20H17 (temps universel). Le module lunaire Eagle vient de se poser sur la mer de la Tranquillité. A son bord, Neil Armstrong et Buzz Aldrin ne doivent pas se laisser submerger par l’émotion. Leurs gestes sont millimétrés et minutés, tandis que leur camarade Michael Collins, à bord du module de commande, est resté en orbite en attendant de les récupérer. Pourtant, malgré l’intensité du moment, Buzz Aldrin suspend quelques instants les procédures. L’ex-as de l’US Air Force, devenu astronaute, s’empare d’un sachet en plastique duquel il extrait un récipient contenant du vin, un morceau de pain et un petit calice qui lui ont été fournis par l’église presbytérienne de Webster, située près d’Houston.
Dans le micro qui le relie au poste de commandement de la NASA, il prononce alors quelques mots : « Je vous demande quelques instants de silence et je voudrais inviter les personnes qui écoutent, qui et où qu’elles soient, à s’arrêter un instant pour considérer les événements des quelques dernières heures, et à rendre grâce à sa façon ». Puis il lit un extrait du chapitre 15 de l’évangile de Saint-Jean (« Je suis la Vigne, et vous les sarments… ») qu’il avait copié à la main sur un morceau de papier avant d’embarquer.
Fun Fact 35: Aldrin, who was an elder in his Presbyterian church, performed the rite of Holy Communion privately on the Moon, using a small kit of consecrated bread and wine provided by his pastor. #Apollo50Aus 📸: @HISTORY pic.twitter.com/fEiLcyOFha
— Australian Space Agency (@AusSpaceAgency) 9 juillet 2019
Au nom du Christ
Une fois ces paroles prononcées, sous le regard de Neil Armstrong demeuré silencieux, Buzz Aldrin s’administre lui-même la communion presbytérienne en vertu d’une autorisation spéciale qui lui a été délivrée par l’église de Webster. « J’ai versé le vin dans un calice que notre église m’avait remis. Avec une gravité six fois moindre que sur la terre, le vin effectuait des courbes doucement et avec grâce sur les parois de la coupe. Il était saisissant de penser que le premier liquide versé sur la Lune, et que la première nourriture absorbée, étaient les substances de la communion », écrira-t-il plus tard. C’était, dira-t-il aussi, sa façon à lui de rendre grâce et d’exprimer qu’en explorant l’espace, il agissait au nom du Christ.
Sans doute Buzz Aldrin aurait-il voulu donner beaucoup plus de retentissement à sa démarche, et répéter sur la Lune le geste de Christophe Colomb, plantant une Croix sur le sable des plages inexplorées qu’il abordait. Mais le politiquement correct était déjà à l’œuvre à l’époque et la NASA lui avait demandé d’agir en toute discrétion de crainte de s’attirer les foudres des organisations athées. « Allez-y. Communiez. Mais contentez-vous de commentaires généralistes » lui avait ainsi intimé Deke Slayton, le chef du bureau des astronautes. C’est ainsi que seules les équipes au sol avaient entendu les paroles religieuses d’Aldrin, et non le grand public pourtant avide des moindres faits et gestes des trois héros de la conquête lunaire.
Offensive athée
Il faut dire que la NASA avait été échaudée par les actions intentées par Madalyn Murray O’Hair, militante de l’association « American Atheists », qui se surnommait elle-même la « femme la plus détestée d’Amérique ». Elle avait en effet intenté un procès contre l’Etat, au nom du Premier amendement, après que les trois astronautes de la mission Apollo 8, le 24 décembre 1968, avaient lu un extrait de la Genèse au cours de la rotation autour de la Lune. Auparavant, cette activiste s’était fait connaître pour sa contestation du caractère obligatoire des prières et lectures religieuses dans les établissements publics, et dans les écoles en particulier. Désormais, interdire l’expression aux astronautes en service l’expression de leur foi sur Terre, dans l’espace et sur la Lune, était son nouveau cheval de bataille.
L’offensive de Madalyn Murray O’Hair ne réduit en rien la portée symbolique du geste de Buzz Aldrin (à la différence des catholiques, les presbytériens ne croient pas en la transsubstantiation : la communion est avant tout un rite qui exprime la présence spirituelle de Dieu dans une assemblée, même réduite). Ainsi, chaque année encore, en juillet, l’église presbytérienne de Webster commémore la cérémonie de Buzz Aldrin au cours du « dimanche de la communion lunaire« . En invoquant le Christ par ses paroles et par ses gestes, l’astronaute a su redonner à l’événement mondial que fut le premier pas de l’homme sur la Lune sa dimension réelle : une prouesse sans commune mesure, mais qui ne saurait en aucune manière faire oublier à l’homme son rang de créature.