En septembre, l’Azerbaïdjan a envahi le Haut-Karabagh – cette enclave arménienne qu’il souhaitait récupérer depuis longtemps. Quelle est la situation actuelle ?
Frédéric Pons : La quasi-totalité des 120 000 habitants du Haut-Karabagh – l’Artsakh pour les Arméniens – ont fui en laissant tout derrière eux. Ils ont été accueillis par l’Arménie qui fait de gros efforts pour les intégrer. Seules sont restées sur place des personnes âgées, handicapées ou trop pauvres pour abandonner leurs maigres biens. Les chrétiens arméniens ne veulent pas subir l’occupation azerbaïdjanaise, redoutant à juste titre des exactions, des vengeances. Ils ne veulent pas vivre sous un régime de discrimination. Beaucoup de cimetières ont été saccagés. Des responsables de l’ancienne république autonome de l’Artsakh sont emprisonnés en Azerbaïdjan, dans des conditions indignes.
Une nouvelle guerre est-elle à craindre ?
Oui. Le régime de Bakou avait annoncé son intention de reprendre la totalité de l’enclave du Haut-Karabagh, perdue en 1994. En 2020, l’armée azerbaïdjanaise en avait reconquis les deux tiers. En septembre, elle s’est emparée du reste. Cet appétit territorial ne s’arrêtera pas là. Le président autocrate Ilham Aliyev revendique des pans entiers du territoire de son voisin chrétien, notamment le Syunik, la région sud de l’Arménie, que les Azerbaïdjanais appellent le Zanguézour. Les Azéris nient l’arménité de cette région. Aliyev prétend que « l’Arménie actuelle est un État artificiel créé sur des terres historiquement azerbaïdjanaises »… Dans la terminologie officielle, Bakou ne parle pas de l’Arménie mais de « l’Azerbaïdjan occidental ». Aliyev et ses amis comparent même les Arméniens à des insectes qu’il faut éliminer. Cette propagande est le premier stade d’un processus génocidaire programmé.
Quelles seraient les conséquences géopolitiques si Aliyev parvenait à ses fins ?
Aliyev et Erdogan, le président turc, poursuivent un vieux rêve des stratèges turcs : établir une continuité territoriale entre tous les peuples turciques, d’Istanbul au Xinjiang chinois, en passant par l’Asie centrale : les Turcs, les Azéris, les Ouzbeks, les Kazakhs, les Turkmènes, les Ouïghours de Chine. Aux XIXe et XXe siècles, les massacres, les déportations et le génocide avaient ouvert la première phase de ce « chantier ». Erdogan et Aliyev poursuivent le même objectif au XXIe siècle. Cette alliance culturelle et géopolitique serait un marché potentiel de quelque 300 millions de personnes, sur 6 000 kilomètres d’ouest en est. Mais la Chine, la Russie et l’Amérique n’ont aucun intérêt à l’apparition de ce nouvel « empire » continental, à la charnière entre l’Europe et l’Asie.
Retrouvez l’entretien complet dans le magazine.
—
L’Arménie va-t-elle disparaître ? Un conflit oublié aux portes de l’Europe, Frédéric Pons, éd. Artège, 2023, 240 pages, 18,90 €.