Autour du Malentendu islamo-chrétien : les terribles enjeux nouveaux - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Autour du Malentendu islamo-chrétien : les terribles enjeux nouveaux

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Ecrite pour la revue du Pisai (Islamo-christiana), France Catholique a reproduit la recension du P. Borrmans sur son web. Ses quatre pages évoquent mon livre Le malentendu islamo-chrétien et en constituent en fait une illustration. Je remercie FC de me donner l’occasion d’aller plus loin tout en répondant à une mise en cause personnelle.

Ces quatre pages objectent essentiellement que j’aurais « oublié » ou « passé sous silence » ceci ou cela ; et, en plus, que je n’ai pas tout lu ! C’est mettre en cause le chercheur et même le serviteur de l’Eglise que je suis, puisque ces oublis porteraient notamment sur des textes conciliaires. Pour rappel, l’intention du Concile fut indéniablement évangélisatrice, même si elle n’a sans doute pas toujours été adroitement exprimée, et cette intention est au cœur de « l’ouverture au monde » qui marque un tournant quant à certaines attitudes : on est passé en effet d’un dénigrement souvent facile et systématique de tout ce qui n’était pas étiqueté « chrétien » à une prise en compte des efforts et des espérances de tous les hommes, mais néanmoins pas à un émerveillement pour tout ce qui n’est pas chrétien (ou à une volonté d’harmonisation avec les « autres religions »). Jacques Dupuis, un des penseurs de la théologie des religions, si liée au massignonisme, a rappelé que pour Paul VI, le “diagnostic sur la valeur de ces religions demeurait notablement négatif. Le concile ne fit pas mieux”1. Si l’on se réfère à certains écrits « post-conciliaires », on pourrait croire le contraire. L’analyse que je donne à la fin montrera par un exemple où se trouve le problème, lié à la sollicitation de textes pas toujours limpides.

Si dans Le malentendu islamo-chrétien. Il m’a fallu parler de Massignon, dont le Père Maurice Borrmans est un disciple2, c’est parce qu’il reste le pivot d’un système de pensée qui s’est répandu dans les milieux cléricaux latins dès avant le Concile (au reste, il est mort en 1962). L’étude de cette antériorité était à privilégier dans un livre de 200 pages seulement, où chaque chapitre est en soi un petit traité autour d’une question dense. C’était de ces analyses-là, éclairantes ensuite pour tels ou tels passages de documents romains, que le peuple chrétien a besoin.

Je suis désolé de ne pouvoir partager ce que les massignoniens disent de Massignon depuis un demi-siècle. J’ai remarqué évidemment que “c’est Jésus Christ qui est pour lui l’unique compatient, sauveur et juge de l’heure ultime”. C’est effectivement ce qu’on peut en lire en substance littérale, de même que Teilhard de Chardin évoque l’accomplissement du temps du monde (la longue note 2 de la page 40 du livre lui est consacrée). Dans un cas comme dans l’autre cependant, quel théologien se contenterait de reprendre simplement des séries de mots ? Son devoir n’est-il pas de regarder ce qu’ils recouvrent, surtout quand ils sont inhérents à un système de pensée ? La question principale devient alors : comment fonctionne ce système et quel lien a-t-il avec la Révélation ?

Le lien avec la Révélation évangélique

N’importe quel lecteur est amené à s’étonner du fait que les références au Nouveau Testament soient si rares chez Massignon. Dans son livre Louis Massignon. Badaliya (2011), le P. Borrmans avance sans doute la raison majeure : “Louis Massignon s’est laissé guider par ses intuitions spirituelles et les suggestions de l’Esprit de Dieu” (p.42). La première partie de cette affirmation reflète sans doute la réalité car si, à ma connaissance, Massignon n’a jamais prétendu être un inspiré, sa conduite et sa manière de s’exprimer le laissaient penser (ce qui n’exclut pas des moments de doute et de lucidité). Quant à savoir si l’Esprit Saint l’inspirait, cela relève d’un acte de foi. Au reste, il est aussi le produit d’un contexte. Je ne pense pas ici à Nicolas de Cuse qui fut l’idéologue « humaniste » du peu glorieux Pape Pie II au 15e siècle ; la théologie des religions hérite de lui (ce qui n’est généralement pas souligné). Je ne pense pas non plus au Bienheureux Charles de Foucauld qui n’a pas eu d’influence profonde sur Massignon : ses idées « mystiques » étaient déjà formées. Je pense à ceux qui ont réellement contribué à former ses idées, et qu’avait révélés l’actuel évêque de Tournai, Mgr Guy Harpigny, en présentant, dans une thèse publiée il y a trente ans, tous les aspects de sa vie, y compris les moins reluisants.

