Je ne sais pas si le mot est bien approprié, mais il faut constater que la chancelière allemande bénéficie, en ce moment, d’une aura assez prodigieuse dans les médias et que certains songent même à lui attribuer le prix Nobel de la paix. En ouvrant largement les portes de l’Allemagne à des centaines de milliers de réfugiés, elle s’est acquis la reconnaissance de tous ceux qui estiment qu’enfin l’Europe est devenue digne de sa vocation universaliste. Comment ne pas s’associer à ce beau mouvement de générosité et de gratitude. Il n’est sûrement pas immérité, concernant cette fille de pasteur, qui connaît la dureté de l’histoire et qui sait donc, d’expérience, ce que signifie la solidarité dans l’épreuve et la tragédie. Sur ce point d’ailleurs, je me permettrais de contredire son compatriote, le philosophe Jürgen Habermas, pour qui tout se résume en strict respect des droits, en l’espèce les droits de ceux qui sont justifiés à réclamer l’asile et dont il est hors de question de rejeter la requête. Habermas ne veut pas entendre parler de « valeurs » qui inspireraient les hommes et les femmes qui se portent au secours des malheureux.
Mais je crains que cette philosophie des droits ne se heurte à de sérieux obstacles, ne serait-ce qu’à l’énorme complexité des situations politiques. Elisabeth Lévy fait justement remarquer, dans Causeur, qu’à prendre le droit d’asile à la lettre, ce sont des masses considérables qui risquent de frapper à nos portes, sans que nous puissions sérieusement envisager de les accueillir. Et puis Habermas fait aussi l’impasse totale sur la cause qui est à l’origine de cet afflux de réfugiés. Cause toujours en acte, cause effroyable et mortelle, qui, si elle n’est pas jugulée, produira des conséquences imprévisibles et non maitrisables. C’est très beau de se prévaloir d’un patriotisme constitutionnel, tout en impeccables procédures. Mais nous sommes en guerre, monsieur le philosophe ! Une guerre à laquelle votre pays ne participe pas, à cause d’un interdit moral lié à son héritage historique. Mais la partie se joue là-bas, en Syrie et en Irak. Vous n’en dites pas un mot. C’est d’ailleurs là toute la faiblesse de la position allemande. Votre exemplaire chancelière est admirable, mais elle laisse tout de même à d’autres, notamment à nous autres Français, la charge de juguler l’hydre qui est à l’origine de la tragédie, dont vous soignez les conséquences.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 10 septembre 2015.