Aimé Michel : « La clarté au cœur du labyrinthe » - France Catholique
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Aimé Michel : « La clarté au cœur du labyrinthe »

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Entre 1970 et sa mort en 1992, Aimé Michel a donné à France Catholique plus de 500 chroniques. Réunies par le neurobiologiste Jean-Pierre Rospars, elles dessinent une image de la trajectoire d’un philosophe dont la pensée reste à découvrir. Paraît en même temps, une correspondance échangée entre 1979 et 1989 entre Aimé Michel et le sociologue de la parapsychologie Bertrand Méheust. On y voit qu’Aimé Michel a été beaucoup plus que le « prophète des ovnis » très à la mode fut un temps : sa vision du monde à contre-courant n’est ni un système, ni un prêt-à-penser, mais un questionnement dont la première vertu est de faire circuler de l’air dans l’espace confiné où nous enferme notre propre petitesse. Empli d’espérance sans ignorer la férocité du monde, Aimé Michel annonce certains des grands thèmes de réflexion d’aujourd’hui et préfigure ceux de demain.

Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface d’Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).

Aimé Michel, « L’apocalypse molle ». Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).

À payer par chèque à l’ordre des Éditions Aldane,
case postale 100, CH-1216 Cointrin, Suisse.
Fax +41 22 345 41 24, info@aldane.com.

Aimé Michel naît le 12 mai 1919 à Saint-Vincent-les-Forts (Alpes de Haute-Provence), dernier dans une famille de quatre enfants. À cinq ans il contracte la poliomyélite. Il subit plusieurs opérations. Par la suite il retrouve sa mobilité mais dans un corps déformé, lacé dans un corset de cuir. Une des clés, sans doute la plus importante, pour comprendre sa vie méditative et sa chaleur communicative, réside dans cette maladie. L’enfant y découvre à la fois la souffrance intense, la prééminence de la conscience et la compassion d’autrui. S’il survit, c’est grâce au dévouement de ses parents. On peut voir dans cette épreuve surmontée l’une des sources de son sentiment d’appartenance à une lignée et à une histoire qui, plus que son apport propre, ont fait de lui ce qu’il est, de son rejet du matérialisme, de sa confiance indéfectible en l’avenir.

Il étudie aux universités de Grenoble, Aix et Marseille. Il obtient sa licence de philosophie en 1939 et des « certificats d’études supérieures » en psychologie (juin 1940) et en études littéraires classiques (juin 1942). En 1941 il est « répétiteur » en lettres classiques (français, latin et grec) à Grenoble. Avec un détour inattendu : en 1943, il réussit, à Paris, le concours d’entrée à un stage de formation d’ingénieurs du son proposé par le Studio d’Essai de la Radiodiffusion Nationale que Pierre Schaeffer vient de créer. Tandis que les activités officielles du Studio se doublent bientôt d’activités clandestines (c’est du Studio d’Essai que partira le 22 août 1944 l’appel aux armes de l’état-major FFI), Aimé Michel rejoint dans les Alpes le maquis créé par son frère Joseph. Après la guerre, il retrouve ce qui est devenu la Radiodiffusion Française, au service des ondes courtes où il travaille jusqu’en 1958. Cette année-là, il se marie et de cette union naîtront trois enfants.

