Appropriation de la Doctrine sociale de l’Église pour des objectifs partisans - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Appropriation de la Doctrine sociale de l’Église pour des objectifs partisans

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On trouve d’intéressantes choses en lisant les documents du second concile du Vatican. L’autre jour, je parcourais Gaudium et Spes, le document dont Jean-Paul II fut l’artisan lorsqu’il était évêque, et je suis parvenu à ceci :

Aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières. Lorsqu’ils agissent, soit individuellement, soit collectivement, comme citoyens du monde, ils auront donc à cœur, non seulement de respecter les lois propres à chaque discipline, mais d’y acquérir une véritable compétence. Ils aimeront collaborer avec ceux qui poursuivent les mêmes objectifs qu’eux. Conscients des exigences de leur foi et nourris de sa force, qu’ils n’hésitent pas, au moment opportun, à prendre de nouvelles initiatives et à en assurer la réalisation. C’est à leur conscience, préalablement formée, qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre. (§43, v.94)

C’est l’objectif bien connu (mais trop rarement reconnu) du Concile sur le rôle indispensable du laïcat comme levain dans la société.

Le Concile poursuit par un avertissement :

Qu’ils ne pensent pas pour autant que leurs pasteurs aient une compétence telle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et immédiate à tout problème, même grave, qui se présente à eux, ou que telle soit leur mission.

Je ne sais pas combien de laïcs souffriraient encore de cette illusion. Mais quoi qu’il en soit, le concile propose une voie différente :

Mais plutôt, éclairés par la sagesse chrétienne, prêtant fidèlement attention à l’enseignement du Magistère, qu’ils prennent eux-mêmes leurs responsabilités.

Curieusement, après le concile, au lieu que les laïcs « assument leur propre rôle distinctif », certains se sont précipités à l’autel dans une course folle, pas pour s’y marier, mais pour faire les choses que font les prêtres : prêcher, donner la communion et se prononcer sur les doctrines centrales de l’Église. C’est comprendre complètement de travers ce à quoi le concile du Vatican a appelé.

Mais il y a plus. Voyons ce passage :

Fréquemment, c’est leur vision chrétienne des choses qui les inclinera à telle ou telle solution, selon les circonstances. Mais d’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement, comme il advient souvent et à bon droit. S’il arrive que beaucoup lient facilement, même contre la volonté des intéressés, les options des uns ou des autres avec le message évangélique, on se souviendra en pareil cas que personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Église. (§43, v.96)

Là, le concile établit clairement que la tâche d’appliquer prudemment les principes généraux bibliques et moraux énoncés par l’Église aux circonstances spécifiques de chaque pays appartient bien aux laïcs, les membres du Corps Politique de chaque pays.

Malheureusement, il y a des clercs qui, contrairement aux enseignements et exhortations de leur Eglise, commettent l’erreur d’entrer trop avidement dans l’arène politique, se rangent du côté d’une partie contre une autre, ce qui est une chose qu’ils ne devraient pas faire sauf s’il y avait une claire violation de la loi naturelle comme, par exemple, dans le cas de l’esclavage, ou du traitement des Juifs par les nazis, ou de l’avortement des enfants.

Ce qui dit l’Église est que, dans la plupart des cas, le travail du clergé est d’énoncer les principes moraux fondamentaux et de laisser aux laïcs le soin de les appliquer prudemment et de débattre de ce que doit être une application prudente de ces principes. L’Église ne doit entrer dans le débat que pour réitérer les principes de base, indiquer les interprétations problématiques, ou restreindre les ecclésiastiques qui deviennent trop partisans ou politiques.

Sur ce point, je ne voudrais pas être mal compris. Il est certain que le travail des successeurs des apôtres est de rappeler à la nation ses obligations vis-à-vis des veuves et des orphelins, des pauvres et des déshérités, de la justice due à ceux qui n’ont pas de pouvoir ni se statut dans la société. Et ils peuvent parfois devoir appeler les fonctionnaires de l’État et les citoyens à rendre compte des politiques qui sont clairement injustes.

Mais notez bien : « Personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Église. » Est-ce que quelqu’un a envoyé ce mémo à la faculté de l’Université Georgetown lorsqu’elle s’est opposée à un discours de Paul Ryan parce que ses propositions budgétaires étaient soi-disant contraires à la doctrine sociale de l’Église ?

Est-ce qu’il ne se produit pas beaucoup trop souvent, que des gens avec des propositions de bonne foi sont rejetés parce que leurs propositions ne sont pas vues comme en accord avec ce que l’élite de la justice sociale catholique pense des positions demandées ? Et pourquoi, dans les années 1980, les évêques ont-ils établi des lignes directrices dans des domaines où ils n’avaient aucune expertise, plutôt que de se soucier des abus liturgiques, de la pourriture morale et de la dissolution de l’éducation catholique dans leurs propres diocèses ?

L’enseignement de l’Église sur la justice sociale constitue une ressource inestimable, et pas un club pour frapper sur la tête des autres. Il est destiné à inspirer un dialogue critique, pas le clore. Je crains que certains, dans la communauté de la justice sociale, souffrent d’une « ecclésiologie pré-Vatican II » dans laquelle les évêques, les prêtres et les théologiens disaient simplement aux laïcs ce que « de bons catholiques » devaient faire, plutôt que de seulement établir les principes fondamentaux et laisser la créativité des laïcs trouver différentes façons de les appliquer et choisir les meilleures.
Chaque évêque, prêtre, et professeur de doctrine sociale de l’Église (et, pour tout dire, j’en fais partie) doit rappeler aux gens ces passages lorsque les media demandent un commentaire et dire : « Je ne suis pas un expert dans ce domaine particulier, et même si je l’étais, mon avis ne serait qu’un avis parmi beaucoup d’autres ; ce n’est pas à moi d’émettre un jugement final sur la manière dont les enseignements de l’Église doivent être appliqués. »

Les clercs et les théologiens qui persistent dans cette sorte de pensée « du haut vers le bas » sur la Doctrine sociale de l’Église ont besoin de relire Gaudium et Spes et de vivre avec leur temps.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/04/24/appropriating-catholic-social-teaching-for-partisan-purposes/

Image : Un peu de levain par James Janknegt, 2008 [Trinity Presbyterian Church, Nashville, TN]. Jim Janknegt est un lecteur assidu de TCT. On peut voir ses œuvres (et les acheter) sur son site Internet en cliquant ici.

Randall B. Smith est le titulaire de la chaire de théologie de l’Université de St. Thomas à Houston. Son dernier livre, Reading the Sermons of Thomas Aquinas: A Beginner’s Guide (« Lecture des sermons de Thomas d’Aquin : un guide pour débutants »), est maintenant disponible chez Amazon et aux Presses Académiques Emmaüs.