Anne-Lorraine Schmitt - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Anne-Lorraine Schmitt

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14 NOVEMBRE

Anne-Lorraine, ce prénom est inscrit dans la mémoire vive de beaucoup de personnes depuis que, le 25 novembre 2007, à 10 h 26, cette jeune fille de 23 ans a été sauvagement agressée par un homme qui a tenté de la violer. Elle est morte de 32 coups de couteau qu’il lui a portés. Événement horrible, aussitôt répercuté par tous les moyens d’information. Quelques jours plus tard, le président Sarkozy fait l’éloge d’Anne-Lorraine à l’école de la Légion d’honneur où elle était surveillante après avoir été, elle-même, pensionnaire. Quinze jours plus tard, dans son homélie du 8 décembre, à Notre-Dame de Fourvière, le cardinal Barbarin la donne en exemple. Comment ne pas avoir été touché, qui que l’on soit, par le sort de cette jeune fille ? Dans mon éditorial de Noël de l’an dernier, je n’avais pas pu ne pas parler d’elle. Son souvenir me revient régulièrement. Pourtant, je ne suis pas sûr de l’avoir jamais rencontrée. Quoi que, ce n’est pas impossible. Sa photo me dit quelque chose, elle était une collègue, j’aurais pu la voir par exemple, à Radio-Notre Dame, où elle fut stagiaire, ou ailleurs. Illusion rétrospective ? Laissons cela. Pour connaître Anne-Lorraine Schmitt, nous disposons désormais d’un livre dont je connais les deux auteurs, Emmanuelle Dancourt travaille notamment à KTO, et Frédéric Pons, de Valeurs Actuelles (Anne-Lorraine, un dimanche dans le RER D, CLD-éditeur). Ils ont réalisé ensemble une enquête sur le scénario de l’agression mais surtout sur la vie d’Anne-Lorraine. Je ne dirai rien de la partie concernant ces instants horribles, insupportables. Il était d’utilité publique de dire la vérité sur le crime, ainsi que sur le combat mené depuis par le Papa, Philippe Schmitt, pour empêcher que ne se reproduisent de tels drames, singulièrement quand ils sont le fait de récidivistes. L’assassin d’Anne-Lorraine avait déjà violé une jeune femme sous la menace d’un couteau. Il avait été relâché après deux ans d’incarcération, suite à un avis qui l’estimait « réadaptable socialement » et qu’il était « peu probable » qu’il puisse recommencer.

On lit les pages du début comme les étapes d’un chemin de croix, celui vécu par Anne-Lorraine, mais aussi, accompli par les parents, les frères et sœurs. Et puis il y a, heureusement, la suite, éclairée par le sourire qui est en couverture du livre. Je suis d’autant plus sensible à ce portrait qui est déroulé de cette jeune existence, qu’Anne-Lorraine appartient à la génération de mes propres enfants, qu’elle a même suivi un cursus scolaire équivalent à celui d’une de mes filles. Quelle belle figure ! Des années pleines de brillante élève. Une expérience très importante dans le scoutisme, la rencontre avec la communauté des prêtres de saint Martin, subtile mélange de décontraction et de travail intense. J’ai beaucoup aimé l’année à Sienne, en Toscane : « insatiable et curieuse, elle avait déjà un goût prononcé pour l’art et pour l’architecture : la richesse culturelle de l’Italie ne fit que renforcer cette appétence et approfondir sa connaissance. Détail important : si elle honora avec sérieux tous les cours prévus dans son contrat, elle peaufina aussi et surtout son art de l’aperitivo, son goût de la discussion et du rire, son sens de la fête ».

Les deux auteurs mettent bien en évidence l’ouverture d’une jeune fille de sensibilité traditionaliste, tra, comme elle le dit elle-même. Elle n’a pas d’œil­lères, s’intéresse à tout, mais est attachée suprêmement à ce qu’elle a reçu et ce qui lui a donné sa stature propre. Elle est drôle, éventuellement moqueuse, sait s’amuser mais demeure d’une fermeté totale sur son style de vie chrétienne, jusque dans son habillement. Je dirais qu’elle trouve dans sa propre tradition les conditions de son ouverture. Elle sait revendiquer sa différence – par exemple, le droit d’aller à la messe en latin – sans dénier la légitimité de la liturgie post-conciliaire. Sa culture solide – classique – lui permet de se saisir de n’importe quel sujet pour le comprendre et l’approfondir. Ses premiers pas dans le journalisme suscite l’admiration de ses responsables, tel Aymeric Pourbaix ou Fabrice Madouas.
Mgr de Germigny, évêque de Blois, avait reçu une lettre d’Anne-Lorraine au moment des JMJ de Cologne, en 2005, parce qu’elle désirait y recevoir la confirmation. Cette lettre, franche et cordiale, contient une phrase qui, sur le coup, avait provoqué la surprise et une réserve bien légitime de la part de l’aumônier qui accompagnait son groupe : « Je voudrais donc réellement que ma confirmation – ce sceau de l’Ésprit dont elle va me marquer – soit pour moi un nouveau départ, l’occasion de devenir active dans l’Église, une « martyre » du Christ en somme ». Ce n’est pas quelque chose d’écrit au hasard, car la suite de la lettre montre comment elle s’est préparée, notamment en méditant l’évangile du jeune homme riche, selon le conseil de son aumônier : « Ayant alors lu le passage correspondant dans l’Évangile, j’ai trouvé ce qui n’allait pas. Je ne suis pas suffisamment disponible à l’appel du Christ. J’espère ainsi, infiniment, que ce don de Dieu soit pour moi l’occasion de signifier que j’ai désormais la volonté de répondre à cet appel, de m’abandonner aux desseins que Dieu à pour moi ». Rétrospectivement, on ne peut qu’être saisi par une telle volonté d’engagement plénier. Bien sûr, il n’y a aucun fatalisme dans les relations entre Dieu et les âmes qui lui sont si proches. Sa liberté est souveraine et inaliénable. Mais le pacte secret de certains êtres d’exception n’en aboutit pas moins à des accomplissements qui ont leur sens hors des contingences. Que Thérèse de l’Enfant Jésus, Élisabeth de La Trinité, soient parties si jeunes vers le Père, ce n’est pas contingent. Pas plus que la mort horrible d’Anne-Lorraine, mort martyre, hostie consacrée offerte dans l’acte d’abandon lors de la confirmation. Je ne puis m’empêcher de songer au départ prématuré de ma sœur Marie-France, qui avait aussi sur elle ce « signe de prédestinée ». On ne parle pas de ces choses naturellement, elles demeurent sous le sceau du secret et ne peuvent être exprimées que sous un certain mode qui n’en trahit pas le caractère purement mystique. La difficulté, c’est qu’arrive un moment où la révélation publique conduit à dire les choses au grand jour et ce n’est pas facile à admettre pour les plus proches. Anne-Lorraine est devenue, pour beaucoup, une sorte d’icône, ce qui n’est pas illégitime à mes yeux. Encore faudrait-il qu’elle n’y perde pas son authenticité humaine et spirituelle.