Armel Gourmelon, « Un militant parmi d'autres » - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Armel Gourmelon, « Un militant parmi d’autres »

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En refermant le manuscrit des Mémoires d’Armel Gourmelon — qui doivent paraître en octobre prochain aux éditions Frédéric Aimard — on a le sentiment d’avoir été invité à entrer dans la confidence d’une centaine d’histoires d’amitiés : Armel Gourmelon nous a parlé de ses amis, et il en a beaucoup en Anjou, en France et de par le monde. Il nous en a parlé avec simplicité et affection, mais aussi d’une façon concrète avec un sens du détail qui donne de la couleur au récit.

Ces histoires d’hommes et de femmes font plaisir à lire, même si elles ne sont pas toutes drôles. On a envie de connaître tous ces gens. Et d’ailleurs pour en avoir connu un certain nombre, j’approuve. Car évidemment cette route de la vie, qu’a suivie Armel dans l’enthousiasme, a rapproché nos pas et lié notre amitié et celle de nos familles, dans les joies du syndicalisme et aussi dans les épreuves.

Je serais tenté d’y ajouter mes propres d’anecdotes. Il faudrait parler de paëlla dans l’appartement du 13° arrondissement de Paris, de rencontres familiales dans la maison de Chelles, et surtout de nos mille et une aventures syndicales, y compris lors du congrès CFTC de 1987 lorsqu’Armel, à la régie du spectacle, devait trouver une place pour le discours du Premier Ministre, Jacques Chirac, pendant que l’avion des otages du Liban attendait et commençait à faire des ronds dans le ciel de Paris.

Mais je retiendrai surtout ce moment de joie profonde où nous fûmes reçus avec les honneurs par les dirigeants de la JOC au rassemblement de la Courneuve, après les évènements sociaux de 1995, après trente ans d’indifférence. C’était la première fois que la CFTC était ainsi accueillie officiellement par ce mouvement depuis la scission de 1964, qui se limitait jusqu’alors aux relations avec les centrales marquées idéologiquement ! L’action d’Armel y avait contribué significativement.

En tout cas, j’observe qu’en parlant de toutes ces aventures humaines, Armel nous a livré sa propre personnalité : sa simplicité, son affection pour les personnes, à commencer par sa famille, son besoin de fraternité, sa joie de vivre, son sens de l’engagement et de la solidarité universelle, sa fidélité, sa foi. Un « militant » : ce qualificatif est très à l’honneur dans le syndicalisme chrétien. Ce mot est porteur pour nous de valeurs humaines de fraternité, de courage, de don de soi, d’humilité. On ne peut penser sans s’émouvoir aux « militants » CFTC avec qui on a partagé l’action. On peut même évoquer la « prière du vieux militant », publiée à l’intention des syndicalistes chrétiens par le Père Francis De Beer, franciscain.

Il est significatif que l’auteur accorde beaucoup de développements à l’expérience internationale de sa jeunesse. La JOC et le Malawi ont marqué toute sa vie militante de leur empreinte. « Quitte ton pays, ta parenté, la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai ». Cela, il l’a fortement vécu, nous l’avons vécu : quitter un métier, un environnement familial, amical et associatif, déraciner conjoint et enfants pour un projet qui nous dépassait, à leurs risques et périls.

Armel parle presque davantage de cette JOC qui lui a ouvert la route, que de la CFTC qui est pourtant devenue pendant des décennies son engagement de tous les instants. C’est sans doute l’expression de la tension de sa vie, entre le choix de l’enfouissement dans la société fait par la première et le choix de l’affirmation explicite de l’Espérance chrétienne dans la seconde ; avec des confrontations, voire des affrontements qui traversaient les familles et les communautés. Mais Armel, avec Maryvonne, a su tenir les deux bouts de la chaîne, non sans déchirements. C’est armé de cette expérience là que nous l’avons découvert à la CFTC : sa sensibilité « tiers-mondiste » allait nous être précieuse.

