Le drame effroyable qui s’est produit à la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice suscite en nous des sentiments d’effroi et de colère. De compassion aussi. Comment ne pas garder en soi ces trois chrétiens assassinés dans ce sanctuaire cher aux Niçois. Cette vieille dame en prière, ce sacristain si disponible, cette mère de famille qui meurt en disant son amour des siens. Ils seront gravés dans notre mémoire. Leur mort s’inscrit en nous avec une acuité qui nous oblige à réfléchir le plus profondément possible à ce mal qui s’est attaqué à nous, à la substance de notre nation, depuis plusieurs années. Et ce n’est pas parce que nous portons en nous ce désir de fraternité universelle exprimé par le pape dans sa récente encyclique que nous avons à éluder la question massive qui nous est posée. Oui, l’islamisme constitue un danger redoutable non seulement à l’échelle de notre pays mais à celle du monde. Oui, nous avons à nous en protéger. Et nous-mêmes chrétiens, avons le devoir de nous armer contre sa menace.
Trois chrétiens assassinés à Nice, c’est une abomination que l’on se doit de dénoncer. L’évêque du lieu les porte sur sa conscience, non comme coupable mais comme pasteur responsable de ses fidèles. Et il se doit de dénoncer les coupables, exiger des pouvoirs publics que non seulement les églises soient protégées, mais que le mal lui-même soit éradiqué après qu’il ait été identifié. Chacun agit, évidemment, selon son ordre. Celui des évêques n’est pas celui des politiques. Mais les évêques ont un point de vue particulier sur la pathologie qui est à l’origine du terrorisme. Ils sont à même de donner leur expertise sur son caractère religieux. Certes, il existe une retenue du côté de notre Église, dont beaucoup de responsables craignent que la vindicte n’atteigne les musulmans à travers une remise en cause de l’islam. Mais ce n’est pas rendre service aux intéressés, dont beaucoup sont désireux d’échapper au fondamentalisme, que de faire silence sur ce qui est au cœur de la menace actuelle. Dans son dialogue fameux avec le philosophe Jürgen Habermas, le cardinal Ratzinger n’avait pas hésité à affirmer : « Il y a des pathologies extrêmement dangereuses dans les religions. Elles rendent nécessaires de considérer la lumière divine de la raison comme une sorte d’organe de contrôle permanent de purification et de régulation1. »
Les chrétiens n’ont pas échappé à certaines périodes de l’histoire à ces pathologies, notamment lors des guerres de religion au XVIe siècle. Les massacres de la Saint-Barthélémy constituent la manifestation de cette pathologie, qui ne n’explique pas seulement pour des raisons psychologiques. C’est parce que la relation de la conscience au Dieu vivant et vrai s’est trouvé déréglée que l’abomination du meurtre au nom de Dieu a été rendue possible. Le frère Adrien Candiard a opéré à ce sujet une élucidation théologique qui devrait être utile à tous : « Le problème, avec Dieu, c’est qu’on ne peut pas le maîtriser ni l’utiliser ; s’il est le vrai Dieu, le Dieu vivant, on ne peut s’en saisir pour en faire un instrument de pouvoir2. »
L’élucidation propre à un théologien catholique peut être profitable à tous dans le cadre d’un dialogue interreligieux, et c’est d’autant plus nécessaire qu’en cette matière ce qu’on appelle la laïcité n’est d’aucun secours. Tout simplement, parce que, par principe, celle-ci est hors-jeu par rapport à tout message proprement religieux. Elle n’intervient que pour réguler pratiquement les relations des familles religieuses avec l’État.
Il n’en reste pas moins que l’islamisme, avec ses inclinations terroristes, est du ressort de la puissance publique, qui doit déterminer tous les facteurs propres à nous garantir de ses menaces. La loi qui doit parer au séparatisme a pour vocation de s’attaquer aux ravages des quartiers perdus de la République mais on ne peut éluder non plus les problèmes posés par une émigration incontrôlée, même s’ils ne peuvent être maîtrisés en dehors d’une négociation internationale.
Quoi qu’il en soit, le drame de Nice se doit d’être envisagé sans faux-fuyants, aussi bien à l’échelle de l’État que de notre propre Église.