J’ai essayé de comprendre ce qu’était « l’appropriation culturelle ». je ne dis pas que cela n’existe pas ou que ce n’est pas un problème. Je reconnais simplement que jusqu’ici je ne comprends pas ce que c’est.
Il y avait une bachelière, en Utah il me semble, qui voulait aller au bal de sa promotion dans une tenue seyante, mais pas aguichante, ce qui semble être devenu la mode, non seulement pour les robes de bal mais également en général chez les riches pour les vêtements destinés aux réceptions huppées. Il se trouve qu’elle est tombée sur une charmante robe chinoise dans la galerie marchande du coin, et bien que n’étant pas expert en la matière, je la trouve particulièrement mignonne dedans.
Mais la photo d’elle dans cette robe est devenue virale sur internet, relayée par des gens choqués de son « appropriation culturelle ». « Ma culture n’est pas votre robe de bal de promotion » s’offusque un commentateur indigné, un commentateur dont je n’ai toujours pas compris la syntaxe car à ce qu’il me semble, logiquement parlant, une robe n’est en aucune façon une culture.
Il doit cependant y avoir quelque chose de problématique ici puisque plusieurs milliers de personnes ont écrit des messages à cette jeune femme pour lui reprocher son « appropriation culturelle ». (Et j’ai coutume de penser que les femmes qui s’inquiètent de ce que pensent les autres des vêtements qu’elles portent sont paranoïaques.)
Fort heureusement, des centaines de milliers d’autres, y compris des Chinoises, lui ont écrit pour lui dire qu’elle était charmante ainsi et que cette robe était appropriée à l’événement. Vu le nombre de réponses, cette jeune fille devrait au moins être pardonnée pour ne pas savoir où se trouve la ligne qu’elle a prétendument franchie.
Une chose très avisée que Thomas d’Aquin a dite à propos de la loi, c’est qu’elle doit être promulguée si on veut que les gens la respectent. Une règle que personne ne connaît n’est pas vraiment une règle. Si ce n’est que c’est une de ces règles dont les enfants modèles savent que lorsque vous les violez, vous accumulez des charbons ardents sur votre tête.
N’étant pas moi même un enfant modèle, j’ai rarement connu leurs règles, mais j’essaie de faire un effort méritoire, bien que ce ne soit pas toujours facile. Puisque des milliers de femmes chinoises soutiennent l’adolescente de l’Utah, je suis indécis : le crime « d’appropriation culturelle » est-il constitué ou non ?
Un autre problème est que j’étudie les grands théologiens médiévaux comme Thomas d’Aquin. Thomas « s’est approprié » des matières venues des anciens Grecs et Romains tels qu’Aristote et Cicéron, d’autres venues des premiers Pères de l’Eglise, grecs et latins, tels qu’Irénée, Augustin, Jean Chrysostome et Jean Damascène, de penseurs juifs comme Moïse Maïmonide, de penseurs arabes musulmans comme Averroès et Avicenne, pour ne pas mentionner qu’il est un Italien entré dans un ordre fondé par un Espagnol (Dominique Guzman) et qu’il a étudié sous la férule de l’Allemand Albert le Grand avant d’achever ses études à l’Université de Paris.
Si s’approprier les richesses d’autres cultures est criminel, alors Thomas d’Aquin est criminel à la puissance dix.
Mais il n’est pas le seul. Thomas a été particulièrement impressionné par Saint Paul, qui peut bien avoir grandi en parlant l’araméen, comme le Christ, mais que son éducation de Juif pharisien a mené à lire les textes anciens en hébreux. Il était également citoyen de Rome, ce pour quoi il y a été envoyé pour y être jugé, donc il connaissait probablement le latin. Et pourtant toutes ses lettres ont été écrites en grec. Il a voyagé au sein des cités grecques d’Asie Mineure (l’actuelle Turquie), prêchant d’abord aux Juifs, puis aux Gentils, ensuite il s’est dirigé vers les cités grecques classiques comme Thessalonique, Corinthe et Athènes, où il a discuté avec les philosophes grecs et où il a écrit l’une de ses plus célèbres lettres, la lettre aux Juifs de Rome. Parlez-moi d’appropriation culturelle !
Le fait est que j’ai toujours pensé que cette sorte de multi-culturalisme était supposé être une bonne chose, l’une des choses qui leur avait permis d’être des penseurs et des écrivains aussi féconds. Ils étaient capables de tirer parti de plusieurs cultures différentes. De fait, je pense que l’une des choses qui a fait de l’Amérique un grand pays a été de fédérer différentes cultures.
Vous allez en France, vous mangez français. Vous allez en Espagne, vous mangez espagnol. Quand est-il de la cuisine américaine ? Des tex-mex. Des frites françaises. Des hamburgers, nommés ainsi d’après la ville allemande de Hambourg. Des sushis (du Japon). Des pizzas (d’Italie). Des sandwichs grecs. Du houmous (du Proche-Orient). Du taboulé (du Liban). De la tarte néerlandaise. Du gâteau au chocolat allemand. (Je me sens affamé tout à coup.) De la bière tchèque, belge, mexicaine, allemande, japonaise. Vous saisissez l’idée.
En passant, qui s’est approprié la bière et aux dépends de qui ? Est-on seulement capable de répondre à cette question ? Et si nous découvrons que quelqu’un s’est approprié culturellement la bière originellement chinoise, exigerons-nous que les brasseries belges, mexicaines ou du Michigan ferment leurs portes ? Je ne sais pas. Mais encore une fois, je ne comprends pas « l’appropriation culturelle ».
j’ai donc demandé à une amie qui est bien plus sensibilisée que moi à ces problématiques de me donner un exemple d’appropriation culturelle afin que je sois moi aussi convenablement sensibilisé. Elle a réfléchi un moment puis m’a dit : « en voici un : les gens qui s’habillent en vert et se saoulent le jour de la Saint Patrick. » Elle a poursuivi sévèrement : « c’est la fête d’un saint et les Irlandais ne sont pas tous ivres. C’est donc irrespectueux ! »
« Et il y a aussi Mardi Gras – des gens décidant de se saouler lors d’un de nos congés religieux. Et encore les gens qui se déguisent en religieuses dévergondées pour des soirées d’Halloween, ou des stars du rocks comme Madonna, portant un crucifix avec une tenue glauque. Le gala du Metropolitan, avec sa collection de vêtements impudiques inspirés de tenues papales. Justin Trudeau s’habillant d’une « authentique » robe indienne que personne ne porte plus à l’heure actuelle. Grandir dans l’aisance et continuer de clamer que l’on fait partie d’une minorité persécutée. C’est gens s’approprient des symboles culturels d’une façon irrespectueuse de leur origine et de leur histoire. »
« Peut-être bien » ai-je répondu « mais plein de gens, y compris nombre de libéraux trouvent les choses que tu viens de mentionner tout à fait acceptables et ne cessent de les pratiquer. »
« Exactement » a-t-elle rétorqué.
« Oh, parfait, je me fais une idée. » Mais je suis toujours un peu perdu. Serait-ce de « l’appropriation culturelle » si moi, arrivant de l’extérieur, je fais mienne l’opinion d’une tierce personne sur l’appropriation culturelle ?
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Randall B. Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint Thomas de Houston.
Illustration : la jeune Keziah Daum de l’Utah portant la robe si décriée
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/05/26/cultural-appropriation/
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