Alain Besançon et le mariage des prêtres - France Catholique
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Alain Besançon et le mariage des prêtres

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Le nom d’Alain Besançon ne s’était pas imposé à moi du fait de sa polémique anti-Dostoïevski mais à cause d’un article plutôt provocateur publié dans le dernier numéro de la revue Commentaire de cet hiver. Provocateur, entendons-nous. L’auteur ne ressemble pas du tout à ces furieux ou à ces imprécateurs livrés à une idéologie qui leur impose la violence des mots pour soutenir leur cause et venir à bout de leurs objectifs. L’homme est trop cultivé, sa culture est par définition celle de la modération, pour pouvoir céder à l’invective, même s’il ne se dispense pas de propos plutôt raides et s’il ne cache pas ses opinions sous un quelconque parapluie. Mais venons-en au fait : Alain Besançon plaide pour le mariage des prêtres dans l’Église latine. Et s’il plaide avec modération, il n’en est pas moins pénétré du bien-fondé de sa proposition : « Je voudrais proposer quelques observations sur le célibat des prêtres séculiers. Mon expérience est sommaire. Je n’ai pas vécu de l’intérieur l’état ecclésiastique. Je n’ai pas rencontré beaucoup de prêtres. Encore moins ai-je bénéficié de leurs confidences. Je vois les choses de l’extérieur, du point de vue laïque. Du point de vue aussi de l’historien, qui est mon mode habituel d’appréhender les situations. »

L’article de Commentaire est principalement consacré à une appréciation historique du sujet et il se signale par ses nuances et la sûreté de l’information. On ne s’étonne donc pas de sa référence à l’ouvrage capital du père Christian Cochini, Les origines apostoliques du célibat sacerdotal, réédité par Ad Solem en 2006. Qualifié de « remarquable étude », il va pourtant à contre-sens de tous ceux qui prétendent que le célibat sacerdotal constitue une sorte d’option contingente dans l’histoire du sacerdoce. Un ami m’a raconté qu’il avait été vivement contré dans telle université catholique de renom pour s’être réclamé de l’autorité du père Cochini. Alain Besançon est trop rigoureux pour échapper à un document aussi important pour l’érudition et l’intelligence de la question : « Il y a dans l’idée même de la proximité du Royaume des Cieux annoncé par le Christ, une incitation à une vie plus détachée du monde qu’il en allait dans l’Ancienne loi. L’abstinence volontaire du commerce de la chair est en harmonie avec la recherche d’une vie parfaite. Elle est attestée dès les commencements de l’Église. » Voilà qui n’est guère accordé par ceux qui militent pour l’abolition du célibat.

Toutefois, Alain Besançon peut aussi se prévaloir du fait qu’il a fallu attendre longtemps pour qu’une loi ecclésiastisque positive prescrive l’obligation du célibat : « C’est donc une règle prudentielle qui s’est fixée de bonne heure, qui a été codifiée et qui a été maintenue, intacte, jusqu’à aujourd’hui. » Le fait qu’il y ait eu d’énormes difficultés à imposer une telle loi, contre laquelle quantité de clercs se sont opposés au Moyen Âge, cet autre fait que l’Église orthodoxe a un clergé marié ainsi que les Églises d’Orient unies à Rome, à un moindre titre, le refus du célibat par la Réforme et le cas spécifique de l’anglicanisme, tout cet ensemble permet à l’auteur de se glisser dans les interstices de la Tradition pour proposer, avec quelque réserve, mais une authentique fermeté, la possibilité du mariage des prêtres dans l’Église latine.

Les points forts du plaidoyer

Je ne commenterai pas toutes les remarques incidentes qui concernent cette pluralité d’expériences, pour me concentrer sur les points forts du plaidoyer qui touchent à l’existence présente du clergé. Un des arguments les plus assénés dans l’article concerne ce qu’on pourrait appeler « le déclassement du clergé séculier ». Il est d’ailleurs assez répandu, sans être assez approfondi à mon goût. Appauvrissement des conditions matérielles ? Je veux bien le croire, sans être absolument persuadé. Je ne connais pas, en ville et à la campagne, de prêtres en dessous du seuil de pauvreté même si leur condition est modeste. Ce qui me retiendrait surtout, c’est l’étendue de leur champ d’apostolat. C’est elle qui représente le principal défi, et qui a encore mobilisé l’attention des évêques français lors de leur dernière assemblée. L’évêque de Saint-Étienne a soutenu le projet de redéfinition de son diocèse en territoire de mission, avec un redéploiement de l’action pastorale qui ne serait plus uniquement préoccupée d’un maillage paroissial problématique. Là-dessus, je ne vois pas ce qu’apporterait le mariage des prêtres, en dehors du secours matériel que l’épouse pourrait, paraît-il, apporter au prêtre ! L’argument me paraît faible, lorsqu’on songe au coût de l’éducation des enfants et à l’indisponibilité dont il pourrait être la cause, en regard de la liberté d’action du clergé célibataire ! Les pères de famille me comprendront.

