Ceux qui continuent de parler de la « polémique » qui a divisé la communauté juive italienne, à propos de la visite de Benoît XVI à la grande synagogue, le dimanche 17 janvier, que tous n’ont pas honorée de leur présence, et de la présumée décision du Pape de béatifier Pie XII, restent sur leur faim après la visite de l’évêque de Rome à la communauté juive de son diocèse. À une vision étriquée de la rencontre a fait place un grand souffle universel. Beaucoup de représentants d’autres communautés juives et de la communauté musulmane étaient présents.
Le professeur Giorgio Israël, un sage qui a vu passer des papes et des rabbins, et professeur de mathématiques – on saurait lui donner des leçons de logique – à l’université La Sapienza (justement, La Sagesse), avait vu juste : il avait averti de ne pas réduire cette visite au cas Pie XII.
Certes, le président de la communauté juive de Rome, qui a fait les honneurs de la maison, Riccardo Pacifici, a demandé à son tour l’ouverture des archives, et même la mise en évidence du « patrimoine culturel » juif que recèleraient les archives vaticanes. Mais on notera surtout dans les discours des interlocuteurs du Pape, Pacifici, et aussi le président de l’Union des 21 communautés juives italiennes, Renzo Gattegna, et le grand rabbin Riccardo Di Segni, une volonté que le dialogue avance : « Andiamo avanti » a dit Pacifici au terme de la rencontre en saluant le Pape une dernière fois, après deux heures de visite. Et qu’il avance aussi avec les musulmans. Renzo Gattegna a souhaité une collaboration entre juifs et catholiques pour la défense des droits de l’homme et que la collaboration inclue les musulmans pour qu’advienne dans le monde « une ère de paix ». Pour le grand rabbin Di Segni aussi, juifs, chrétiens et musulmans doivent travailler ensemble du fait de leur « responsabilité de paix » spécifique, et d’une paix « universelle ».
Signe de cette ouverture au monde, ensemble, justement, Riccardo Pacifici a d’emblée demandé à l’assemblée d’observer une minute de silence pour les victimes de Haïti, invitant à la générosité pour les sinistrés.
Mais comment Benoît XVI a-t-il réagi ? Il n’est pas revenu sur l’ouverture des archives : les archivistes doivent arriver le plus vite possible à des catalogues utilisables par les chercheurs. Mais la tâche abonde : cap sur 2012. Sur le rôle du Siège apostolique pendant la Shoah, le Pape a seulement glissé – c’est peut-être la seule phrase retenue par les journaux télévisés du soir – qu’il a organisé le sauvetage de juifs « souvent de façon cachée et discrète ».
Le Pape n’est donc pas là où on l’attendait. Tout d’abord, Jean-Paul II était entré directement dans la synagogue. Benoît XVI a choisi un itinéraire riche en enseignements, avant et après son discours. Le cortège est parti du vieux ghetto, du Portique d’Ottavia. Pacifici et Gattegna entouraient le Pape qui s’est recueilli tout d’abord devant la plaque commémorant les 1021 victimes de la rafle du 16 octobre 1943. Dix-sept d’entre elles survivront. Le Pape apaise les tensions en manifestant en gestes et en paroles sa compassion pour l’immense douleur de la Shoah : un déchaînement de haine unique car « l’extermination du peuple de l’Alliance » a été à la fois « annoncée, puis systématiquement programmée et réalisée dans l’Europe sous domination nazie » jusqu’à frapper « tragiquement » la communauté de Rome. Ses paroles disent « l’affection et l’estime » de toute l’Église pour les communautés juives du monde. Il souhaite que croissent l’amitié et la concorde, il l’a redit à l’angélus de midi, et la « fraternité véritable ».
En rencontrant ensuite le rabbin Elio Toaff – il voulait être là, en fervent partisan du dialogue encore et toujours malgré ses 94 ans – le Pape a placé sa visite dans le sillage de celle de Jean-Paul II qu’il cite abondamment dans son discours. Il reprend à son compte la demande de pardon jubilaire : il relit lentement les paroles insérées à Jérusalem, dans la fissure du Mur Occidental, en mars 2000. Il dit combien il espère que les plaies ouvertes par les manifestations d’antisémitisme ou d’antijudaïsme de la part de baptisés se referment. Le Pape évoque les quarante ans de rapports depuis le dernier concile : un chemin « irrévocable » et qui a mûri. Benoît XVI est venu pour affirmer : pas question de retour en arrière.
Puis le Pape a déposé une gerbe de fleurs blanches, pour rappeler qu’un enfant de deux ans est mort ici, le 9 octobre 1982, victime du terrorisme. La communauté juive sortait des célébrations du 8e jour de Soukkot, la fête des Tentes. Des Palestiniens ont tiré, faisant une quarantaine de blessés. Les parents et le frère de Stefano Gay Taché et des survivants ont salué le Pape. Un nouveau « non » très clair est opposé au terrorisme : on ne peut pas tuer au Nom de Dieu, ne cesse de redire le pape Ratzinger, en gestes et en paroles, de Ratisbonne à la synagogue de Rome.
Ainsi, Benoît XVI vient à la fois pour que se « consolident » les liens, que l’ « amitié » grandisse, que l’on avance « sur la voie de la réconciliation et de la fraternité », certes, mais aussi pour que se dessine toujours plus un « témoignage commun devant les défis de notre temps », une collaboration « au bien de l’humanité ». Voilà que le Pape rejoint les vœux les plus universels exprimés par ses hôtes.
Et comment cela ? En mettant l’accent sur les Dix Commandements, les « Dix Paroles ». Benoît XVI s’appuie sur ce qu’il appelle la « solidarité » qui lie l’Église au peuple juif « au niveau de son identité spirituelle même ». Et il affirme « le caractère central du Décalogue comme message éthique commun d’une valeur permanente pour Israël, pour l’Église » mais aussi « pour les non-croyants et pour toute l’humanité ».
Il voit là un vaste domaine « de collaboration et de témoignage », notamment dans trois directions : juifs et chrétiens peuvent tout d’abord « réveiller dans notre société l’ouverture à la dimension transcendante ». Ils sont aussi appelés, par le Décalogue, à « défendre la vie contre les injustices et les abus », à « reconnaître la valeur de chaque personne », dans sa dignité, sa liberté, ses droits fondamentaux. Enfin, cette même source appelle les croyants à « conserver et promouvoir la sainteté de la famille », pour construire « un monde au visage plus humain ».
Il s’agit de coopérer « au bien de l’humanité » aujourd’hui : « une coopération toujours plus étroite pour offrir une contribution valable à la solution des problèmes et des difficultés à affronter ».
L’entretien privé avec le rabbin Di Segni, la visite de l’exposition sur les œuvres artistiques juives commémorant le couronnement des papes, la rencontre avec des membres de la communauté juive ont également enrichi cette rencontre que désormais un olivier – symbole de paix – commémore dans le jardin de la synagogue.
Dans les jardins du Vatican, non loin de la grotte de Lourdes, un olivier a aussi été planté sous Jean-Paul II par Israël. Une haute mission de paix et de paix universelle, attend catholiques et juifs s’ils veulent se montrer à la hauteur des exigences que leurs responsables leur ont indiquées. « Andiamo avanti ! »
Natalia BOTTINEAU (à Rome)