«C’est en Arménie qu’est situé le paradis terrestre. C’est en Arménie que prenaient leur source les quatre fleuves primitifs qui arrosaient la terre. C’est sur la plus haute montagne de l’Arménie que s’est arrêtée l’arche. C’est en Arménie que s’est repeuplé le monde détruit. C’est en Arménie enfin que Noé, le patron des buveurs de tous les pays, a planté la vigne et essayé la puissance du vin. »
La conversion de Tiridate
Ces lignes sont tirées d’un récit de voyage d’Alexandre Dumas, Le Caucase, qu’il fit en 1859 à travers la Russie et jusqu’en Arménie. On n’est pas obligé de suivre le grand écrivain dans sa lecture de la géographie. N’empêche ! L’histoire de ce pays est indissociable de celle du christianisme, introduit par les apôtres Barthélemy et Thaddée. Le premier subit le martyre à Artaxate, capitale à l’époque de la Grande-Arménie ; le second, selon des sources arméniennes, à Makou, au nord de l’Iran.
L’Arménie s’enorgueillit d’être le premier pays au monde converti au christianisme en 301, avant même que l’empereur Constantin n’accorde la liberté de culte aux chrétiens, en 313. Le pays est alors gouverné par le roi Tiridate IV, qui persécute les chrétiens : il jette dans une fosse Grégoire l’Illuminateur, un saint homme qui refuse de sacrifier à la déesse Anahit, et fait assassiner, avec plusieurs de ses compagnes, Hripsimé, une vierge qui a repoussé ses avances. Pris de remords, Tiridate tombe gravement malade – il aurait été frappé de thérianthropie, c’est-à-dire qu’il se serait transformé en animal, en l’occurrence en sanglier ! Sa sœur le convainc de libérer Grégoire, qui le guérit miraculeusement. Tiridate se convertit alors au christianisme, proclamé religion officielle de l’Arménie. Premier catholicos – chef spirituel – d’Arménie, Grégoire fait construire sur un temple païen, à Etchmiadzine, une église qui passe pour la plus ancienne cathédrale du monde. Plusieurs reliques y sont conservées, dont la Sainte Lance de la Passion et un morceau du bois de l’arche de Noé.
Le saint Illuminateur fonde aussi de nombreux centres de formation chrétienne, renforçant l’unité de la nation autour de la foi chrétienne. Un prêtre, Mesrop Machtots, y contribue de manière décisive en créant, en 405, un alphabet original permettant de traduire en arménien la Bible et les textes liturgiques jusque-là rédigés en grec. À la suite de son baptême, l’Arménie donna de nombreux saints qui, pèlerinant à travers l’Europe, participèrent à l’évangélisation du continent. Et l’église en Arménie prit une part active aux trois premiers conciles : Nicée (325), Constantinople (381), Éphèse (431). Elle se sépara de l’église en 451, lors du concile de Chalcédoine, sur la question de la double nature du Christ. Il existe cependant une Église catholique arménienne, unie à Rome depuis 1740.
Au cœur de l’identité nationale
Bien que distincte de l’Église catholique, l’église apostolique arménienne demeure une sœur, dont Jean-Paul II avait célébré la conversion 1700 ans après l’événement. « Avec le Baptême de la communauté arménienne, naît une identité nouvelle du peuple, qui deviendra une partie constitutive et inséparable du fait arménien », avait-il résumé. C’est bien parce que la foi dans le Christ est « un élément constitutif essentiel » de cette identité que l’Arménie a perduré, malgré les vicissitudes de l’histoire.