Ces aspects trop « passés sous silence » en France – on ne pouvait les lire que dans des parutions anglophones. Aussi, malgré la publication faite par Laure Meesemaecker3 en 2001, il devenait urgent qu’un ouvrage court soit écrit pour éclairer les chrétiens de France, sans être centré pour autant sur ce personnage qui ne serait rien sans le contexte qui l’a formé puis qui a porté ses idées. Le projet du Malentendu islamo-chrétien fut donc d’exposer ce contexte, c’est-à-dire d’une part les lacunes de la théologie latine propices à l’éclosion et à la diffusion d’une pensée de type massignonienne, et d’autre part les freins mis aux développements de la recherche4 . Comment en était-on arrivé à cette situation dès avant le Concile, qui subsiste aujourd’hui encore ?

Les apports trop méconnus du P. Moussali

À cette question, le P. Antoine Moussali (1921-2003) ne pouvait pas répondre pleinement. D’origine libanaise, lazariste, il avait passé 16 ans en Algérie (et auparavant en Syrie) – il était monté régulièrement au monastère de Tibhirine pour donner des cours aux Trappistes dont on connaît la fin. Cependant, s’il n’était pas un spécialiste de la théologie latine (qu’il connaissait par sa formation sacerdotale en France entre 1938 et 1944), il l’était en revanche du Coran et de ses commentaires. En deux années de travail, nous avons pu apporter au dossier islamologique, des clefs qui manquaient à la lecture et à la compréhension du texte coranique en sa strate originelle ; depuis lors, de nombreux islamologues ont souligné à leur tour le niveau premier de cohérence eschatologique de ce texte, avant les manipulations successives qu’il a subies. Techniquement, les clefs capitales découvertes grâce au P. Moussali portaient sur l’interpolation de dix mentions sur quinze du mot « nasârâ » (incluant une mention au singulier, toutes changeant le sens du mot), puis sur les cinq occurrences du nom de Muhammad (y compris sous sa forme de Ahmad) qui sont apparues avoir été ajoutées également après coup.

Dès 1996, les premières de ces découvertes étaient abordées par le P. Moussali dans l’article Interrogations d’un ami des musulmans paru dans le livre collectif Vivre avec l’Islam ?, tandis que dominait en France un « pro-islamisme » de droite comme de gauche, notait déjà Jean-Claude Barreau5. En 1997, son livre La croix et le croissant exposait la position respective des chrétiens et des musulmans selon certains thèmes. D’autres ouvrages ont été écrits ensuite dans cette même ligne (dont celui du P. François Jourdan en 2007, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans 6.

Répondant à une lettre, Antoine Moussali écrivait : “J’ai passé ma vie au service des musulmans, et je n’ai eu qu’à m’en féliciter. Il se trouve cependant que l’amitié avec mes frères musulmans a toujours été marquée par la vérité. C’est cela qu’ils ont toujours grandement apprécié et qu’ils continuent d’apprécier chez moi” (lettre du 7 décembre 1998). De fait, de nombreux musulmans venaient le voir, seuls ou en groupe, à Amiens où il vivait désormais – certains venaient même d’Algérie –; il s’agissait souvent de véritables échanges religieux partant des questions profondes que portaient ses interlocuteurs musulmans ; et il arrivait parfois que le P. Antoine serve d’arbitre, surtout entre les plus jeunes de ces interlocuteurs.

Par toute sa vie, il fut un modèle quant à la pratique du dialogue. Lui n’imaginait aucun préalable au dialogue, ce qui constitue justement un thème-clef de la pensée du massignonisme. Selon ce courant, pour réussir le dialogue, le chrétien aurait à « se convertir » et à « s’ouvrir » au musulman, dans la perspective d’une “reconnaissance réciproque du statut de religion révélée” pour prendre une formule extrême mais révélatrice7. De plus, il y aurait un but à poursuivre : “établir ce qui est commun à la République et à nos traditions religieuses : la fraternité” (document cité plus loin) – d’autres ont parlé de « convergences ». En fait, Antoine Moussali montrait en France qu’aucun préalable ni but à atteindre ne devait être présupposé au dialogue. Sinon que le dialogue est une affaire de cœur (et d’un minimum de compétences).