C’est en 1952, à l’occasion d’une émission sur la météorologie nationale, que vont commencer ce qu’il appellera ses « tribulations de chercheur parallèle ». À mi-temps de Kenneth Arnold et de Spoutnik I, il prend connaissance de deux rapports d’observation de phénomènes lumineux inexpliqués en Afrique équatoriale et à la station météo de Villacoublay. Un an après son premier livre, Montagnes héroïques (1953), une histoire de l’alpinisme, il publie Lueurs sur les soucoupes vo­lantes (1954), la première étude sérieuse sur ce sujet controversé. Peu vendue en France, sa traduction américaine (1956) le fait connaître outre-Atlantique. Mais c’est surtout Mystérieux Objets Célestes (1958) qui assure sa renommée internationale. Il y décrit par le menu les nombreuses observations de l’automne 1954 en Europe occidentale et pense y discerner un ordre, leurs alignements au cours d’une même journée. Le livre suscite un intérêt considérable et le met en relation avec de nombreuses personnalités du monde scientifique et littéraire, mais la notoriété de ses travaux sur les ovnis a pu aussi masquer la diversité de son œuvre. C’est dans cette période de sa vie qu’il se lie d’amitié avec Jean Cocteau, Samivel, Jean Guitton, Michel Carrouges, Jacques Bergier, Louis Pauwels, Paul Misraki, Rémy Chauvin, Olivier Costa de Beauregard, Pierre Guérin, Jacques Vallée, André Cailleux et bien d’autres.

Au cours de ces années il écrit beaucoup et sur de multiples sujets dans Science et Vie, La vie des animaux, Atlas, Archeologia, Animal Life, Fiction, Flying Saucer Review… Mais c’est sa collaboration à Planète qui est la plus remarquée. Cette revue, inspirée par Jacques Bergier, créée et dirigée par Louis Pauwels en 1961, a eu un tel retentissement qu’on a pu y voir un phénomène de société. « Aucune revue intellectuelle française n’a atteint les cent mille exemplaires et suscité trois éditions étrangères ». Sa présentation, son iconographie, son ouverture à la science-fiction, son traitement des thèmes scientifiques engendrèrent de multiples commentaires, admiratifs ou critiques. Robert Escarpit, éditorialiste au Monde, donna un résumé ironique de l’opposition critique : selon lui les collaborateurs et les lecteurs de Planète étaient des « malheureux qui, dans un univers où ils s’ennuient, font des efforts pathétiques pour donner un goût étrange et rare à la plate réalité quotidienne », au lieu d’avoir la sagesse de « regarder tourner l’ingénieuse machine à moudre le vide qu’est la création ». On ne saurait mieux exprimer la conception du monde contre laquelle s’élevait Aimé Michel. Ce dernier se révéla l’un des collaborateurs les plus notables de Planète qui lui dut, selon Jacques Mousseau, « quelques-uns de ses meilleurs textes par l’originalité du sujet, l’élévation de la réflexion et la qualité du style ».

Au début des années 1960, Aimé Michel, qui a gardé son statut de journaliste à la Radio-Télévision Française, rejoint Pierre Schaeffer, polytechnicien et musicien, qui vient de fonder le Service de la Recherche. Ce Service est chargé « de promouvoir des études d’ensemble sur l’interdépendance des aspects technique, artistique et économique de la radio et de la télévision ». Après 1964, dans le cadre de ce qui est désormais l’ORTF (Office de Radio-Télévision), il jouera le rôle de banc d’essai pour de jeunes auteurs et des formules nouvelles d’émissions de télévision.

Aimé Michel y gagne la possibilité d’organiser son travail à sa guise, entre Paris et Saint-Vincent-les-Forts. Son apport concerne essentiellement l’information scientifique et la philosophie des sciences. C’est dans ce cadre qu’il rencontre des scientifiques célèbres, entre autres Louis de Broglie, Alfred Kastler, Louis Néel et Konrad Lorenz, pour ne citer que des prix Nobel.

En 1974, à l’occasion de l’éclatement de l’ORTF, Aimé Michel obtient une pré-retraite. « C’est enfin, à cinquante-cinq ans, octroyés par un hasard longuement sollicité, le silence, la solitude, la liberté ». Il s’installe alors à plein temps à Saint-Vincent et se consacre dès lors « à la lecture et à l’étude de plusieurs domaines scientifiques ».
Puis surviennent deux années difficiles durant lesquelles il subit une dizaine d’interventions chirurgicales. Affaibli, il n’écrit plus par la suite que pour Arts et Métiers Magazine et France Catholique. Il revient à Saint-Vincent en juin 1990 et y décède deux ans et demi plus tard, dans la nuit du 28 décembre.

