Au-delà de Thomas More, le personnage de fiction - France Catholique
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Au-delà de Thomas More, le personnage de fiction

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Je voudrais vous avertir à propos du personnage de fiction, Thomas More, le More qui nous est parvenu essentiellement par « Un Homme pour l’Eternité » de Robert Bolt. J’ai lu la pièce et vu le film, mais on ne retrouve complètement le vrai Saint Thomas More dans aucune de ces deux œuvres. Il n’y apparaît que quelque chose comme son ombre, mais pas l’homme. Pour revenir aux sources, le More que Bolt nous présente n’est pas More « comme il se comprenait lui-même ».

Ce que Bolt nous livre est un More qu’il a rendu plus acceptable pour notre propre époque, parce que son esprit est encombré de clichés familiers. Le moment révélateur se produit dans un échange avec le Duc de Norfolk sur le sens de la Succession Apostolique, et par conséquent sur l’autorité de l’Eglise. Bolt présente More comme s’il disait:

Ce qui importe pour moi, ce n’est pas que la Succession Apostolique soit vraie ou non, mais que je la croie vraie, ou plutôt non pas que je croie cela, mais que ce soit moi qui croie cela….je vois que je ne me fais pas comprendre ?

La question de conscience est subtilement mise de côté et transformée: la vérité de la Succession Apostolique est remplacée d’abord par une « croyance » en cette vérité, non la vérité elle-même, une croyance qui se teste et se défend avec ses propres termes. Et ensuite, à son tour, cette croyance n’a de valeur que parce-que c’est More lui-même qui l’affirme.

Il est frappant que cette attitude va totalement à l’encontre des fondements tant de la conscience que de la dignité humaine mises en avant par Jean- Paul II dans « Veritatis Splendor » : là est la clé pour comprendre ce problème

A l’affirmation que l’on a le devoir de suivre sa conscience a été indûment ajoutée l’affirmation que le jugement moral de chacun est vrai, simplement par le fait qu’il a son origine dans la conscience. Mais de cette manière, on fait disparaître les inévitables revendications de Vérité, on laisse la place à un critère de sincérité, d’authenticité et « d’être en paix avec soi-même », à tel point que certains en sont venus à adopter une conception radicalement subjective du jugement moral.

(Mais) à partir du moment où l’on perd l’idée d’une vérité universelle, accessible à la raison humaine, concernant le bien, il est inévitable que la notion de conscience, elle aussi, change. La conscience n’est plus considérée dans sa réalité primordiale comme acte de l’intelligence d’une personne dont la fonction est d’appliquer la connaissance universelle du bien dans une situation spécifique.

Eh bien, quelle différence cela faisait-il dans le conflit de More avec la loi, dans sa confrontation avec Henry VIII ? Le Parlement avait prescrit un nouvel ordre de Succession qui couvrirait parfaitement le nouvel ordre des choses qui résultait du divorce d’Henry. Et en même temps que la loi il y aurait un Serment d’Allégeance à ce nouvel ordre. More s’en tint fermement à son refus de prêter ce serment. Mais il n’a pas demandé pour lui-même une dispense, une exemption des lois qui lient les autres, une dispense fondée sur ses convictions personnelles. Il a refusé de prêter ce serment, parce-que c’était une loi fausse, qui ne liait véritablement personne.

En prenant cette position, il en appelait d’abord à la loi positive fondamentale, plus proche de notre loi constitutionnelle. Il a invoqué à la fois la Grande Charte et le Serment du Couronnement du Roi Henry VIII pour établir que « l’inculpation est fondée sur un acte du Parlement, directement contraire aux lois de Dieu. » Le Serment était contraire à « la Sainte Eglise……et donc selon la loi…….insuffisant pour porter une accusation contre tout Chrétien. » Mais son argumentation allait même au-delà de l’Eglise, il s’approchait de ce qu’il entendait comme une version de la loi naturelle.» Le Royaume d’Angleterre ne pouvait pas davantage refuser obédience au Siège de Rome qu’un enfant ne peut refuser d’obéir à son père naturel. »

More ne voyait donc aucun conflit entre son refus de prêter ce serment et son devoir envers son Roi. En s’attachant à une loi plus profonde, il mettait en cause la légalité de l’Acte du Parlement, or aucun devoir vis-à-vis du Roi ne pouvait impliquer l’obligation d’accomplir un acte illégal. C’est ainsi que More pouvait sincèrement déclarer en allant à la mort et en défendant la loi : « Je meurs en bon serviteur du Roi et en premier lieu, en serviteur de Dieu. » Il n’y a pas de « mais » , pas de conflit pour More entre ses obligation selon la loi et ses obligations vis-à-vis de Dieu.

C’est, donc, faire la plus grave inversion que de présenter More comme un modèle de « conscience » qui se dresse contre les commandements de la loi. Il s’est effectivement dressé contre les commandements d’une loi positive corrompue, mais ce qu’il n’a jamais fait, fut d’exiger pour lui-même ou pour toute personne pensant comme lui, une demande d’être exempté d’une loi qui lie effectivement tous les autres citoyens – une exemption qui pourrait porter atteinte à toute conviction sincère de quelque sorte que ce soit.

Ce n’est que Thomas More, le personnage de fiction qui voulait résister à la loi en se fondant sur ses convictions personnelles. Et ce qui manque manifestement à ce récit, c’est la compréhension de la conscience selon Jean-Paul II c’est-à-dire «  la connaissance d’un bien universel » qui dans le cas présent est un cas de jugement pratique.

Ce que Robert Bolt nous a présenté dans le personnage de fiction, Thomas More était un homme d’une génération , – mais de notre génération ou de notre époque. Ce qu’il a caché était l’homme des lois qui durent, celui qui était vraiment « Un Homme pour l’Eternité.»

http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/beyond-the-fictional-thomas-more.html

Tableau : La famille de Sir Thomas More par Rowland Lockey (d’après Holbein le Jeune) c. 1594