Dans l’avion qui le conduisait vers l’Afrique le 17 mars, le Pape a répondu oralement à une question de Philippe Visseyrias de France 2 qui lui avait préalablement été soumise par écrit : « Saint-Père, parmi les multiples maux dont souffre l’Afrique, il y a aussi en particulier celui de l’épidémie du sida. La position de l’Église catholique quant aux moyens de lutter contre ce fléau est souvent considérée comme irréaliste et inefficace. Aborderez-vous ce thème durant le voyage ? »
Deux phrases de cette réponse, effectuée en Italien, ont aussitôt fait le tour de la planète. L’enregistrement audiovisuel de la séquence donne comme traduction : « Je dirais qu’on ne peut pas surmonter ce problème du sida seulement avec de l’argent, qui est nécessaire, mais s’il n’y a pas l’âme, qui sait l’utiliser, il n’aide pas. On ne peut pas le surmonter avec la distribution de préservatifs, au contraire, ils augmentent le problème. »
C’est cette dernière affirmation qui a provoqué l’ire de nombreuses personnalités qui ont aussitôt traité le Saint-Père, au mieux d’irresponsable et au pire de meurtrier.
Ces propos se situaient dans une réponse beaucoup plus riche du Pape que les services de communication du Vatican ont ensuite rendue publique, en ajustant légèrement la formulation de la séquence qui faisait scandale. Certains ont pu croire qu’on avait délibérément dénaturé la réponse papale.
Le préservatif peut-il augmenter la pandémie ?
Certes, il est indéniable qu’une relation sexuelle avec une personne contaminée utilisant un préservatif est moins risquée qu’une relation sans préservatif. Mais 7 fois moins seulement, d’après certaines études officielles, car il demeure un risque « résiduel » de contamination. L’OMS n’a d’ailleurs pas classé le préservatif parmi les « méthodes contraceptives très efficaces », notant un taux de 2% de grossesses après un an d’utilisation correcte.*
Pour ceux qui le croient infaillible, le danger vient donc d’une illusion d’invulnérabilité. La France a connu ce phénomène avec sa ligne Maginot qu’on voulait croire protectrice de toute invasion germanique. Elle fut inviolée : l’envahisseur est passé par la frontière Belge où la défense avait baissé sa garde. La fiabilité du préservatif peut être comparée à celle d’un casque de moto avec lequel un motard s’autoriserait à rouler sans limite de vitesse. Une dérive de toute puissance menace ceux pour lesquels le préservatif fait figure de sésame pour la débauche.
Sur le seul plan moral, on déresponsabilise les êtres humains en leur laissant croire que tout est permis, y compris les violences sexuelles dont les plus vulnérables sont toujours victimes.
Sur le plan sanitaire, le retour de bâton menace également : il y a toujours une différence entre un taux d’efficacité théorique d’une technique et son taux d’efficacité pratique plus faible. Les aléas de fabrication, de pose, de retrait, les ruptures du latex, sans compter d’autres éléments encore inexpliqués, sont occultés. Nous avons déjà eu l’occasion de signaler les limites du tout préservatif en Afrique (FC n°3069). Et si le Pape avait raison ?
Pourquoi cette virulence hexagonale contre le Vatican ?
Les tremblements de terre sont consécutifs à des bouleversements des profondeurs de la planète. Entre l’enseignement de l’Église catholique sur la sexualité ou la vie et la réalité législative, sociale et médiatique française, la fracture augmente depuis des années. Déjà en 1995, Act up Paris avait fait imprimer et diffuser en kiosque, par les Nouvelles messageries de la presse parisienne, 200 000 exemplaires d’une édition pirate de l’encyclique l’Évangile de la Vie qui venait de sortir. En quatrième de couverture figurait la marque d’une main ensanglantée sur un visage de Jean-Paul II avec le slogan « Non aux sermons, oui aux capotes. Ce pape est un assassin ». Les pouvoirs publics n’avaient pas protesté et Mgr Billé l’avait déploré par un communiqué officiel.
Désormais 52% des enfants naissent hors mariage, ce que l’Église considère comme une atteinte à leurs droits. Des centaines de milliers de vies conçues en France sont détruites chaque année en toute légalité (220 000 avortements officiellement recensés, 238 000 embryons conçus dans le cadre de la fécondation in vitro, pour 14 000 naissances liées à cette technique). L’Église affirme que chacune de ces vies est aussi respectable que celle d’une personne déjà née.
Nous ne sommes plus au temps où les « hussards noirs de la République » professaient, malgré leurs convictions anticléricales, des valeurs de fidélité conjugale et de tempérance. Le président de France Inter, radio publique, s’est récemment permis de poser à demi-nu en tenue sadomasochiste avec son compagnon pour le calendrier d’Act up. Même si le président de la République s’en est ému, il ne faut pas s’étonner que celui de France 2, télévision publique, ait décidé – en réponse aux propos du Pape – d’incruster sur l’écran de la messe télévisée du Jour du Seigneur du 22 mars le logo du Sidaction. La morale chrétienne fut d’abord marginalisée ; elle est désormais accusée d’être transgressive.
