En ce début d’automne 2023, la question n’est plus de savoir si une troisième guerre aura lieu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais quand elle se déclenchera. L’offensive-éclair lancée le 19 septembre par Bakou contre le Haut-Karabagh (200 morts et 400 blessés, selon les Arméniens), qui a déjà provoqué l’exode de plusieurs milliers d’Arméniens, en montre l’imminence. Trop faible, isolée, mal équipée, l’Arménie – 3 millions d’habitants – n’est pas prête à affronter l’Azerbaïdjan – 10 millions d’habitants.
Épuration ethnique
Après sa victoire lors de la première guerre, en 1994, l’Arménie avait pris le contrôle du Haut-Karabagh – que les Arméniens appellent Artsakh –, cette enclave chrétienne « offerte » par Staline à l’Azerbaïdjan musulman, en 1921. Ensuite, le pays s’était endormi, bercé par son succès et rassuré par le soutien de la Russie. Les dirigeants arméniens ignorèrent trop longtemps l’impressionnante remontée en puissance militaire de leur voisin, grâce à son trésor énergétique, et l’ambition géopolitique affirmée du président Ilham Aliyev, fort de son « lien fraternel » avec la Turquie.
Le peuple arménien a payé très cher cet aveuglement. En 2020, il a subi une lourde défaite, obligé d’abandonner l’Artsakh à son sort. Le régime autoritaire de Bakou n’a cessé de pousser son avantage. Il exerce une pression militaire constante sur les 800 km de frontières qui séparent les deux pays et s’apprête à annexer le Haut-Karabagh, où vivent actuellement 120 000 Arméniens. Bakou veut vider ce territoire de sa population chrétienne. Mollement condamnée par l’ONU et l’Union européenne, cette campagne d’épuration ethnique et religieuse se poursuit. Le succès militaire de l’Azerbaïdjan ne peut que l’accélérer.
Bakou a clairement annoncé ses buts de guerre. Au minimum, contrôler un corridor terrestre et ferroviaire à l’intérieur de l’Arménie, le long du fleuve Araxe, afin de relier son territoire à la Turquie. Au mieux, s’emparer du Syunik, la province méridionale de l’Arménie. Les Azerbaïdjanais l’appellent le Zanguézour. Ils en font une « terre historique des Azéris », comme une grande partie de l’Arménie.
Leur rêve rejoint celui des stratèges turcs : établir la continuité territoriale stratégique des peuples turciques, du Bosphore au Xinjiang chinois, « désarméniser » le Caucase, comme ils l’ont déjà fait en Anatolie, lors du génocide de 1915 – 1,5 million de morts.
Dans le Haut-Karabagh et les villes arméniennes à portée des canons azerbaïdjanais, on se sent abandonné. Malgré le soutien de la diaspora, de nombreuses ONG chrétiennes et de quelques collectivités locales, notamment françaises – les régions Île-de-France ou Auvergne-Rhône-Alpes –, les Arméniens sont seuls. Hier alliée traditionnelle de l’Arménie, la Russie a pris ses distances. Face aux difficultés de sa guerre en Ukraine, elle veut garder le contact avec la Turquie, pour assurer la stabilité en mer Noire et nouer la future négociation de paix. Confrontée aux sanctions internationales, elle a aussi besoin de Bakou pour continuer à exporter son pétrole et son gaz, discrètement.
Le pétrole de Bakou
L’inaction des États occidentaux blesse les Arméniens. Quelques protestations diplomatiques n’y changeront rien. Ils se sentent « vendus » contre les hydrocarbures de la Caspienne. Ils regrettent l’accord gazier stratégique signé en juillet 2022 entre le président Aliyev et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Ce contrat fera passer le volume annuel de gaz azéri fourni aux Européens de 13,5 milliards de m3 à 20 milliards de m3. Le reproche adressé à leurs amis européens est cruel, mais juste : « Votre dépendance acceptée à l’égard de l’Azerbaïdjan vous oblige à baisser les yeux devant sa politique génocidaire. »