Après Charlie - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Après Charlie

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Vous avez publié sur le site Internet de France Catholique les réactions d’un certain nombre de vos abonnés pas contents du tout de votre Une et de vos articles concernant Charlie ? Qu’en pensez-vous ?

Frédéric Aimard : Si les amis qui m’ont dit ou écrit qu’ils allaient se désabonner le font réellement et bien nous n’aurons plus qu’à tirer le rideau dans quelques mois…

C’est tout ce que ça vous fait ?

Ca ne me ferait pas plaisir, car France Catho est certainement la plus belle partie de ma vie, j’y ai sacrifié énormément. Mais je commence à me faire vieux. Si nos amis considèrent maintenant que je suis un « gogo catholique », un « collabo » de l’esprit du siècle ou un partisan de la dictature bobo… je trouverai quelque chose d’autre à faire qui aura sûrement tout autant de valeur pour le sens de ma vie…

Mais quand même, les mots ont un sens : « Je suis Charlie » !

Je comprends bien ce que veulent dire ceux qui affirment fièrement « Je ne suis pas Charlie ». D’ailleurs dans le même numéro Gérard Leclerc avait écrit cette phrase textuellement. Et puis je demande qu’on relise mon propre texte à tête reposée. Personnellement, je ne suis pas non plus ce journal dont je n’ai jamais acheté un exemplaire et dont je n’ai que très rarement aperçu les dessins et encore moins les articles. Même si j’avais de la tendresse pour le Cabu du temps de « Pilote » ou pour Bernard Maris, un homme dont la charité en actes et en paroles m’était connue.

Je sais bien que les mots doivent avoir un sens mais, justement, ce n’est pas toujours celui qu’on leur donne. Hier un médecin auscultait ma vieille mère qui disait « J’ai mal au ventre ». Et le médecin me regardait en me disant « Je me demande bien où elle a mal »… Et j’ai été admiratif de ce praticien expérimenté qui comprenait qu’un cri de douleur peut exprimer beaucoup de choses. Donc on a mis « Je suis Charlie » à la une de France Catholique, du même mouvement que des millions de Français ont manifesté dans la rue et ont fait la queue pour avoir leur numéro d’un journal qu’ils n’avaient jamais lu auparavant. Pour ma part, je n’ai pas cherché à me procurer un tel numéro et je ne vais pas m’abonner à Charlie. Ils n’ont pas besoin de moi.

Par ailleurs, vous savez que je travaille aussi un peu pour une agence de presse à destination des hebdomadaires départementaux, l’ACIP, et, à ce titre, je reçois chaque semaine au moins 40 hebdomadaires d’annonces légales, qui ne sont pas très militants et ont des options politiques parfois très divergentes. Or je constate que presque tous on mis à la une le même logo « Je suis Charlie » et l’ont même gardé la semaine suivante… C’est aussi le cas d’un de mes voisins sur sa voiture et à sa fenêtre, de mon boulanger, durant une journée, dans sa vitrine, ce qui ne manque pas de courage même si ne nous sommes pas dans un quartier « défavorisé »… Qui serions-nous donc pour nous distinguer de ce premier mouvement populaire de solidarité nationale face au terrorisme ?

Mais on vous reproche aussi de ne pas avoir mis à la Une les autres victimes : les juifs, les policiers… Et puis d’avoir mis en danger les chrétiens du Niger dont les églises sont incendiées…

F.A. : C’est sûr qu’au moment où nous avons décidé de la Une nous n’avions pas tous les éléments d’information et d’appréciation qu’on a pu avoir seulement quelques heures plus tard. Et que l’incendie des églises en Afrique me terrorise. La seule chose qui me « rassure » c’est de penser que les incendiaires n’ont quand même pas eu le temps de voir la Une de France Catholique… Leurs pulsions meurtrières n’avaient pas besoin de nous pour se déclencher. Je ne pense pas que le prétendu million de manifestants anti-français à Grozny soit de notre responsabilité, même en partie. Ou alors on ne pourra plus jamais rien dire sur quoi que ce soit.