Par ailleurs, un ami médecin-psychanalyste me fait part d’une difficulté à laquelle ne songent jamais les propagandistes (souvent distraits) du mariage des prêtres. C’est celle du statut des enfants, qui s’ajoute d’ailleurs à l’énigme du statut de leur mère ! Mais là, je vais droit au cœur de la controverse, en ayant bien conscience de jeter un pavé dans la mare. Ceux qui croient de bonne foi que le mariage des prêtres arrangerait tout, n’ont pas réfléchi un seul instant à l’énorme défi symbolique qu’il suppose ! Comme s’il était si facile d’accorder les deux symboliques du sacerdoce et du mariage. Le sacerdoce suppose une primauté abso­lue, et donc une priorité de l’alliance sponsale avec l’Église, qui se trouverait donc en conflit avec l’alliance sponsale avec l’épouse.

Et que dire des enfants qui sont eux-mêmes en conflit symbolique avec les fidèles ? On ne mesure pas le poids que peut avoir pour eux l’autorité spirituelle du prêtre, qui serait difficilement distinguable de son autorité paternelle. Réfléchit-on à la seule hypothèse pratique d’habiter un presbytère qui est tout autre chose qu’un foyer domestique ? J’ai le sentiment qu’Alain Besançon et tous ceux qui bran­dissent le mariage des prêtres comme un impératif urgent n’ont jamais réfléchi à la véritable portée d’une telle perspective. Tony Anatrella m’apprend que 9 femmes sur 10 qui ont accédé au « sacerdoce » dans l’église anglicane sont elles-mêmes filles de prêtres anglicans. Ainsi s’est reconstituée une sorte de caste familiale sacerdotale sur le modèle vétéro-testamentaire, un élément de plus à considérer, si l’on veut envisager sérieusement cette question du clergé marié. Je dois ajouter que le conflit symbolique en cause a des effets réels, observables, parfois extrêmement cruels, dont n’ont pas idée ceux qui croient innocemment que leur solution présente tous les avantages par rapport aux inconvénients du célibat. J’avoue que la mention de « Nietzche fils et petit-fils de pasteur » a toujours résonné étrangement dans ma tête…

Mais il y a encore autre chose dans l’article d’Alain Besançon. J’ai déjà évoqué son diagnostic pessimiste sur la condition matérielle du prêtre séculier, mais il va plus loin en parlant d’un véritable déclassement social. Cela fait partie des idées reçues. Je n’en suis nul­le­ment persuadé lorsque j’observe aussi bien ce qui se passe à la ville qu’à la campagne. Les prêtres sont toujours bien considérés par les édiles locaux, qui se plaignent d’ailleurs beaucoup de la disparition des curés de village. L’effacement social vient bien plutôt de la rareté de la présence permanente. Mais il y aurait plus grave : « Son niveau d’instruction ne le met pas au-dessus de celui des classes moyennes éduquées. Le type de l’abbé lettré et érudit n’est plus qu’un souvenir. » Là encore je ne suis pas vraiment d’accord. Une formation philosophique, théologique, spirituelle qui n’a pas duré moins de six ou sept ans, cela compte incomparablement ! J’ajoute que dans les nouvelles générations de prêtres, il n’est pas rare qu’il y ait eu une formation universitaire préalable au séminaire et parfois même une expérience professionnelle. Voilà qui donne quelques atouts par rapport aux « classes moyennes éduquées ». Curieusement, Alain Besançon semble ignorer la situation de la ville qu’il habite, Paris, à propos de la culture du clergé. Il ne dit rien du cardinal Lustiger, dont un des premiers soucis fut la formation des prêtres, jusqu’à créer un tout nouveau séminaire et une nouvelle faculté de théologie. Depuis trois décennies, est apparu ainsi un nouveau clergé tout à fait remarquable, dont la qualité intellectuelle est en relation avec le Collège des Bernardins qui assume une formation permanente et où enseignent d’ailleurs un nombre très important de prêtres de Paris.

Quel manque de communication !

