À quoi peut-on attribuer cette décision de la Cour suprême ?
Matthew Bunson : Dans les faits, la décision de la Cour suprême trouve son origine dans une loi de l’État du Mississippi, datant de 2018, voulant interdire l’avortement après quinze semaines, soit avant la viabilité du fœtus, qui avait été la mesure retenue par un arrêt de 1992 de la Cour suprême. Cette loi du Mississippi a gravi les échelons judiciaires, jusqu’à arriver au stade ultime de la Cour suprême, afin d’y être tranchée, cassant l’arrêt Roe vs Wade.
Elle n’est qu’une illustration de la détermination de certains États à voir leurs lois restreignant l’avortement – dans un mouvement qui annonçait l’interdiction totale – « remonter » les juridictions jusqu’à arriver à la Cour suprême. Nous assistons au résultat de plus de 50 ans d’efforts du mouvement pro-vie aux États-Unis, de plusieurs générations, qui ont remis en cause la constitutionnalité de l’arrêt Roe vs Wade.
Il y a aussi eu le coup politique de Donald Trump lors de son mandat : la nomination de trois juges pro-vie à la Cour suprême…
Cela a vraiment été une question d’opportunité. Pendant des années, nous avions une Cour suprême censée être conservatrice et qui, pourtant, soutenait des lois que rejetait le mouvement pro-vie. C’était cette même Cour qui avait, par exemple, autorisé le mariage homosexuel !
Quel rôle les évêques américains ont-ils joué ?
Ils ont été les porte-voix des catholiques pour défendre et articuler le droit et la dignité des enfants à naître. Dès que la décision est parue, ils ont dit que ce jour était « historique » et n’ont pas hésité à évoquer la mort, depuis 1973, de « dizaines de millions d’enfants à naître » ! Les évêques ont aussi noté que la décision est le fruit des « prières » et des « sacrifices » d’Américains du quotidien, engagés pour la défense de la vie. Ils dessinent aussi ce que doit être l’Amérique « post-Roe vs Wade » : nous devrons travailler à guérir les blessures et les divisions sociales. Il est l’heure d’avoir un dialogue civil, que nous n’avons pas en ce moment. Les évêques rappellent également qu’il faut désormais « construire une société et une économie qui soutiennent le mariage et les familles et où chaque femme aura l’aide et les ressources pour accueillir la vie et aimer ces enfants ». Nous avons déjà des centres pour aider les femmes qui font face à des grossesses non désirées. L’ironie de la situation est que, ces derniers jours, ces centres – qui témoignent du soutien de l’Église et des catholiques pour ces femmes et leurs enfants –, sont attaqués par les pro-avortement opposés à la décision de la Cour suprême.
Que dit cette décision de l’engagement des chrétiens dans l’action politique ?
Je pense que la réponse a été donnée, au début des années 2000, par la Congrégation pour la doctrine de la foi : les catholiques ont une obligation à participer à la vie politique.
L’Église met en garde contre une forme de schizophrénie ou, tout du moins, une double vie : dans l’une, vous vous dites catholique mais, dans l’autre, vous n’utilisez pas l’immense sagesse des enseignements de l’Église pour nourrir vos décisions politiques. Les catholiques doivent travailler à établir un consensus sur le bien commun, même s’il est désormais difficile, pour nos contemporains, de le définir… C’est justement pour cette raison que la patience et les prières des catholiques, ainsi que le leadership des évêques catholiques sera si important dans les années à venir. Le paysage politique, économique et social américain change vite. Le terrain est mouvant. Les catholiques vont devoir sortir de chez eux, évangéliser et travailler avec les autres Américains.