue irrésistiblement vers le plus complexe, la paléontologie le montre avec évidence (b). Si l’évolution était un fait exceptionnel, on pourrait douter que ce fût une loi. Mais c’est la non-évolution (la panchronicité, observable par exemple chez la blatte) qui est l’exception. Il y a des millions d’espèces vivantes, dont chacune témoigne de cette loi6.
5. Y a-t-il dans l’univers des lieux où la vie a eu le temps d’évoluer autant que sur la Terre ? Eh ! bien, la vérité oblige à dire que la plupart des étoiles sont plus anciennes que la Terre7 ! Si l’on s’en tient à ce qu’on sait, l’humanité terrestre serait donc plutôt un monde attardé !
La tête sur le billot
Tout cela constitue-t-il une « preuve » ? Est-ce plutôt une « hypothèse » ? Je n’en sais rien, et chacun en pensera ce qu’il voudra. Quant à moi, la tête sur le billot, je choisirais sans hésiter l’univers infiniment peuplé de créatures intelligentes que Nicolas de Cusa, cardinal de l’Église romaine, annonçait dès le XVe siècle en se fondant sur la seule idée qu’il se faisait d’un Dieu infiniment puissant et bon8.
Je ne sais si c’est vrai. C’est en tout cas infiniment probable. Et j’admire que les derniers développements de la science, loin d’éteindre les étoiles du ciel, leur confèrent le suprême achèvement de la pensée.
Aimé MICHEL
(a) Je recommande vivement au lecteur le livre récent de Georges Salet : Hasard et Certitude (Téqui-Diffusion, 82, rue Bonaparte, Paris 6e, 1972). Salet démontre l’inanité des théories actuellement en vogue. Il réfute notamment Jacques Monod.
(b) J’entends par évolution la succession chronologiquement ordonnée des espèces, et non les théories, darwiniennes ou autres, qui prétendent expliquer cette succession, et que Salet réfute également.
(*) Chronique n° 103 parue initialement dans France Catholique – N° 1338 – 4 août 1972.
Notes de Jean-Pierre ROSPARS
- Voir la chronique n° 99, Le futur antérieur (Sur la pluralité des mondes, l’Incarnation et un « homme du futur » tôt disparu) parue ici le 31.10.2011.
- Ainsi donc en 1972 Aimé Michel pensait déjà que l’étude du phénomène ovni stagnerait faute de preuves. Quarante ans après cette amère observation, rien n’est venu changer la donne. On parle plus que jamais du phénomène avec peut-être moins de raisons de le faire. Avec son installation dans le paysage, la polémique est devenue moins vive, peut-être par lassitude. Davantage d’esprits semblent disposés à l’examiner sans passion, à condition toutefois de ne pas l’associer trop ouvertement à des visites d’extraterrestres, tenues pour trop improbables.
- Pour des mises au point récentes on pourra consulter Florence Raulin Cerceau, À l’écoute des planètes, Ellipses, Paris, 2006 et Vincent Boqueho, La Vie, ailleurs ?, Dunod, Paris, 2011.
- La Loi de Bode est une relation empirique qui donne les distances des planètes au Soleil. Elle fut découverte par le physicien allemand J.D. Titius (1729-1796) en 1772 et reprise par le directeur de l’observatoire de Berlin J.E. Bode (1747-1826). Suivant cette relation la distance di de la ième planète exprimée en unités astronomiques (1 U.A. est la distance Terre-Soleil) est di = 0,4 + 0,3 × k en prenant k = 0 pour Mercure et k = 2i – 2 pour les autres planètes, en particulier pour la Terre (i = 3) on trouve d3 = 1 U.A. Cette loi est exacte sauf pour i = 5 (il n’y a pas de planète sur cette orbite, située entre Mars et Jupiter, mais une ceinture d’astéroïdes découverte en 1801 par l’Italien Giuseppe Piazzi), i = 9 (Neptune est à 30,1 U.A. au lieu de 38,8 prévue par la loi de Bode), et pour i = 10 (Pluton, mais ce corps n’est plus considéré comme une planète).