Mais j’en viens à une affirmation d’Alain Besançon qui m’a littéralement abasourdi : « J’ai eu avec des amis religieux les conversations les plus libres, les plus confiantes, les plus abandonnées. Je n’ai jamais pu en avoir avec les séculiers, prêtres ou évêques. Ils ne la souhaitaient pas. Quand, au hasard des circonstances, elle devait quand même commencer, l’interlocuteur se mettait immédiatement sur ses gardes, se méfiait, ne s’engageait pas sur les questions de fond, biaisait pour ne pas dire sa pensée, son opinion propre. Et il coupait court le plus tôt possible. J’ai vécu tout un mois à Rome au milieu d’évêques qui, se sentant chez eux et rassurés sur mon attachement à l’Église, n’avaient rien à craindre de moi. Je n’ai noué, dans l’ensemble, malgré mes efforts, que des contacts formels, parfois réfrigérants et toujours courts. » Et d’opposer à cet échec cinglant, la cordialité de l’hospitalité monastique. Je m’interroge avec toute la sincérité possible tant l’expérience rapportée est contraire à la mienne. J’admets qu’un contexte lié à la crise de ces dernières décennies ait pu rendre difficiles, parfois pénibles, les rapports qu’un intellectuel aussi exigeant et aussi raffiné qu’Alain Besançon pouvait espérer. C’est vrai qu’une culture plutôt pauvre a pu s’exprimer dans une langue de buis peu comestible. Il est plus vrai encore qu’un complexe d’infériorité par rapport au monde actuel a produit chez certains clercs une animosité contre leur propre Église et son magistère, les entraînant à une méfiance et à une sourde hostilité à l’égard de quiconque ne rentrait pas dans leur modèle, à vrai dire problématique. Il m’est arrivé d’observer que l’éloignement de certaines paroisses par rapport à la jeunesse venait d’une peur de s’affronter aux stéréotypes du moment, de paraître contredire les notions les plus en cours, ce qui avait pour effet paradoxal de fuir la jeunesse, considérée comme totalement imperméable au message « inaudible » de l’Église. Il a fallu les JMJ pour amorcer un retournement salutaire.
Dans ces conditions, il est vraisemblable qu’un Besançon se soit senti mal à l’aise par rapport à un clergé lui-même « mal dans ses pompes ». Mais, tout de même ! Une telle généralisation me laisse pantois, lorsque je me remémore l’incroyable théorie de prêtres que j’ai pu côtoyer dans ma vie, et qui étaient de tout premier ordre. Cela commence par ceux de mon enfance et de ma propre famille. Mon oncle prêtre avait le contact avec tout le monde parmi les siens. Il était d’évidence le plus cultivé, sa curiosité étant universelle. Dans sa paroisse, il pouvait jouer tous les rôles, jusqu’à faire l’infirmier quand les infirmières étaient défaillantes. Il était capable de faire tous les métiers, du jardinage à la menuiserie, sans compter qu’il était féru de musique et de peinture. Peut-être était-il un curé à l’ancienne lorsque le maillage des diocèses lui permettait d’offrir son ministère à 2000 paroissiens. Mais son simple exemple dément le sombre tableau de l’article de Com­mentaire, auquel j’oppose encore le clergé de ma formation scolaire, dont je cherche difficilement l’équivalent aujourd’hui, avec des personnalités contrastées, originales, et toutes fortement cultivées. Je pense aussi à mon clergé paroissial animant des églises pleines et dirigeant des « patros » de centaines de jeunes. Non, cher Alain Besançon, je ne reconnais nullement comme pleinement véridique votre tableau complètement négatif du clergé séculier tel qu’il est apparu à la suite du Concile de Trente !

Dernière remarque à ce propos. Une des grandes fautes de la Réforme tridentine et « de l’imposition du célibat comme marqueur fondamental du clergé romain » consisterait dans la surévaluation de la faute sexuelle dans la conscience catholique notamment au XIXe siècle. Je livre aux historiens cette formule tranchante mais non sans émettre quelque doute. L’humanité étant ce qu’elle est, et perdurant dans une situation que tous les témoignages des siècles nous décrivent en des termes toujours identiques, je juge téméraire d’affirmer dans ce domaine des changements si évidents. Sans doute y a-t-il des époques qui déterminent des modifications de sensibilités. Mais les problèmes se posent équivalemment de générations en générations. En lisant ce que saint Augustin écrit dans ses Confessions ou la Cité de Dieu, nous nous identifions sur le champ.

Prétendre encore que « l’obsession sexuelle épargne le monde orthodoxe » voilà une concession inattendue de la part de quelqu’un peu réputé pour son indulgence à l’égard de cette famille du christianisme. Il est possible qu’une décentralisation hiérarchique entraîne une moindre prescription codifiée, mais les exigences ne divergent guère, et le modèle monachique à l’honneur dans ces Églises place tout de même le célibat au sommet. Quant aux réalités de la pauvre humanité, elles ne diffèrent guère de l’Ouest à l’Est, et il suffit justement de lire Dostoïevski pour comprendre que nous pouvons vivre les mêmes tragédies, au demeurant surévaluées dans ses romans !

Que dire aussi d’une certaine rigidité protestante qui est certes en voie de disparition, mais qui n’avait rien à voir avec les prescriptions catholiques ? Et si les pays de l’Europe du Nord nous ont paru si « émancipés », c’est qu’ils l’étaient à l’égard du climat étouffant que nous fait revivre le cinéaste Bergman. Mais il faut bien terminer un commentaire. Curieux tout de même qu’Alain Besançon finisse pas s’exprimer comme le plus banal des progressistes avec des propos du style : « La tendance du monde clérical à légiférer dans le monde des choses du sexe dont il n’a pas l’expérience directe. » Propos que je trouve plutôt péremptoire, à l’heure où il est permis de s’interroger sur l’évolution des mœurs presqu’un demi-siècle après la fameuse révolution des sixties. Face à une société qui se défait, de familles qui éclatent, une démographie européenne qui s’effondre, la théorie des genders qui s’érige en idéologie officielle, où était la lucidité, où était l’expérience, où était la prescience, où était la charité concrète ? Pour moi, la réponse est donnée !