Le sursaut contre l’extrême droite grâce à une participation accrue aboutit à une (presque) parfaite égalité entre les deux candidats. Norbert Hofer, du parti libéral (FPÖ), a recueilli 52 % des voix à l’urne contre 48 % à son adversaire vert, Alexander van der Bellen, mais le dépouillement des votes par correspondance (900 000 sur un total de cinq millions) a annulé cet écart et finalement, c’est l’écologiste qui l’a emporté (50,3 %). L’Autriche renouerait-elle avec sa dualité historique de double monarchie qui lui avait laissé le prédicat de « Cacanie » (Robert Musil) ?
Plus encore que la crise des migrants (90 000 arrivées à l’été dernier soit 1 % de la population), c’est la lassitude vis-à-vis du système politique qui a prévalu depuis 1946 qui explique le vote. Les candidats des deux partis de la coalition gouvernementale avaient en effet été éliminés dès le premier tour le 24 avril dernier. La vie quotidienne des Autrichiens a été réglée sur le mode du partage proportionnel entre sociaux-démocrates du SPÖ et chrétiens-conservateurs de l’ÖVP, respectivement le rouge et le noir, depuis les organisations syndicales et professionnelles jusqu’aux associations de loisirs, la presse, l’école, l’habitat, y compris l’emploi.
L’association des deux grands partis au gouvernement sous forme de grande coalition était devenue la règle. Les ministères étaient soumis au même mode de recrutement partisan — pour ne pas dire clientéliste — que la France avait connu sous la IVe République. Des citadelles administratives ont progressivement verrouillé toute idée de réforme. L’immobilisme autrichien s’assimilait à celui dont l’Empire avait souffert à la fin du long règne de François-Joseph.
Les deux formations gouvernementales n’avaient donné aucune consigne de vote. Leurs dirigeants avaient fait le calcul que, quel que soit le cas de figure, ils seraient capables de pérenniser le système de consensus permanent en y intégrant l’extrême droite qui de son côté y serait prête. D’ores et déjà le FPÖ, dont la couleur est le bleu, a acquis une culture des coalitions au niveau des Länder tant avec l’ÖVP qu’avec le SPÖ. Le nouveau chancelier social-démocrate, Christian Kern, qui a succédé le 17 mai au chancelier sortant de même tendance, Werner Faymann, désavoué par les résultats du premier tour des élections présidentielles, s’était déjà déclaré prêt à ouvrir les portes du gouvernement au FPÖ tout en se prononçant à titre personnel pour le candidat des verts, Alexander Van der Bellen.
Pour tout ce petit monde conservateur, de droite comme de gauche, il apparaissait en effet plus aventureux de s’allier aux verts bien plus imprévisibles et réformistes. Les verts, les premiers surpris de leurs résultats, n’ont pas eu le temps de se convertir aux responsabilités nécessaires à la constitution d’un grand front républicain. Les verts autrichiens sont paradoxalement plus proches des verts allemands qui, à l’aise avec la politique d’Angela Merkel concernant les migrants, viennent de parvenir à former une telle coalition avec les Conservateurs de la CDU (comme partenaire minoritaire) après les élections régionales en Bade-Wurtemberg, un avant-goût peut-être des reclassements politiques en vue des élections allemandes de 2017.
La condamnation des alternances ou des cohabitations entre centre-gauche et centre-droit tend à ringardiser la formule de gouvernement au centre dans d’autres pays de l’Union européenne. Le modèle autrichien demeure néanmoins spécifique, par son histoire autant que par sa taille. L’appliquer à la France en dépit de parallèles évidents serait excessif. Entre satellisation, tour à tour par l’Allemagne ou la Russie, et neutralité de type alpin, l’Autriche n’est pas confrontée à des choix de société ou de politique étrangère aussi décisifs que ceux qui attendent la France. Ni Paris ni Berlin ne souhaitent donc se focaliser trop sur l’élection autrichienne. L’Union européenne, instruite de sa sur-réaction en 2000 lors d’une première entrée de l’extrême droite au gouvernement à Vienne, ne cherche cette fois qu’à relativiser l’événemennt.