N’ayant délibérément pas voulu participer, dans le cadre de cette chronique, aux débats de la campagne des européennes, je suis plutôt mal placé pour tirer la conclusion de leurs résultats. Pourtant je me permettrai d’esquisser quelques remarques générales à leur propos. Je laisse volontairement la question européenne elle-même, non parce qu’elle est mineure mais parce qu’elle est trop compliquée à analyser en quelques termes sommaires. Je préfère m’en tenir à une sorte de constat général. Si les éditorialistes évoquent, avec un bel ensemble, un paysage politique dévasté, c’est qu’il doit bien y avoir des causes proportionnées à cette dévastation. Bien sûr, il est possible de recourir aux concepts de ce que Léon Poliakov appelait la causalité diabolique. Mais ils sont trompeurs et servent d’alibi à une carence d’analyse.
Comment ne pas reconnaître tout simplement que notre continent est en crise, qu’une partie de sa population souffre du chômage et de la réduction de ses moyens d’existence ? Cette crise européenne est apparue dans le contexte général de la mondialisation et de la redistribution des forces qu’elle implique. Raison de plus, affirment certains, de resserrer les liens de solidarité entre nos pays. Peut-être, mais l’affirmation ne suffit pas à convaincre. C’est dû en partie au fait que la cause européenne n’est plus connectée à la dynamique d’une idéologie progressiste comme au temps des Trente Glorieuses. Une vague de mélancolie s’étend sur nous et singulièrement sur la jeune génération. Pierre-André Taguieff, dans l’essai corrosif qu’il vient de publier à ce sujet
1, note que « la gnose progressiste, ultime forme de religiosité de type universaliste a largement perdu de sa crédibilité ».
Lorsque le progrès n’est plus obligatoire, il faut humblement réfléchir à notre condition de Français et d’Européens en essayant de tout mettre sur la table de nos difficultés, de nos impasses, de nos ressources toujours disponibles. Nous ne sommes pas dans les années trente du XXe siècle, nous ne revivons pas les années trente ! Nous attaquons le XXIe siècle, et cela suffit à mobiliser notre lucidité et notre courage.