Si l’Église s’est préoccupée d’éducation, cela n’a jamais été dans le but d’une réussite humaine, mais afin de former des âmes destinées à la gloire éternelle. Et notamment les plus pauvres. Dès les premiers siècles, les enfants dont l’Église s’est chargée étaient orphelins ou abandonnés, voués sans elle à l’esclavage, la mendicité ou la prostitution. Parmi les instituteurs indépendants apparaissent peu à peu des chrétiens dont saint Cassien, patron des enseignants, martyrisé à coups de stylets par ses élèves païens.
L’éducation antique reste affaire privée. Cela permet l’ouverture à Alexandrie en 202 de la première université chrétienne, mixte, le Didascalé, preuve que contrairement à l’idée reçue, l’Église n’éloigne pas les filles de l’instruction de haut niveau. Ce souci est notamment présent, au IVe siècle, chez saint Jérôme, apprenant le grec et l’hébreu à ses dirigées romaines et composant un programme d’éducation des jeunes chrétiennes.
L’école de Charlemagne
Les invasions barbares, au Ve siècle, balaient la civilisation antique. Ce qui en subsiste trouve alors refuge dans les monastères. Il faudra attendre quatre siècles et Charlemagne pour assister à une « généralisation » de la scolarisation. L’empereur reprend à saint Césaire d’Arles l’idée d’écoles paroissiales gratuites. Les élèves doués poursuivront leurs études dans les écoles cathédrales ou abbatiales, tandis que l’école palatine – complexe scolaire où l’élite franque fait instruire ses enfants –, ouvre ses portes à Aix-la-Chapelle, valant à l’empereur la réputation d’avoir « inventé » l’école. Si le projet ne lui survit guère, l’Église ne cessera de le reprendre à son compte. En 1179, le pape Alexandre III fixe comme but l’instruction gratuite de tous les enfants, afin de « les former à la vérité et la sagesse ».
Certes, la répétition de ces consignes prouve qu’elles sont plus ou moins suivies, mais un mouvement est donné. Primaire, secondaire et supérieur se développent dans l’Europe catholique qui compte au XIIIe siècle 1 200 facultés.
La Sorbonne fait de Paris un phare intellectuel attirant étudiants et maîtres de toutes nationalités, tendus vers un idéal de chrétienté. Mais cet idéal et l’unité qu’il suppose sont mis à mal au XVIe siècle par la Réforme protestante qui conteste l’enseignement de l’Église, son monopole de l’intelligence ainsi que les dogmes de foi, parfois tournés en ridicule.
Cette première rupture entre intelligence et foi entraîne en réponse, après le concile de Trente, une floraison d’œuvres éducatives dont le principal objectif est l’enseignement du catéchisme.
En 1564, saint Charles Borromée dote Milan d’écoles primaires. Suivent les Frères de la doctrine chrétienne de César de Bus, l’Oratoire de Philippe Néri, les Clercs des écoles pies de Joseph Calasanz, les barnabites, les théatins, les Frères de la vie commune, les ursulines d’Angèle Mérici, vouées à l’éducation des filles.
Les élites et le peuple
La palme revient à la Compagnie de Jésus. Les établissements jésuites s’ouvrent ainsi aux jeunes laïcs de bonnes familles, auxquels les bons Pères donneront une tournure d’esprit propre à en faire les chefs de file de la reconquête catholique. Leur pédagogie insiste sur le développement complet des personnalités.
Mais la méthode s’adresse aux classes aisées, de sorte qu’il faut attendre les années 1640 pour voir naître des œuvres éducatives destinées au peuple. M. Olier, fondateur du séminaire de Saint-Sulpice, en résume l’enjeu : « L’instruction de l’enfance, voici le plus pressant travail. » Aux efforts de saints prêtres, Vincent de Paul, Jean Eudes, Nicolas Barré, répondent ceux de pieux laïcs, membres de la Compagnie du Saint-Sacrement, ou des Messieurs de Port-Royal avec leurs petites écoles.