De tels dialogues concrets portent évidemment des fruits en fait de rapprochement et d’apaisement de situations conflictuelles : les chrétiens d’Orient vivent cela depuis quatorze siècles. Mais si le « dialogue » pensé par le massignonisme doit conduire à l’émergence d’un Islam fraternel et ouvert, l’échec est patent. Les persécutions anti-chrétiennes n’ont fait que décupler depuis trente ans, et ce sont les interprétations les plus sectaires des traditions islamiques qui s’imposent de plus en plus – et qui dégoûtent de nombreux musulmans. Et, ce qui n’est pas moins grave, dans le même temps, on assiste à une collusion de plus en plus forte entre les structures politiques de l’Islam et les intérêts mondialistes les plus sordides, sous couvert de la venue d’un monde meilleur et « démocratique ».

Les enjeux politiques des « dialogues »

On a vu comment la « démocratie » a été imposée aux Libyens par l’Otan 8 .

De même, peu ont dénoncé le mythe médiatique du « printemps arabe », destiné d’une part à occulter le fait qu’en Egypte, ce sont les jeunes Coptes, soutenus par d’autres jeunes, qui, depuis 2009, contestaient le système du Président Moubarak déjà très islamisant, et destiné d’autre part à donner le pouvoir, par des simulacres de « démocratie », à des islamistes qui sont des ultra-libéraux en économie (d’où la collusion avec de grands intérêts financiers). Voilà qui devrait être au cœur de « dialogues islamo-chrétiens ».

En 2012, “revenant du IVe congrès des religions du monde” (Nicolas de Cuse avait rêvé de tels congrès), organisé par le régime dictatorial du Kazakhstan, le secrétaire du Service des Relations avec l’Islam bénissait ce « printemps arabe » en ces termes :

“Cela fait bientôt 18 mois que le réveil arabe porté par des jeunes tunisiens, égyptiens, yéménites et d’autres a suscité de grands espoirs de changement dans leurs pays et au-delà. […] Aucune révolution, aucune évolution ne se fait en quelques mois. Malgré la crise, les peuples européens ne sont-ils pas appelés à soutenir ces premiers pas vers la démocratie, à être aux côtés de ceux et celles qui, au prix de leur vie, réclament la justice, la paix et la citoyenneté pour tous en Syrie ?”

Et de continuer en faisant l’éloge du nouveau pouvoir en France :

“Un nouveau président, de nouveaux députés sont chargés d’établir la liberté et l’égalité par des lois. Il nous revient avec tous les croyants en Dieu et tous les humanistes de poser les gestes qui établiront  ce qui est commun à la République et à nos traditions religieuses : la fraternité” (26 juin 2012 9 , sur le site de chrétiens pour le méditerranée 10 ).

N’était-ce pas enchérir sur la propagande médiatique et la politique belliciste liées au pouvoir français en place ? Actuellement, sur les diverses chaînes d’Etat, on voit un spot avec Robert Badinter appelant non pas à l’arrêt de la guerre contre la Syrie et à des négociations, mais à encore plus de guerre et de massacres avec encore plus d’armes. On croirait entendre BHL annonçant la démocratie en Libye. Dans la lettre déjà citée, le P. Antoine ajoutait presque prophétiquement :

“J’ai le ferme espoir que le travail si important que fait le SRI saura prendre en compte les éclairages qui ne vont pas nécessairement dans le sens d’un discours convenu… Il me semble que cela fait partie aussi du dialogue à l’intérieur de l’Eglise ! Et puis, pourquoi vouloir à tout prix tirer à soi le Pape ? Et pourquoi mettre sur le compte de la peur tout effort de clarification ? Quelqu’un n’a-t-il pas dit : La vérité vous libèrera ?”

Hélas, le problème du « discours convenu » s’est élargi et amplifié. Il ne s’agit plus seulement du fait que les avancées des recherches en islamologie aient été passées sous silence ; il ne s’agit plus seulement non plus de l’influence de la mystique massignonienne ; il s’agit aussi de la destinée de nos Frères chrétiens d’Orient à qui la parole n’est jamais donnée en Occident, et dont l’existence même est menacée chez eux.