Ce qu’il avait entrepris sur le terrain en Afrique, le goût de l’humanité universelle qu’il y avait trouvé, il allait pouvoir lui donner une autre dimension, différente, au sein de la CFTC en se mettant au service de l’action internationale où il était chaudement accueilli dans l’équipe préparée par Jean Bornard. Que d’amitiés nouées, là aussi, avec ces responsables syndicaux des quatre horizons du monde ! On revoit la joie des retrouvailles dans les congrès syndicaux mondiaux ou nationaux.

Armel évoque les grands combats sociaux auxquels il a été présent. On pense évidemment à la Pologne, aux pays de l’Est de l’Europe, à l’Amérique latine et bien sûr à l’Afrique, chère à son cœur. Armel Gourmelon fut notre homme de l’action internationale, dans la foulée de Jean Bornard qui avait eu à la suite de Jacques Tessier un engagement et un rayonnement international considérable.

Au mur de son bureau, un planisphère, hérissé de petits drapeaux marquant autant de pays où il était allé. Impressionnant.

Et autant d’amis et de numéros de téléphone, pour des coups de mains à donner pour un militant emprisonné, un projet à soutenir (des cochons pour Haïti !) une formation à monter, un échange culturel à organiser. Tout cela au sein de la Confédération mondiale du Travail, qui rassemblait les syndicats spiritualistes et notamment chrétiens. Ses dirigeants avaient leurs entrées à Rome et, par leur contact personnel avec Jean-Paul II, ils étaient aux premières loges des grands enjeux sociaux planétaires.

Il n’est pas possible d’évaluer tous ces services rendus. Il n’est pas possible non plus de douter de ce que le syndicalisme français d’inspiration chrétienne peut apporter aujourd’hui à la solidarité internationale, maintenant portée notamment à la confédération par Joseph Thouvenel, Vice-Président. Car de Gaston Tessier (qui fut président de la confédération internationale des syndicats chrétiens) puis Jacques Tessier à Jean Bornard, la CFTC a pris sa part de la construction sociale dans le monde, certes à l’échelle de ses capacités, modestes mais réelles, mais avec beaucoup de générosité. Armel appartient à cette lignée qui doit continuer de porter du fruit.

Il est significatif qu’il nous parle assez peu des responsabilités qu’il a assumées au sein de l’équipe confédérale dans le domaine de la vie interne. Chargé de « l’organisation », une des tâches les plus ardues et les plus ingrates, il s’est heurté à toutes ces difficultés inhérentes à la vie d’une organisation. Il était parfois tenté par la colère ou le découragement dans son bureau qu’il appelait « le bureau des pleurs ». Il fallait remonter le moral des uns, rappeler à l’ordre les autres, et toujours tenir le cap de l’organisation. Il le faisait par fidélité à l’équipe, tout en ayant son cœur à l’action internationale.

La situation du syndicalisme d’inspiration chrétienne s’est compliquée depuis avec la fusion entre la CMT et la CISL, les deux centrales mondiales libres, car au sein de ce gros appareil unique les syndicats d’inspiration chrétienne n’ont plus les mêmes structures pour pouvoir s’écouter et s’entraider, se faire entendre. Nous n’étions guère favorables à cette fusion, tout en en comprenant les raisons, mais il faut être réaliste et surtout regarder l’avenir. Cette situation est un défi pour nos successeurs, qui sont déjà aux prises avec le poids du quotidien et des problèmes nationaux, dans une compétition intersyndicale sans merci et une société assez égocentrique.

L’exemple d’Armel et de tous ces militants du syndicalisme et de l’espérance chrétienne dans le monde nous encourage à chercher les nouvelles voies de la participation à cette solidarité internationale, pour porter à tous les hommes de bonne volonté la sagesse et l’expertise de la vision sociale-chrétienne, qui est universelle. Le monde en a tant besoin ! Nous n’avons jamais été les plus puissants dans le monde syndical, mais chaque génération a cherché ses propres voies. L’extraordinaire mutation de la communication entre les humains qu’apporte l’explosion des capacités de relation, instantanées et universelles, les réseaux sociaux, est pour nous une chance à saisir. On connaît cette théorie du battement d’aile d’un papillon qui peut changer la face du monde. Soyons ce papillon.

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