À l’aube du XVIIIe siècle, la majorité des enfants est ainsi scolarisée en France, surtout les filles, car les congrégations enseignantes féminines sont plus nombreuses que celles destinées aux garçons. Pour y remédier, à Lyon, l’abbé Démia fonde de Petites écoles et un « séminaire » de formation des maîtres, prélude aux écoles normales, et Jean-Baptiste de La Salle en 1694 les Frères des écoles chrétiennes, pour former un corps professoral fervent.
Hostilité des « philosophes »
Mais faut-il éduquer le peuple ? Voltaire ne le pensait pas, estimant « essentiel qu’il y ait des gueux ignorants », surtout si cette éducation est chrétienne… Les 25 000 écoles paroissiales, 900 collèges français importunent donc les philosophes. Mais ce modèle éducatif français s’exporte. Les ursulines gagnent le Canada au mitan du XVIIe siècle, ouvrant la porte à des milliers d’éducatrices missionnaires.
Remettre en question cette œuvre éducative colossale et ses résultats paraît dès lors impensable. Or, il ne faudra pourtant que quelques mois pour la détruire. La confiscation des biens du clergé, fin 1789, met l’Église dans l’impossibilité de poursuivre son action.
Le pouvoir révolutionnaire spoliateur ne reprend pas les objectifs de l’Église, préparant une génération d’analphabètes. Ainsi, lorsqu’il signe le concordat de 1802, Bonaparte n’entend pas rendre à l’Église un enseignement désormais monopole d’État. La Restauration ne revient pas sur ces dispositions et la question de la liberté de l’enseignement sera pour longtemps au cœur des débats politiques.
L’enjeu est crucial : il s’agit de reconstruire un monde avec ou sans Dieu. Répondront à l’appel le Père Coudrin, fondateur des picpusiens, Élisabeth Bichier des Âges, fondatrice des Filles de la Croix, ou encore Madeleine-Sophie Barat, fondatrice des Dames du Sacré-Cœur, qui cible les filles de la haute société, convaincue que des épouses et mères chrétiennes assureront le redressement spirituel de la France. Les Pères de la Foi, d’esprit jésuite, nés dans la clandestinité, rejoindront la Compagnie de Jésus dès sa reformation en 1814. Protégés du cardinal Fesch, archevêque de Lyon et oncle de Napoléon, ils peuvent grâce à lui rouvrir des collèges. Après l’interdiction d’enseigner faite aux « hommes noirs » – accusés de dicter la politique « ultra » de Charles X – la révolution de 1830 tend les relations entre un État désireux de garder le monopole de l’enseignement et les catholiques. Il faut attendre 1850 pour que la loi Falloux donne raison à ces derniers, et partiellement encore, car les écoles catholiques acceptent de se placer sous le contrôle d’un État toujours plus antichrétien, annonçant le programme de Jules Ferry : « Mon but est de créer une humanité sans Dieu. » Arracher la jeunesse à l’emprise de l’Église devient un objectif prioritaire. Là encore, les congrégations enseignantes françaises contournent l’obstacle et essaiment en Amérique, en Orient, en Afrique (avec Anne-Marie Javouhey), en Nouvelle-Zélande (avec Suzanne Aubert).
Contrôle de la jeunesse
Le XIXe siècle est aussi l’époque de Don Bosco et de Giuseppe Cottolengo, qui se chargent de l’enfance orpheline, handicapée, arriérée mentale, de ceux que l’on appelle « les monstres ». Don Bosco est persécuté, comme le sont les catholiques allemands confrontés au Kulturkampf de Bismarck, et les Français soumis aux lois sur les congrégations. Celles-ci aboutiront à chasser nombre d’ordres enseignants et à fermer leurs établissements, assurant un peu plus l’emprise de l’école républicaine laïque et obligatoire.
Contrôler la jeunesse, tel est bien le maître mot des régimes hostiles au Christ, totalitaires ou tendant à le devenir, au XXe siècle. Un but qui reste d’actualité alors que les programmes scolaires font une part toujours plus importante à des idéologies en contradiction avec la foi. Soulignant à nouveau l’enjeu de l’éducation chrétienne : voulons-nous de Dieu dans nos écoles ?
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- QUESTIONS DE BÊTES MAIS POINT BÊTES
- EN LISANT MONSIEUR MEXANDEAU : VIVE L’ÉCOLE PLUS LIBRE
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010