Un vrai « dialogue islamo-chrétien » devrait aborder ces réalités, qui sont assez éloignées du thème « Amour de Dieu, amour du proche »11 adopté pour la rencontre de Rome de novembre 2008, que le P. Samir Khalil Samir a réussi à sauver du naufrage. Il est temps que les Chrétiens d’Orient prennent leur place et mènent ces questions. Pour sa part, Massignon n’avait pas été “inattentif aux chrétiens d’Orient” (ce qui n’est écrit nulle part dans mon livre) ; il en avait le souci, que le P. Borrmans rapporte au fait que “sa sodalité de la Badaliya (1947-1962) a été fondée avec eux et pour eux (il suffit d’en lire les textes)”. Certes, sa Badaliya (c’est-à-dire Substitution ou Réversibilité) voulait les utiliser mais n’a pas été fondée avec eux (à moins de tenir Mary Khalil pour représentative des chrétiens d’Orient). Un tel projet d’un Occidental mystique magnifiant l’aspect salvifique supposé de la souffrance ne fut jamais le leur – surtout qu’il s’agit de leurs souffrances à eux.

Je n’avais pas mesuré pleinement cette dimension jusqu’à ce qu’un lecteur m’indique la thèse que Nicolas Mulot a consacré à Louis-Claude de Saint-Martin, théosophe et illuministe, dont les idées précèdent celles de Joseph de Maistre, de l’ex-Abbé Boullan et de Huysmans ; Joseph de Maistre écrit  : “L’innocent en souffrant ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable, par voie de réversibilité”12. Du Massignon anticipé. La filiation historique jusqu’à lui, bien avérée, s’en trouve éclairée. On comprend mieux ensuite l’incompréhension occidentale à l’égard des chrétiens d’Orient, à qui l’on reproche de n’être pas enthousiastes à la perspective d’être rançonnés, violés, bombardés et assassinés. Ce serait le prix de la « démocratie »!

Comme l’écrit le P. P.-M. Soubeyrand, à partir des années 90, “les Églises d’Orient elles-mêmes, au contact de l’Islam depuis des siècles, n’hésitaient plus à dénoncer des compromis et des ambiguïtés des Églises sœurs d’Occident, dans leur prétention à prendre la tête d’une nouvelle ère des relations du monde chrétien et musulman”. Ces compromis et ambiguïtés ont sans doute empêché de dénoncer les nouvelles guerres de l’axe Washington-Ryad en Afrique du nord et au Proche-Orient (Jean-Paul II avait dénoncé la guerre contre l’Irak, qui, avec l’embargo, a fait un million de morts et dont les conséquences dramatiques continuent).

Sur quoi s’appuyer ? Notre force sera toujours d’écouter la Révélation dans son intégralité. Quand on cite 1Tm 11,3-4, on ne peut pas se contenter de la première partie de la phrase : “Dieu veut que tous les hommes soient sauvés”, car la seconde précise : “et que tous parviennent à la connaissance de la vérité”. Pour St Paul, la question déterminante est : “Comment tous les hommes auront-ils accès à la vérité ?” (ce qui forme un des sujets du Malentendu islamo-chrétien, en lien avec les paroles de Jésus en Jn 3,19-21), et non pas : “Comment Dieu sauve-t-Il des non chrétiens sans qu’ils aient la connaissance de Celui qui est le chemin, la vérité et la Vie (Jn 14,6)”.

Ce qui est vraiment écrit dans Nostra Aetate

De même, il faut lire la Déclaration conciliaire Nostra Aetate telle qu’elle est écrite. Loin de « reconnaître la valeur des autres religions » au plan du salut, comme on le lit fréquemment, sa perspective fut de mettre en valeur les cheminements personnels. Dans un exemple déjà ancien de cette mécompréhension13 , on pouvait lire que le dialogue avec les musulmans

“se situe dans la lumière de l’invitation adressée par le Concile Vatican II dans la Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions [Nostra Aetate] : « L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières de vivre et d’agir et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apporte souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes »”.

La citation est tirée du paragraphe 2 de la Déclaration. Le problème, c’est que celui-ci concerne uniquement les religions préchrétiennes. C’est seulement au §3 qu’il sera question des musulmans. Or, que voulait dire ce § 2 ? Sa rédaction n’est sans doute pas des plus heureuses. Il voulait s’adresser aux fidèles des courants religieux préchrétiens tels que les animismes, qui existent “depuis les temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui” et qui portent parfois “un profond sens religieux”, mais également aux fidèles de “l’hindouisme” et du “bouddhisme” qui sont présentés comme étant des “religions liées au progrès de la culture”. On peut discuter ces affirmations historiques, notamment quand on sait que la datation du bouddhisme pose d’immenses difficultés, aucun chercheur sérieux ne pouvant produire de document réellement antérieur à notre ère ; inversement, on peut se demander si l’hindouisme d’aujourd’hui est vraiment conforme à celui d’avant notre ère. Mais on voit bien l’idée des Pères conciliaires : ce qu’il y a de juste et de bon au point de vue des “valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles” du vécu humain préchrétien forme un fondement pour un cheminement ensemble. C’est là une perspective du Nouveau Testament et traditionnelle.