Les dessins de Chaunu ont également beaucoup choqué une partie de votre public, notamment celui où on voit de Gaulle dire aux dessinateurs de Charlie « bienvenue aux résistants »… Et puis vous semblez en remettre une couche en publiant la tribune de vos partenaires américains qui disent que « Charlie hebdo ne suffit pas ! »

F.A. : C’est peut-être l’occasion de rappeler que « je ne suis pas » non plus The Catholic Thing, dont nous essayons de publier la traduction des chroniques presque quotidiennement, mais dont les prises de position me mettent parfois mal à l’aise. Mais je les trouve toujours intéressantes et enrichissantes, ne serait-ce que parce qu’elles nous font découvrir une autre facette du catholicisme mondial, celui de ces catholiques nord-américains très militants… En tout cas, pour ce qui est de l’article de Jason Scott Jone et John Zmirak, je dois dire qu’il m’a en partie soulagé car nous partageons bien, au moins dans la première partie de leur chronique, ce que j’ai tenté d’exprimer dans mon article de ce fameux numéro sur Charlie, à savoir que nous avons en commun avec Charlie de participer à la civilisation des images — même dévoyées, absurdes ou abjectes comme cela arrive souvent pas seulement à Charlie — donc de l’incarnation, contre les iconoclastes… Il y a beaucoup de choses qui sont dites mieux dans cette chronique que je n’ai su le faire moi-même, même si la conclusion nous rapproche dangereusement du point Godwin…

Vous voulez parler de cette allusion à la France maréchaliste. Justement ces grandes foules unanimistes après une catastrophe nationale, ce n’est pas quelque chose qui nous rapproche du pétainisme plutôt que de l’esprit de résistance ?

F.A. : J’ai horreur de ces comparaisons où l’on part toujours du principe qu’on aurait soi-même fait le bon choix. Mais puisque vous y tenez… Bien sûr que j’y ai pensé comme vous à la lecture de la conclusion de l’article américain sur la  » Divine surprise « … L’histoire de nos prédécesseurs à France Catholique est à cet égard complexe. Ils n’étaient pas de gauche, mais ce serait malhonnête de les qualifier d’extrême-droite… En tout cas Pétain n’était pas « leur copain ». Castelnau avait peu de considération pour le militaire Pétain et probablement de la répulsion pour ses mœurs. Cela l’a-t-il aidé à voir juste, à refuser tout compromis dans ses éditos régulièrement « caviardés » par la censure ? A encourager la résistance de ses amis proches et de ses enfants et petits-enfants ? Son adjoint, plus jeune, Jean Le Cour-Grandmaison, qui avait été un des théoriciens du corporatisme, a cru lui que la « Révolution nationale » était une chance pour la France… Il s’est laissé entraîner dans l’unanimisme vychiste 1 d’après la défaite militaire. Cela n’en a pas fait un salaud ni un imbécile pour autant, encore moins un collabo et d’ailleurs personne n’a imaginé l’inquiéter à ce sujet après-guerre…

Et pour conclure, sur Charlie ?

F.A. : Il n’y a que les historiens qui peuvent prétendre conclure… Aujourd’hui, on peut nous critiquer et même nous faire payer notre prise de position de la semaine dernière à l’unisson du plus grand nombre. On peut penser qu’on est tombé dans un piège que des stratèges habiles auraient pu nous éviter. Mais ce qui est fait est fait. A nous maintenant d’essayer d’en tirer le meilleur et de tenter de nous sortir du guêpier de la haine. Tentons d’être lucides. Ce qui compte vraiment, c’est ce qu’on va faire pour être nous-mêmes ou du moins ce que nous prétendons être, si ça ne vous paraît pas trop pompeux : des chrétiens, d’authentiques défenseurs de la civilisation de l’Amour, celle promue par Paul VI.

http://www.france-catholique.fr/S-abonner-a-France-Catholique.html

  1. Je recommande la lecture de François-Marin Fleutot, Voter Pétain ? qui montre, entre autres choses, que ce qui compte ce n’est pas tellement comment on a réagi sur l’événement, mais ce qu’on fait ensuite.