On omet souvent de mentionner que les quatre principaux satellites de Jupiter (Io, Europe, Ganymède et Callisto), découverts par Galilée en 1610, suivent aussi la loi de Bode, di = 0,3 + 0,3 × k en prenant cette fois le rayon de Jupiter comme unité de distance (voir l’article de 1858 de M. Durand). Cette application de la loi aux satellites galiléens avait frappé Aimé Michel et l’avait conduit à lui donner une valeur générale.
Aujourd’hui on peut éprouver la loi de Bode sur des systèmes extrasolaires, par exemple le système de l’étoile Gliese 581, découvert à partir de novembre 2005 par une équipe franco-suisse. Cette étoile est une naine rouge située à 20,5 années-lumière du Soleil dans la constellation de la Balance. Elle doit son nom au catalogue Gliese qui recense les étoiles les plus proches du Soleil. Six planètes ont été détectées en orbite autour de cette étoile, notée b à g, mais deux d’entre elles (f et g) sont douteuses. L’une de ces planètes (c, cinq fois plus massive que la Terre) est une exoterre possible, c’est-à-dire une planète rocheuse où l’eau peut être à l’état liquide en raison d’une distance appropriée à son étoile. Leur demi-grands axes (0,03 ; 0,04 ; 0,07 ; 0,146 ; 0,22 ; 0,758 U.A. pour respectivement e, b, c, g, d, f) suivent assez mal une loi de Bode di = -0.021 + 0.045 × k (soit -0,021 ; 0,024 ; 0,07 ; 0,16 ; 0,34 ; 0,70 U.A.).
Les idées actuelles sur la formation des planètes et leur migration orbitale (formées loin, elles pourraient ensuite se rapprocher de l’étoile) font douter de la généralité de la loi de Bode.
- La naissance de la vie demeure une énigme. Le grand tort des explications créationnistes, inspirées d’une lecture plus ou moins littérale de la Bible, est de donner de Dieu une image mesquine. À lire certains créationnistes on est même conduit à penser que Dieu trompe délibérément sa créature.
- Ce paragraphe présente l’évolution de manière trop schématique et qui peut induire en erreur. Il y a bien une évolution vers une plus grande complexité dans de nombreuses lignées mais également des exemples d’involution vers une moindre complexité : c’est le cas des parasites par exemple. (Toutefois, à côté de cette simplification de leur anatomie, les parasites présentent des cycles complexes avec passage obligé par plusieurs hôtes successifs).
- A titre indicatif, l’âge de notre galaxie, la Voie Lactée, est estimé à 10-14 Ga (milliards d’années ; voir la chronique n° 133, La création a pile ou face, parue ici le 14.03.2011), qui est donc l’âge de ses plus anciennes étoiles, soit plus du double de celui du Soleil et de la Terre (4,5 Ga). La durée de vie d’une étoile est d’autant plus courte que sa masse est plus élevée. Une étoile moyenne de la Voie Lactée a une masse d’environ un tiers de celle du Soleil et une durée de vie de 250 Ga. Des étoiles naissent et meurent en permanence dans notre galaxie : elles se forment à partir du milieu interstellaire (formé principalement d’un gaz d’hydrogène et d’hélium) et y retournent une grande partie de leur masse en fin de vie. En 1995, on estimait que 3 à 5 masses solaires (M) se condensaient en étoiles chaque année (pour une masse totale de 100 GM d’étoiles) et que 1 à 2 M d’étoiles revenaient au milieu interstellaire (dont la masse totale est estimée à 5 GM). La différence de 1 à 4 M par an est la perte nette de gaz interstellaire. A ce rythme la formation d’étoiles nouvelles pourra donc se poursuivre encore pendant plusieurs milliards d’années avant que le milieu interstellaire ne soit complètement épuisé (http://www.cartage.org.lb/en/themes/Sciences/Physics/Astrophysics/Introduction/February101995/February101995.htm).
