La mort d’Alain Decaux, dont tous s’accordent à reconnaître qu’il fut un incomparable conteur à la radio et à la télévision, capable de passionner des millions de personnes pour les grandes figures du passé, peut permettre d’utiles mises au point sur un grand sujet de querelle. L’histoire, évidemment ! L’histoire sur laquelle on se dispute âprement, et même parfois violemment, comme il y a peu à propos de l’anneau de Jeanne d’Arc au Puy-du-Fou. Il semble qu’on ait même inventé une nouvelle catégorie de chiens de garde, dont la mission est de surveiller étroitement l’utilisation des récits historiques. Mais lesdits vigiles pourraient bien être les premiers des partisans, armés de solides préjugés idéologiques. Il n’y a pas d’histoire non partisane. Les critiques les plus aigus ont montré que cette discipline consistait d’abord dans la relation singulière d’un homme, fut-il le plus érudit, avec une tranche du passé.
Faut-il aller plus loin, en défendant la thèse que raconter ce qui s’est passé hier participe d’une sorte de construction romanesque ? C’est peut-être faire bon marché des paramètres obligés de la discipline, ceux sans lesquels il n’y aurait que pure fiction. Il n’empêche que le talent personnel contribue énormément à la recréation. Jules Michelet était fondamentalement un grand écrivain romantique, et il est largement l’auteur de notre roman national. De même Alain Decaux, auquel certains reprochaient de ne pas être universitaire, se réclamait d’abord de son verbe prodigieux, capable de saisir auditeurs et téléspectateurs, de telle sorte qu’eux-mêmes revivent une page du passé ou l’aventure d’un personnage hors du commun.
Nous avons absolument besoin de ce type de médiateurs, car nous sommes des êtres fondamentalement historiques, et l’amnésie qui nous fait des voyageurs sans bagage est une redoutable pathologie. Grâce soit donc rendue à Alain Decaux pour son merveilleux travail. Alain Decaux, qui était aussi un catholique déclaré. Un de ses derniers ouvrages fut consacré à saint Paul. Un excellent livre à recommander, nourri de la science des exégètes. Un livre empathique, où le conteur permettait d’accéder à la personnalité et à l’aventure de l’apôtre des nations !
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 29 mars 2016.