Pourquoi la parole de l’Église fait-elle violence en matière de morale sexuelle ?
Depuis vingt-cinq ans, on présente en France le préservatif comme « seul moyen fiable de prévention » renonçant à tout appel à l’abstinence et à la fidélité. La parole du Pape a logiquement heurté tous ceux qui font de sa diffusion massive leur unique crédo. Les responsables politiques, médiatiques et associatifs mais aussi les militants dévoués et les téléspectateurs sont victimes d’un aveuglement collectif. Face aux fléaux, les peuples manipulés par leurs leaders d’opinion désignent des boucs-émissaires sur lesquels ils s’acharnent. Ils les imaginent responsables de leur malheur. Or, depuis l’origine du Sida, dans l’inconscient collectif, rôde l’idée folle que l’Église pourrait se réjouir de cette pandémie, simplement du fait de son mode de contamination.
« Les hommes – et il ne faut pas s’en étonner – paraissent concevoir la vie et le bonheur selon la vie qu’ils mènent » constatait déjà Aristote, tandis que, plus récemment, Maurice Zundel notait « la tendance anthropomorphique » de l’être humain à « donner à la vérité son propre visage ». Or, l’idéologie hostile à la morale sexuelle prônée par l’Église a envahi notre société. Son exigence morale, quoique « naturelle », est rejetée jusque dans les rangs des chrétiens. Elle constitue, en raison de certains modes de vie, une agression insupportable. Quant au visage et la douceur du Pape, ils peuvent exaspérer ceux qui jalousent inconsciemment le bien et le vrai.
Vers de nouvelles persécutions pour les chrétiens de France ?
Les interventions médiatiques sont indispensables pour expliquer les positions de l’Église et la défendre. Mais ce n’est pas un rapport de forces qui rendra justice à la vérité. La colère compréhensible qui monte quand on entend son chef spirituel se faire insulter doit être canalisée. Gare à la tentation de la violence ! Être respectés, reconnus, admirés, célébrés, ce n’est aucunement cela que promet le Christ à ceux qui renoncent à beaucoup pour le suivre, mais « des frères en grand nombre et des persécutions ».
Les clercs et les laïcs dont le catholicisme est affiché commencent à endurer des brimades douloureuses, de l’ordre de celles que le père Maximilien Kolbe nommait « le martyre blanc » (c’est-à-dire progressif et non sanglant). Il devient plus difficile pour les chrétiens d’assumer des postes à responsabilité où il leur est demandé de se taire ou de se compromettre.
Même les puissants qui aiment à dialoguer avec l’Église peuvent se retourner contre elle quand elle leur rappelle les exigences morales. Hérode appréciait les conversations avec Jean-Baptiste, mais ce dernier perdit la vie pour avoir rappelé au Roi qu’il ne devait pas coucher avec sa belle-sœur. Médecins, sages-femmes, infirmières, pharmaciens, chercheurs, étudiants qui mettent le Christ avant leur intérêt en payent déjà le prix, dans leur carrière voire devant la justice. Devenir minoritaires, être punis, persécutés, c’est peut-être notre lot. Mais les cœurs simples seront touchés. Aucune raison de perdre l’Espérance.
Tugdual DERVILLE
* La dernière enquête Baromètre santé française révèle également qu’un « problème de préservatif » est invoqué comme motif de leur demande de pilule du lendemain par 32 % des jeunes gens de 15 à 24 ans.
La réponse complète écrite de Benoît XVI à bord de l’avion…
« Je dirais le contraire. Il me semble que l’entité la plus efficace, la plus présente sur le front de la lutte contre le sida est vraiment l’Église catholique, avec ses mouvements et ses diverses structures. Je pense à la Communauté Saint Egidio qui fait tant, de manière visible et aussi de manière invisible pour lutter contre le sida, aux religieux Camilliens, à toutes les religieuses qui sont au service des malades… Je dirais qu’on ne peut vaincre ce problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. Si ce n’est pas le cœur, si les Africains ne s’y entraident pas, on ne peut résoudre ce fléau avec la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d’accroître le problème. La solution ne peut venir que d’un double engagement : en premier, une humanisation de la sexualité, c’est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui permette une nouvelle manière de se comporter les uns avec les autres, et deuxièmement une vraie attention particulièrement à l’égard des personnes qui souffrent, la disponibilité, les sacrifices aussi, les renoncements personnels pour être avec les personnes souffrantes. Ce sont les moyens qui aident et permettent des progrès visibles. C’est pourquoi, je dirais que c’est là notre double force : renouveler l’homme intérieur, donner une force spirituelle et morale pour un comportement juste dans la manière de considérer son propre corps et celui d’autrui, et d’autre part cette capacité à souffrir avec ceux qui souffrent, d’être présents aux côtés de ceux qui traversent des épreuves. Je crois que c’est là la juste réponse, que l’Église la met en œuvre et offre ainsi une aide très grande et importante. Nous remercions tous ceux qui y participent. »
Pour aller plus loin :
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