Dans la catégorie propre aux religions préchrétiennes n’entre pas l’Islam – que les textes conciliaires ne mentionnent d’ailleurs jamais : ils évoquent les musulmans. Comment tant de confusions ont-elles pu surgir ? Le texte manque certes de clarté. Les Pères conciliaires (essentiellement occidentaux) avaient des difficultés à sortir d’une théologie qui ne les aidait pas à dire le mystère de l’histoire dont le Christ constitue le tournant, c’est-à-dire que :

1° Il y a un avant le Christ, et il y a un après le Christ c’est-à-dire un temps postérieur, que le Nouveau Testament nomme « les derniers temps », et qui a commencé avec la diffusion de l’Evangile par les Apôtres et leurs disciples dans tout le monde connu et facilement accessible de l’époque, et cela jusqu’en Chine ;

et 2° : ces « derniers temps » furent également marqués par les post-christianismes, lesquels se sont structurés dès après les Apôtres et contre eux ou contre leurs successeurs, et ces post-christianismes doivent l’essentiel de ce qu’ils sont au christianisme à travers des contrefaçons radicales. Tel est le monde où nous vivons aujourd’hui.

Comme Jean-Paul II et Benoît XVI l’ont rappelé maintes fois, le Concile doit être lu à la lumière de la tradition ; concrètement cependant, rien ne remplace de bons outils théologiques (exposés aux chapitres 2 et 3 du Malentendu islamo-chrétien). On comprend alors qu’il est vain et contre-productif de rêver d’une « reconnaissance mutuelle » interreligieuse ou même de chercher dans l’Islam (ou dans toute autre système de pensée) “quelques vérités de la révélation, prière, jeûne, aumône, ascèse, etc. qui sont des moyens de salut”14, au lieu d’aborder de front les questions relatives à la volonté de Dieu (évoquées au chapitre sept du livre). De par leurs traditions, les chrétiens d’Orient, eux, ont toujours affirmé que l’Islam provenait simplement d’une vieille dérive ex-chrétienne, non qu’il serait une religion révélée et porteuse de salut (même inchoativement ou partiellement selon les adverbes ajoutés habituellement en Occident).

L’étude de plus de mille pages parue en 2005, Le messie et son prophète, a montré la validité de ces traditions chrétiennes, par la convergence d’une masse d’indices historiques en ce sens, parallèlement à l’absence d’indices avérés allant en sens contraire : telle est la définition même d’une certitude historique. Au reste, depuis lors, cette étude n’a été aucunement mise en cause au point de vue historique ; les recherches ultérieures n’ont fait que la confirmer ou la préciser. Bien évidemment, tous les post-christianismes sont truffés d’éléments chrétiens : leur présence n’y doit rien au Saint Esprit. C’est d’ailleurs logiquement sur ces fondements dérivés du christianisme que les musulmans croient traditionnellement connaître mieux le message de Jésus que les chrétiens eux-mêmes – un sujet à aborder tôt ou tard amicalement, comme le P. Moussali le faisait. L’Islam est un post-christianisme parmi d’autres, il n’y a rien de « révélé » ni en lui ni en quelque autre post-christianisme. Les musulmans pensent autre chose, c’est leur droit ; c’est également le droit et le devoir des chrétiens et tout simplement de tout homme honnête de parler avec eux de ce qui est avéré. Nous ne sommes pas invités à aimer l’Islam, mais les musulmans.

“Il est donc plus que temps de s’expliquer sans préalable entre chrétiens” écrit le P. Borrmans comme le P. Moussali en 1998 (voir plus haut). Que ne l’a-t-on pas fait durant trente ans ? Combien, avant le P. Jourdan, n’ont-ils pas été écartés des lieux d’influence, à cause de leurs compétences et de leur connaissance de l’Islam ? Et parce qu’ils ne partageaient pas la foi au prophète Massignon ? Les errements du passé ont contribué à la situation dramatique d’exacerbation et de manipulation politique du fanatisme islamique, qui est celle d’aujourd’hui. On ne peut plus changer le passé, mais on peut retourner à l’Evangile (sans oublier Mt 24,24) et écouter nos Frères chrétiens persécutés et assassinés par dizaines de milliers de par le monde. Si on ne les écoute pas, on ne pourra qu’ajouter au mal.

