Après la tragédie de l’école juive de Toulouse, une authentique unanimité nationale s’est établie au point de suspendre la campagne électorale pour deux ou trois jours. L’émotion profonde de toute la population explique cette parenthèse impressionnante où tous communient dans les mêmes sentiments d’horreur et de compassion. Comment les politiques ne participeraient pas de la même sensibilité jusqu’à oublier provisoirement leurs rivalités, leurs arguments, leurs animosités réciproques ? Cependant force est aussi de remarquer que l’unanimité morale n’est que provisoire et que d’ores et déjà elle se fissure même avec des polémiques ouvertes, comme celle qui a opposé Alain Juppé et François Bayrou sur les causes de la violence sociale.
On ne peut s’empêcher en même temps de relever des paradoxes inhérents au débat politique français. Qu’en est-il, par exemple, de la laïcité, ce mot fétiche à l’ambiguïté native. L’idée de la pluralité scolaire et donc de l’existence d’un secteur confessionnel demeure combattue par certains qui n’ont jamais accepté une des réformes fondatrices de la Ve République, celle qui permet l’association d’établissements religieux à une mission de service public. Se révolter contre le crime de Toulouse, ce n’est pas forcément avaliser l’existence d’un établissement juif, fondé sur un caractère religieux propre. Il y a encore un long chemin à faire pour passer d’une laïcité idéologique à une laïcité prudentielle qui harmonise les différences. J’admets que ce n’est pas facile. Encore faut-il préférer le compromis à la rigidité mentale.
Autre exemple : il est difficile de concilier la paix civique avec la surenchère, même verbale. Certes le combat pour la justice a ses impératifs, il y a de justes révoltes. Mais une certaine symbolique révolutionnaire peut provoquer des dégâts. Je ne veux pas quereller trop fort Jean-Luc Mélenchon sur la symbolique de la Bastille, mais si je relis Chateaubriand j’ai le regret de me rappeler qu’il s’est agi d’une sinistre boucherie, et je ne crois pas que les coupeurs de tête aient beaucoup à apporter au progrès social et à la fraternité. Je pensais que depuis François Furet, la réflexion politique s’était émancipée d’une école totalitaire qui a opéré ses ravages jusqu’au Cambodge martyrisé. Français, encore un effort pour prolonger l’unanimité d’un moment d’indicible tristesse.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 21 mars 2012.
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http://www.causeur.fr/tuerie-de-toulouse-ceux-qui-auraient-du-se-taire%E2%80%A6,16599
http://www.scoop.it/t/revue-de-presse-par-la-cftc-hus/p/1462369618/comment-la-police-a-t-elle-retrouve-la-trace-du-tueur-sur-internet
http://www.famillechretienne.fr/societe/justice/drame-de-toulouse-les-catholiques-apportent-leur-soutien-et-prient-pourlesvictimes_t7_s35_d64544.html