- Nicolas Chrypffs (Krebs, ce qui signifie écrevisse, 1401-1464), dit Nicolas de Cuse ou le Cusain (Cusanus), né dans une famille pauvre du village de Cues (également Kues ou Cuss, Cuse en français, Cusa en latin), dans le diocèse de Trèves sur la Moselle, est un des esprits les plus éminents de son siècle. Grâce à la générosité d’autrui il étudie à Heidelberg, Padoue et Cologne. Il accompagne un légat du pape à la recherche de manuscrits rares puis est ordonné prêtre. Il participe au concile de Bâle (1431-1449) où il présente un plan de réforme du calendrier et prône une réforme morale de l’Église en accord avec les objectifs du concile. Au début, il soutient la prédominance des conciles œcuméniques sur les papes puis se ravise. En 1437 il fait partie de la commission envoyée à Constantinople pour unir l’Église grecque à l’Église latine, union que le concile de Florence ratifia pour un temps. En 1440 il écrit son ouvrage majeur, De la docte ignorance. Légat du pape en Allemagne, cardinal (en 1448) et évêque (en 1450), Pie II, son ami devenu pape, lui confit l’administration des États pontificaux (1458). Sa vie fut mouvementée et il eût à souffrir de la crise profonde de toutes les autorités à son époque. « Carrière exemplaire d’un homme honnête, tolérant, charitable, resté simple dans les plus hautes fonctions, et dont l’orthodoxie ne fut jamais suspectée », résume l’historien Georges Minois dans L’Église et la science. Histoire d’un malentendu. Tome 1, De saint Augustin à Galilée. Fayard, Paris, 1990, pp. 321-324 (d’où j’extrais également les citations qui suivent).
« L’œuvre de Nicolas de Cues est sans doute la synthèse la plus hardie, la plus novatrice, la plus complète et la plus moderne qui ait été élaborée au Moyen Age sur la structure du monde ». Cette œuvre spéculative, non dépourvue d’extravagances et d’erreurs, n’en conserve pas moins une valeur anticipatrice exceptionnelle : conscience de son ignorance (« Plus un homme sera savant, plus il saura qu’il est ignorant »), incapacité de l’homme à atteindre la vérité, importance des mathématiques (Dieu « a créé toutes choses avec nombre, poids et mesure ; le nombre ressortit à l’arithmétique, le poids à la géométrie, la mesure à la musique »), obligation de la mesure en science donc de la mise au point d’instruments précis (la balance notamment), immensité de l’univers (« Où que se situe l’observateur, il se croira au centre de tout »), banalité de la terre astre parmi d’autres et qui tourne lui aussi (« Son mouvement est circulaire »), relativité du mouvement, etc. Non content de rejeter la thèse de l’univers clos qui prévalait de son temps, il met en cause la suprématie de l’homme : il pense que le soleil et les étoiles sont habitables et habités, et que les habitants du soleil sont intellectuellement et spirituellement supérieurs à ceux de la terre. « Tout cela est l’œuvre d’un futur cardinal de l’Église catholique romaine, ami des papes, fortement engagé dans les réformes morales. »
L’influence de Nicolas de Cuse fut considérable. Son œuvre ne fut jamais l’objet dans l’Église de la moindre condamnation. Jusqu’en 1560 environ, l’Église non seulement n’est pas un obstacle à la science mais elle stimule les recherches et remet en question sa propre doctrine quand les faits semblent la contredire. Nicolas de Cuse et Copernic (1473-1543) bénéficièrent de ce climat favorable de la Renaissance. Par la suite les choses changèrent. Avec la Contre-Réforme vinrent les condamnations de Giordano Bruno (1600), de Copernic (1616) et de Galilée (1633). Bruno fut brûlé vif pour des idées voisines de celles du cardinal de Cuse, dont il se disait le disciple, à cette différence près toutefois que Bruno était un « électron libre » aux idées théologiques hétérodoxes…