Apprendre à aimer Raoul de Cambrai. - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Apprendre à aimer Raoul de Cambrai.

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La littérature arthurienne (le roi Arthur est le fil directeur de l’imaginaire chevaleresque) est particulièrement optimiste en ce qui concerne le caractère des chevaliers, bien que l’accent soit toujours mis sur le « vrai » chevalier. Les contes d’Arthur, Lancelot, Gauvain et les autres étaient, de 1100 jusqu’à environ 1400, le divertissement principal de l’époque, le tout début du roman.

Les écrits non fictionnels de l’époque, rares et souvent aussi extravagants que des fables, racontent pourtant une histoire plutôt farouche des chevaliers.

L' »âge de la chevalerie » était souvent bestial et fréquemment tartufe. Une histoire suffira pour illustrer pourquoi le sentimentalisme à propos du Chevalier est indécent.

Il y a une chanson de geste, une parmi les près de deux cents ballades « françaises » de cette période (la France n’était pas encore vraiment la France), écrites par des trouvères ou troubadours sur les paladins des 11e et 12e siècle, concernant un grand héros, un certain Raoul de Cambrai. Il est d’une sous-catégorie spécifique : les vassaux rebelles. L’auteur jure qu’il s’agit d’un témoignage oculaire.

Raoul est catholique, fils loyal de l’Eglise, bien qu’il soit peut-être un converti récent d’un quelconque paganisme. L’hypothèse de sa « foi » rend plutôt choquant de lire comment il rase un couvent durant une de ses campagnes en Côte-d’Or.

Plus tard, sous sa tente, nettoyant ses vêtements de la poussière et des cendres, lavant ses mains souillées de sang, il demande à son sénéchal : « prépare moi à manger, tu me feras un grand bienfait. » (Tuer des nonnes ouvre un appétit dévorant chez un homme). Raoul est très précis sur ce qu’il veut : « des paons rôtis, des cygnes bouillis et de la venaison en abondance ». Et il veut voir chacun de ses hommes repu car, dit-il « je ne veux pas, pour tout l’or d’une ville, que mes barons me croient pingre ».

Mais le sénéchal a la langue bien pendue. Au risque d’être tué et mis en pièces, il blâme son suzerain : « Au nom de Notre-Dame, s’exclame-t-il, à quoi pensez-vous ? Vous reniez le saint christianisme, votre baptême et le Dieu de majesté ! C’est le Carême, quand tous doivent jeûner, c’est le Saint Vendredi de la Passion, jour où les pécheurs ont toujours honoré la Croix. »

Ici, pas de doute, sa voix commence à trembler de honte et de colère : « et nous, misérables, nous sommes venus ici, nous avons brûlé les nonnes, violé l’église, nous ne serons jamais réconciliés avec Dieu tant que que sa pitié ne sera plus grande que notre vilenie. »

C’est au tour de Raoul d’être frappé d’horreur. Il montre au sénéchal un poing menaçant : « Fils d’esclave, commence-t-il – et on peut imaginer l’air de répulsion qui s’inscrit sur le visage du chevalier – et il hurle à son régisseur tremblant : Ces damnées nonnes ont eu l’audace d’insulter deux de mes écuyers ! Elles devaient payer pour cela – et payer chèrement. Et, par Dieu, elles ont payé ! Il est stupéfait de l’effronterie et de la naïveté de son subalterne. Le sénéchal d’un si grand seigneur aurait dû comprendre les usages du monde.

Mais ensuite Raoul soupire, et son poing menaçant retombe à son côté. « Quand même, il hausse les épaules, tu as raison : j’avais oublié que c’était le Carême. » Alors Raoul, son repas privé de viande, s’assied pour jouer aux échecs avec un de ses barons. Comme un commentateur érudit de la chanson de geste le résume ironiquement : «  »ainsi les quarante jours du Christ dans le désert furent-ils pieusement commémorés ».

Depuis le tout début de la chevalerie, les hommes ont été tristement conscients de l’écart entre l’idéal et la réalité, ont été conscients de la tension entre le tempérament sanguin et le noir dépit. Mais les premiers chevaliers, qui avaient juré de protéger les faibles, même quand ils les foulaient aux pieds, n’étaient pas pour autant des hypocrites, c’est seulement qu’ils estimaient hiérarchie et fragilité humaine d’une façon qui n’est plus la nôtre.

Ils connaissaient la différence entre le bien et le mal au moins aussi bien que nous mais il leur manquait notre optimisme sur le caractère et la primauté du bien. Et ils pensaient que le statut social était ordonné par le destin, c’est-à-dire par Dieu.

L’autorité de la loi était imparfaite. Il y avait une survivance du droit romain et une loi commune, évoluant lentement, qui servait à régler certains conflits et ce que nous considérons avec confiance comme la justice à l’heure actuelle était alors brouillé par l’absence de constitutions, concepts de droits civils et mise en application professionnelle de la loi. La justice était adéquate à l’époque et hautement subjective ; il semblait à beaucoup dans la société qu’il n’y avait pas d’alternative à la hiérarchie oppressive des privilèges, comme par exemple le droit du seigneur, la règle qui voulait que le seigneur puisse avoir des relations sexuelle avec la fiancée d’un vassal lors de leur nuit de noce. Bien que cette revendication ait été honorée davantage dans la renonciation que dans l’observance, elle se dressait comme un rappel glacial de l’autorité du seigneur.

Puis, de nouveau, au cours des XIe et XIIe siècles, il y a eu un abandon graduel des droits féodaux : les serfs sont devenus des paysans et ont commencé à avoir quelques droits de propriété. Des revenus croissants ont amené une certaine mobilité, les cités européennes ont commencé à grandir, les artisans et commerçants à prospérer. Différentes contraintes – légales, éthiques et religieuses – ont commencé à modérer le sentiment irréfléchi de son statut qu’a le chevalier.

Ce n’est pas que la chevalerie n’ait jamais existé. Au contraire, et surtout dans l’imaginaire des hommes bons. Peut-être pourrions-nous dire de la chevalerie ce que G.K. Chesterton disait de l’idéal chrétien : « il n’a pas été essayé et trouvé désirable. Il a été trouvé ardu et laissé inessayé. »

Raoul a vécu par l’épée et est mort par l’épée. Il avait l’étoffe d’un vrai chevalier, sauf qu’il manquait de courtoisie et de franchise. Il manquait d’un coeur affectueux et d’un esprit noble.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/learning-to-love-raoul-de-cambrai.html


Brad Miner est rédacteur en chef de The Catholic Thing, maître de conférence à l’institut Foi & Raison et membre du conseil d’administration de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA.