L’affaire Dieudonné n’a cessé de s’enfler tous ces jours derniers, au point d’accaparer la scène publique. Je crains qu’elle ne continue de mobiliser les esprits assez longtemps, parce qu’elle dépasse de très loin le cas d’un humoriste engagé sur le plus périlleux des terrains.
Le ministre de l’Intérieur, qui a entrepris un véritable bras de fer avec lui, n’est pas assuré de gagner une bataille juridique compliquée afin de stopper simplement la tournée de spectacles de l’ennemi public numéro un. Mais la vraie question est-elle là ? À supposer que Dieudonné soit interdit de parole, le phénomène qu’il incarne serait-il, ipso facto, aboli ? Qui le croirait ? La difficulté, c’est qu’il dispose d’une audience nationale considérable, qui déborde largement les auditoires de ses spectacles qui sont déjà loin d’être médiocres.
Bien sûr, on peut penser que le simple fait de neutraliser un agitateur empêcherait la diffusion d’idées dangereuses. Mais qu’en est-il de la connivence qui existe entre cet agitateur et le public qui se reconnaît en lui ? Qu’on le veuille ou non, il faudra bien envisager sérieusement l’existence confirmée d’une sensibilité qui s’identifie à une sociologie de type communautariste. Ce que Pierre-André Taguieff appelle « judéophobie », pour bien marquer la distinction qui existe entre cette nouvelle configuration idéologique et l’antisémitisme traditionnel, se rapporte étroitement à la formation d’une conscience commune, d’une mentalité clivée à intérieur du corps politique.
Au XIXe siècle, on parlait à propos du prolétariat, d’une population campée aux portes de la cité. Qu’en est-il aujourd’hui d’une population qui cultive sa différence, en cherchant à désigner un ennemi, par rapport auquel se définir, se coaliser, en développant l’hostilité et la haine ? Ce genre de pathologie ne se soigne pas seulement à coup d’interdictions. Elle met en cause les principes constitutifs de la communauté nationale. Il n’y a pas de réponse immédiate appropriée. Il n’y a qu’un immense labeur à envisager.