Attaques ad hominem - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Attaques ad hominem

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Nous semblons souffrir d’une perte de l’enseignement de la logique – non pas la logique mathématique complexe, mais la logique basique telle qu’elle existe depuis l’époque d’Aristote, et plus particulièrement celle qui permet de se garder des sophismes primaires.

Je ne prétends pas moi-même à l’excellence en logique. Et même, j’ai souvent regretté le manque de formation à la logique dans mon éducation. Mais le contact répété avec les sophismes les plus primaires rend allergique à beaucoup de ce qui passe pour des arguments dans le discours public actuel.

Une des erreurs de logique basique est communément connue comme « l’affirmation d’une conséquence ». Quelqu’un dit : « s’il pleut, alors le sol sera mouillé dehors. » Un autre remarque : « dehors, le sol est effectivement mouillé » et il en conclut : « par conséquent, il pleut nécessairement. » C’est manifestement un sophisme. Le sol peut être mouillé pour une toute autre raison – parce que quelqu’un arrose la pelouse, par exemple – et la pluie est seulement une des raisons parmi d’autres pour que le sol soit mouillé.

De même, nous entendons en politique des arguments qui ressemblent à ceci : « si la politique du président est efficace, le chômage va diminuer. Le chômage a diminué. Par conséquent, la politique du président est efficace. » Mais ceci est également un sophisme évident. Le chômage peut avoir diminué pour telle ou telle raison. Le problème ici est d’avoir confondu la corrélation avec la causalité. Si un événement X se produit après un événement Y, cela ne signifie pas nécessairement que l’événement X est causé par l’événement Y.

Il y a davantage de lignes haute-tension dans tel comté ; il se trouve qu’il y a également davantage de cas de cancer dans le même comté. Les lignes haute-tension sont-elles responsables des cancers ? Pas obligatoirement. Mais beaucoup de gens aiment sauter à cette conclusion. Nous avons besoin de bien d’autres preuves qu’une simple corrélation pour conclure qu’il y a un lien de causalité.

Un autre sophisme est le sophisme ad hominem, ainsi dénommé parce que c’est une harangue contre la personne présentant un argument plutôt que contre l’argument lui-même. Quelqu’un dit :  «  deux plus deux font quatre » et la réponse est : « vous n’êtes qu’un homophobe patenté. » Bon, il est possible que véritablement la première personne en soit un ( bien que cela ait à être démontré et non simplement affirmé sans preuve), mais même si cela était vrai, il n’en résulterait pas que deux plus deux ne font pas quatre.

Un homme abject qui trompe sa femme peut bien avoir tout à fait raison quand il dit que le cuivre conduit l’électricité ; ce n’est pas contrer son argument que de pointer qu’il est un homme exécrable. Des hommes exécrables présentent des arguments légitimes à longueur de temps et, bien que nous puissions souhaiter que ce ne soit pas le cas, des hommes et des femmes de grande vertu peuvent à l’occasion présenter un argument défectueux. Quoi qu’il en soit, les arguments ad hominem – les arguments qui attaquent celui qui présente l’argument plutôt que l’argument lui-même – sont des argument manquant à la logique, et il ne faut pas être un philosophe de génie pour s’en apercevoir.

Et pourtant, beaucoup du discours politique contemporain est composé de telles attaques ad hominem. Quelqu’un dit : « nous avons besoin d’augmenter les impôts pour équilibrer le budget » et la réponse est : « je vois que vous êtes l’un de ces libéraux dépensiers ». Un autre avance que pour réduire le déficit du budget, il faut réduire les taxes sur l’investissement et il entend : « vous les conservateurs, vous cherchez toujours à enrichir le un pour cent des plus riches sur le dos des pauvres. » Il importe peu que l’orateur soit réellement libéral ou non, ou qu’il s’intéresse si peu que ce soit aux riches. Attaquer la personne d’un opposant semble suffisant à certains pour qu’ils s’imaginent avoir démonté un argument.

Tous les sophismes posent problème, et s’ils ne sont pas dénoncés, ils ne font que brouiller l’argumentation. Mais il y a, je dirais, quelque chose de particulièrement violent dans les arguments ad hominem. Ce ne sont pas seulement des erreurs de raisonnement logique, ce sont des attaques personnelles. Et plus les enjeux sont élevés et les arguments faibles, plus les attaques ont tendance à se faire vicieuses. Les épouses et les amis commencent à être attaqués. Il s’avère que vous êtes ami avec un libéral notoire. Dieu du ciel ! Vos arguments sont clairement frelatés. L’un des plus grands problèmes que nous affrontions dans la politique contemporaine est l’ampleur avec laquelle les gens confondent cet échange oiseux avec un véritable argument.

Il m’est arrivé d’avoir une discussion déstabilisante avec un jeune homme qui, après quelques échanges anodins, m’a déclaré : « oh, vous faites usage de logique ; je récuse cette forme d’impérialisme occidental. » Non seulement chaque déclaration qu’il faisait découlait d’une logique basique telle que « nier, ce n’est pas la même chose qu’affirmer », mais plus tragiquement, avec cette absurde revendication, il se gardait lui-même de tout contre-argument qui aurait pu lui enseigner quelque chose de nouveau.

De même, la tendance qui m’effraie le plus dans le discours politique actuel est l’amplitude avec laquelle nous nous sommes blindés, par nos attaques ad hominem, contre les arguments de l’adversaire. Cela se fait de plusieurs manières, depuis « je n’écouterai pas un fasciste haineux » jusqu’à « vous les intellos vous n’arriverez jamais à nous convaincre que Trump n’est pas l’homme qu’il faut comme président. » Vraiment ? Est-ce que ce n’est pas tout simplement l’aveu d’une ignorance irréfutable ? Imaginez-vous disant au pape Jean-Paul II et au pape Benoît : « vous les grands intellos, vous n’allez jamais me convaincre que l’avortement est un mal. » Prendrions nous cette déclaration comme une condamnation contre ces deux papes ou contre vous-même ?

Les grands intellectuels font des erreurs ; mais les plombiers, les policiers et les irréprochables mères de familles en font tout autant. Alors laissons tomber cette folie des attaques ad hominem et intéressons-nous au contenu des arguments, dont nous ne facilitons pas la compréhension en recourant de plus en plus à la prise de bec plutôt qu’au dialogue. Attaquez les arguments d’un type, il peut vous répondre avec d’autres arguments. Prenez-vous en à son intégrité ou plus idiotement encore à celle de sa femme, vous devrez vous attendre à tout autre chose.

Si vous êtes conservateur, ne pas avoir d’amis libéraux ne devrait pas être compté en votre faveur mais en votre défaveur. L’inverse est vrai pour les libéraux. Nous avons besoin de d’interlocuteurs intelligents et de bon vouloir pour éprouver nos positions comme on éprouve l’or par le feu.

De toute manière, répondre aux attaques ad hominem par d’autres attaques ad hominem ne fait que renchérir dans la stupidité.

Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston (Texas).

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/03/23/ad-hominem-violence/