Le point culminant de la civilisation américaine a certainement été le 6 février 1971. C’est le jour où un homme a joué au golf sur la lune. Nous nous y étions déjà posés, nous y avions fait des expériences et ainsi de suite. Mais les hommes vont toujours trouver moyen de jouer au golf.
Ce qui est amusant, c’est que l’astronaute (Alan Shephard) qui a introduit clandestinement dans le vaisseau spatial un club télescopique de 6, a également introduit en contrebande non pas une mais deux balles de golf. Il s’était autorisé à l’avance un « mulligan » ! Ce dont il a eu besoin. Il a mal frappé la première balle, plus comme un tir de bunker lunaire. Mais le second tir était parfait. « Elle a fait des kilomètres et des kilomètres ! » s’est-il exclamé en jubilant comme un gamin.
Vous pouvez trouver cette vidéo sur internet, tout comme la vidéo des premiers pas de Neil Armstrong. La qualité de l’image n’est pas bonne. Les vidéos venant alors de la lune étaient comme le chien de Samuel Johnson marchant sur deux pattes : le miracle n’était pas que ce soit bien fait, mais tout simplement que ce soit fait.
Mais il se trouve que tout le reste de la mission lunaire originelle nommée « Apollo 11 » a été filmé méticuleusement par des caméras de 70mm haute définition. L’objectif principal était d’aider les ingénieurs, mais cela a eu accessoirement un objectif historique. Le documentaire qui est sorti vendredi dernier, « Apollo 11 », est presque entièrement composé de montages experts de séquences filmées par ces remarquables caméras.
Le film est étrange pour un documentaire, car il n’a pas de narrateur, pas de retours en arrière, pas de présentation du contexte, pas d’explication en arrière plan, pas de panoramiques dans le style Ken Burns. Il commence avec la préparation du lancement et se termine avec le retour des astronautes sur terre et leur mise en quarantaine.
Oui, le récit est porté ponctuellement par la voix off de Walter Cronkite, le célèbre présentateur de télévision, et par les échanges professionnels animés entre les astronautes et les techniciens de la tour de contrôle. Mais le sujet est si fascinant et prenant qu’il n’est pas besoin d’ajouter une narration.
C’est l’un de ces films qui doivent vraiment être projetés en IMAX ou l’équivalent. Vous avez besoin d’un écran triplex pour avoir une idée de ce que c’est d’assister au transport par un tracteur d’un lanceur Saturne V depuis le hangar d’assemblage jusqu’au pas de tir. Certaines scènes sont tout bonnement incroyables.
Les séparations en vol des étages de la fusée : quelle sorte d’objectif photographique peut donner l’impression que vous êtes dans une autre fusée volant côte à côte avec l’autre ? La mise à feu filmée d’en dessous des réacteurs : comment la caméra n’a-t-elle pas fondu dans cet enfer quasi solaire ?
La prodigieuse fusée Saturne V culminait à près de 110 mètres et approchait trois mille tonnes. Ma scène préférée a été de regarder ce gratte-ciel de 30 étages décoller du sol (il semblait grogner!) et ensuite s’élever et disparaître dans le ciel.
Evidemment, le film a été réalisé pour le 50e anniversaire de la mission. Et pourtant, si je l’ai correctement captée, l’atmosphère du cinéma n’était pas celle d’une commémoration. Nous commémorons une chose que nous avons faite par nous-mêmes. Regarder ce film, c’est comme être spectateur, comme si un autre pays qui nous est étranger accomplissait de grandes choses. Nous en sommes si éloignés que nous ne savons même pas ce que ce serait de vouloir faire quelque chose de similaire.
Certaines différences ressortent, comme ce serait le cas si on voyageait dans un pays étranger. Dans les scènes de foule, les gens se regroupent naturellement par familles. Il y a sensiblement plus d’enfants que d’adultes. Il semble y avoir une certaine innocence d’expression sur les visages des gens et dans leur manière de parler. Il y a un plus grand sens du décorum : par exemple, les techniciens portent tous des chemises blanches et des cravates noires. L’énorme science et la technique mises en œuvre semblent être considérées comme ordinaires.
Pour sûr, certaines de ces différences sont éthiquement stressantes : dans les rangs des techniciens à leur console, aucun n’est noir, et il n’y a qu’une femme. Mais le film ne propose pas de jugement sur les injustices sous-jacentes, contrairement au film « Apollo 13 » où la condition relativement frivole des épouses d’astronautes était un thème sans équivoque. Alors, ici également, le sentiment de pays étranger ne fait que se renforcer – puisque nous sommes préparés à condamner une société seulement si nous nous y attachons parce qu’elle a certains points communs avec la nôtre.
Le film s’achève avec une rétrospective du président John F. Kennedy tenant son célèbre discours où il engage le pays à poser un homme sur la lune avant la fin de la décennie. C’est pourquoi il a semblé important à l’époque que Apollo 11 ait réussi en juillet 1969. Mais Kennedy avait tenu son discours en 1961, ce qui procure une meilleure clef pour comprendre le film.
L’Amérique de 1961 n’était qu’à 15 ans de la Deuxième Guerre Mondiale, ce qui veut dire qu’elle était bien plus proche de la guerre que de nous aujourd’hui. Avec le recul, les missions spatiales ressemblent à une prolongation de la guerre. Nous avons renforcé un puissant « complexe militaro-industriel » dans le bon sens, pour gagner la guerre, après un engagement relativement court.
Qu’allions-nous faire après cela, avec toute cette compétence et cette puissance accumulées ? Non pas mener une guerre « chaude » contre l’Union Soviétique. Les missions spatiales, alors, appartenaient à cette autre nation, qui avait autre chose à faire après avoir défait les impérialistes nazis et nippons.
Ou alors considérons les choses de cette manière. L’Amérique de 1961 était à moins d’un siècle de la Guerre de Sécession. Mais le pays n’a vécu que la moitié de cette durée depuis Apollo 11. Demandons-nous alors : à notre époque, avons-nous accompli la moitié de ce qui a été accompli durant la période qui va de la bataille de Manassas jusqu’à la base de la Tranquillité ?
Facebook et le iPhone sont-ils nos grandes contributions ? Transformer Harry en Sally notre grande cause ?
Un astronaute actuel imiterait-il Buzz Aldrin (deuxième homme à poser le pied sur la lune et presbytérien fervent) et emporterait-il la Sainte Communion pour la consommer dans une circonstance aussi impressionnante ?
Que faisons-nous, où allons-nous, qui sommes-nous ? « Pourquoi restez-vous là à fixer le ciel ? » ont demandé les anges (Actes 1:11). On peut voir les questions ici, mais pas les réponses.
Michael Pakaluk, spécialiste d’Aristote et ordinaire de l’Académie Pontificale Saint Thomas d’Aquin est le doyen intérimaire de l’école d’industrie et de commerce Busch, à l’Université Catholique d’Amérique. Il vit à Hyattsville (Maryland) avec son épouse Catherine, enseignante dans le même établissement, et leurs huit enfants.
Illustration : l’affiche du film « Apollo 11 »
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/05/apollo-11/