  1. Dupuis Jacques, Le dialogue interreligieux à l’heure du pluralisme, in Nouvelle Revue Théologique n° 120, 1998 /4, p.545.
  2. Le P. Borrmans a donné une recension du livre du P. François Jourdan début 2012 : http://www.france-catholique.fr/Francois-Jourdan-La-Bible-face-au.html
  3. Laure Meesemaecker, L’autre visage de Louis Massignon, Versailles, éd. Via Romana, 2011.
  4. Ce fut l’un des problèmes des Pères Blancs, que le P. Pierre-Marie Soubeyrand, plus tard auteur de Comprendre l’Islam, risque ou défi ? (éd. des Béatitudes, 2010) fut amené à quitter pour servir le Christ ailleurs.
  5. Jean-Claude Barreau interviewé in Le Figaro du 13 nov. 1991, p.30, jugeait cette dialectique gauche-droite “transcendée par tous les grands sujets de société”. Il a écrit De l’Islam en général et de la modernité en particulier (éd. Pré-aux-clercs, 1991), où il note : “Le mélange détonant de l’exotisme, de l’esprit militant, de la crainte légitime d’être coupé de sa recherche [c’est-à-dire d’être interdit de séjour en tel pays musulman] et de la mauvaise conscience a généré l’inhibition de l’esprit critique européen face à l’Islam” (p.17).
  6. Ce livre lui valut d’être mis à l’écart de l’Institut Catholique où il enseignait. Heureusement, il a repris la direction de l’ISTR de Toulouse depuis septembre dernier. Voir la réponse qu’il a faite à une mise en cause : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2008/05/17/dieu-des-chretiens-dieu-des-musulmans-francois-jourdan-repo.html.
  7. La Croix (ici 07-01-2000 p.22). Autre citation du même genre (tirée d’un livre) : “Dénier au Coran tout caractère de religion révélée est extrême et inacceptable”.
  8. http://www.youtube.com/watch?v=e8ya295inZc Voir également : http://www.dailymotion.com/video/xlp2d6_le-plan-us-post-11-9-envahir-7-pays-dont-l-irak-la-lybie-la-syrie-et-l-iran-selon-le-general-us-wesl_news#.UQvND_JtzKc
  9. http://chretiensmediterranee.com.over-blog.com/article-artisans-de-fraternite-au-milieu-des-espoirs-et-des-inquietudes-107177731.html
  10. Ce groupe collabore parfois avec le Quoi d’Orsay, www.observatoirepharos.com/international/international-l2019egypte-la-tunisie-deux-ans-apres-le-debut-des-revolutions-que-sont-ils-devenus-fr
  11. Le texte final est analysé ici : La transformation de la notion d’amour de Dieu et du « prochain » Une lecture de la racine hbb [aimer] dans le Coran, article paru sous le titre La cause de l’amour selon l’islam in Liberté Politique, Printemps 2009, n° 44, p. 55-61 et dans Cedrus Libani n°79, 2009, p.66-69 – URL : www.lemessieetsonprophete.com/annexes/L%27idee%20%27d%27aimer%27%20selon%20le%20Coran.htm.
  12. L’idée de réversibilité (des mérites salvifiques) est à la base de celle de substitution-badaliya. URL : www.paris-sorbonne.fr/les-actualites/agenda-des-soutenances/toutes-les-soutenances/article/la-reversibilite-le-grand-mystere.
  13. Catholiques et musulmans : un chemin de rencontre et de dialogue, document de Lourdes, 1998 (pas une ligne du document préparatoire n’a été modifiée).
  14. Ces moyens sont évidemment qualifiés d’imparfaits ; le P. Borrmans, répondant à Mr Alain Besançon en 1998, précisait : “ce ne sont pas encore des sacrements, mais l’Esprit Saint n’est-il pas capable de faire porter à ces bribes de vérités révélées et à ces éléments de moyens de salut des fruits inattendus… ?”. Ces idées ont été développées de diverses manières dans la littérature de « dialogue ». Le document mentionné à la note 16 évoquait quant à lui “la spécificité de la Révélation qu’ils [les chrétiens] ont reçue” – une révélation parmi combien d’autres ?