Il y a de cela bien des années, quand celle qui allait devenir ma femme et moi-même étions fiancés, nous avons réalisé un test intitulé « FOCCUS Inventory », qui est une sorte de test de compatibilité que demandait le diocèse pour les jeunes couples se préparant au mariage. L’objet de l’exercice, autant qu’il m’en souvienne, était d’identifier les zones de désaccord potentiel entre les deux futurs époux, afin que ces sources de friction, ou de friction potentielle, puissent être abordées avant plutôt qu’après les noces.
Le mariage est beaucoup plus (et parfois beaucoup moins) que ce que deux jeunes gens peuvent imaginer. Il y a de la sagesse à régler par avance certains des éléments les plus prosaïques – mais cependant importants – des félicités du mariage. Cela donne au moins au prêtre une idée des écueils à venir, même si le couple reste obstinément naïf.
Nous avons fait le test séparément et avons ensuite rencontré un jeune prêtre de la paroisse pour examiner nos résultats. Il nous a rappelé que le test était d’essence diagnostique. Il n’y a pas vraiment de bonnes et de mauvaises réponses nous a-t-il assuré, juste des réponses qui pouvaient proposer l’occasion d’une réflexion, d’une étude et d’une conversation plus poussées. Si ce n’est, avons-nous découvert, qu’il y a à la fois des bonnes et des mauvaises réponses.
Beaucoup des questions du test traitaient de considérations pratiques qui pouvaient aisément être prises à la légère par des jeunes gens éblouis par l’amour : qui tiendra les cordons de la bourse ? Avez-vous discuté de la façon dont les enfants pourraient affecter le plan de carrière de l’un ou l’autre voire des deux ? Vous attendez-vous à ce que votre conjoint change une fois marié ?
Il s’est trouvé que ma femme et moi avions répondu différemment à cette dernière question. Elle avait répondu « non », louée soit-elle, ce qui est bien sûr la bonne réponse. Les gens qui épousent une personne en s’attendant désespérément à ce qu’elle devienne une autre personne se préparent un réveil douloureux. Cela marche rarement dans ce sens.
Comme vous devez vous en douter maintenant, j’ai répondu « oui ». Carton rouge. Je n’avais pas seulement donné une réponse différente, mais dans ce test sans mauvaise réponse possible, j’avais donné une mauvaise réponse. Le visage du prêtre a affiché un air consterné.
« Nous devrions en parler. Stephen, pourquoi vous attendez-vous à ce qu’elle change ? » Un regard vers le visage de ma fiancée m’a révélé qu’elle voulait poser une question similaire, bien que je soupçonne qu’elle l’aurait exprimé plus abruptement.
J’ai répondu avec une question de mon cru : « Eh bien, si le but du mariage est d’aider chacun d’entre nous à grandir en sainteté, chacun de nous aidant l’autre à gagner le ciel, alors quel est l’objet du sacrement s’il nous laisse simplement comme nous sommes maintenant ? »
Le père a soupiré, a souri ironiquement et déclaré : « Ce n’est pas ce qu’ils voulaient dire par cette question ».
C’était plus fort que moi : « Eh bien, ils auraient dû ; et de toute façon, c’est ce que je voulais dire par ma réponse ».
C’était maintenant au tour de ma merveilleuse future épouse de soupirer. Elle n’avait pas d’illusion ; elle savait qu’elle allait épouser un puits de science. Elle ne le savait que trop bien. Miséricordieusement pour moi, et comme nous en avions déjà des preuves, elle avait la complète certitude que je serai ainsi pour toujours. Et elle a toujours fait face.
L’objet de ce récit n’est pas que mon épouse est une femme patiente et compréhensive. (Enfin pas seulement cela.) Le drame de chaque vie humaine se déroule entre la personne qu’on est et la personne qu’on devient. Nous sommes tous quelque part entre les deux. Nous risquons le désastre si nous n’aspirons pas à devenir plus que ce que nous sommes – si nous n’espérons pas, ne prions pas et ne travaillons pas à changer, à nous convertir et à devenir de plus en plus la personne que nous sommes appelés à être.
En même temps, l’idée de « la personne que je suis censé être » peut devenir sa propre forme d’illusion. Il est aussi facile que dangereux de s’amouracher d’une idée, si c’est une version idéalisée des autres ou de nous-mêmes. C’est un trait humain caractéristique que de voir dans les autres ce que nous voulons y voir et de croire ce que nous souhaitons être vrai. C’est une curieuse chose que le cœur humain puisse être si avide de croire ce qu’il souhaite être vrai.
L’amour et l’amitié les plus vrais ne sont façonnés ni par de purs idéaux ni par des connexions purement matérielles. Nous sommes à la fois corps et âme ; célébrer l’un au détriment de l’autre détruit invariablement les deux. L’homme qui aime « l’humanité » peut échouer à aimer son voisin. Celui qui aime les siens – lui-même, sa tribu – envers et contre tous les autres diminue finalement les deux camps.
La fraternité humaine n’existe pas comme une abstraction. L’idée d’amitié n’est pas une amie. Non plus que l’idée d’une famille ou d’une nation. Mais l’homme ne peut devenir lui-même si son cœur ne va jamais au-delà de sa propre chair et de sa propre vie.
Gaudium et spes, dans un des passages favoris et les plus cités par Jean-Paul II va au cœur du sujet :
La vérité est que c’est seulement dans le mystère du Verbe incarné que le mystère de l’homme est mis en lumière. Car Adam, le premier homme, était une préfiguration de Celui qui allait venir, le Christ Seigneur. Christ, l’ultime Adam, par la révélation du mystère du Père et de Son amour, révèle pleinement l’homme à l’homme et rend claire sa vocation suprême. Il n’est pas surprenant alors que, en Lui, toutes les vérités mentionnées précédemment trouvent leurs racines et atteignent leur sommet.
Voir cela, c’est voir le monde tel qu’il est réellement. C’est apprendre la différence entre l’amour vrai et l’amour fictif. Notre histoire a tant été une errance sauvage entre le matérialisme et l’idéalisme. Au point d’équilibre, en quelque sorte, se tient l’Homme-Dieu, le Christ Incarné, qui maintient l’unité de la création. En Lui, nous commençons à avoir du sens.
Pour aller plus loin :
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- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
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