Lorsque Olivier Costa de Beauregard attira mon attention, en 1998, sur les chroniques publiées par Aimé Michel dans l’hebdomadaire France Catholique, sur leur valeur et sur l’intérêt qu’il y aurait à les faire publier, j’étais tout prêt à suivre son conseil. Ma motivation première était de satisfaire ma propre curiosité, de tenter de répondre aux multiples questions sans réponse qu’avaient suscitées nos conversations et correspondances depuis 1975, de pénétrer plus avant dans sa pensée. J’avais déjà lu certaines de ces chroniques, ayant découvert sur le tard qu’il écrivait dans ce journal servi seulement par abonnement, mais j’étais loin de soupçonner qu’il y avait tant écrit et pendant si longtemps.
Aimé Michel entre à France Catholique en octobre 1970 comme chroniqueur scientifique. Dès le début ses chroniques traitent rarement de la seule actualité scientifique : l’interrogation philosophique et métaphysique y est presque toujours présente. L’actualité intellectuelle, politique et sociale, française et étrangère aussi.

Essayons de résumer ses principaux thèmes :

1/ De tous les éléments qui façonnent le devenir de l’homme, la science expérimentale est le principal. Les hommes de science sont à l’origine des révolutions les plus profondes, non les hommes politiques. Mais leur savoir, en perpétuelle transformation, est bien différent de ce qu’une certaine vulgarisation laisse croire. Il est loin d’être achevé et, là où il serait le plus proche de l’être, il débouche sur le mystère. Ainsi la science la plus avancée, la physique quantique, décrit avec une grande précision des phénomènes qui ne sont pas compréhensibles : l’univers dépasse notre raison. Ce voile au cœur des choses s’étendant de proche en proche n’autorise, ni une compréhension ultime de la vie et de la pensée, ni de conclusions définitives sur le rôle du hasard et de la nécessité. Et, si l’évolution est un fait certain, les théories qui l’expliquent restent encore bien imparfaites.

2/ Derrière l’indifférence de l’univers, la cruauté de la nature, le chaos de l’histoire, décrites avec une précision toute chirurgicale, de multiples faits font voir à l’œuvre des lois plus puissantes qui em­portent l’univers vers plus de pensée. L’homme n’est pas le rescapé d’une tempête absurde mais un moment de cette aventure cosmique, condamné à se dépasser et à être dépassé. La vie a un sens, l’humanité a un destin. Promesses et souffrances sont inextricablement mêlées. Écologiste avant la lettre, Aimé Michel attire l’attention sur la responsabilité particulière de l’homme vis-à-vis du monde vivant en général et de la souffrance animale en particulier. Sur ces points comme sur d’autres, il devance une évolution des esprits devenue aujourd’hui perceptible, mais la fonde sur une conception équilibrée, réaliste et dynamique qui évite les excès de l’activisme ou du découragement.

3/ À chaque époque, les sciences et les fausses sciences occultent notre ignorance et nous donnent l’illusion de savoir tout ce qui importe. Les sarcasmes les plus mordants de l’auteur s’adressent donc à tous ceux, scientifiques, philosophes, exégètes ou politiques qui considèrent l’Univers en général, et l’Homme en particulier, comme un donné « bien clos » dont nous maîtriserions déjà l’essentiel. D’où la part centrale faite à l’ignorance humaine contre les excessives prétentions de ceux, même les plus savants, qui croient savoir quand ils ne savent pas. Paradoxale leçon de modestie, constamment reprise, repérant infailliblement l’excès de confiance en soi pour maintenir ouvertes les portes de l’avenir. On ne s’étonnera donc pas de le voir combattre les modes intellectuelles de l’époque, à commencer par le marxisme, le freudisme et le darwinisme.

4/ Le leitmotiv de ces écrits est que, contrairement à l’affirmation célèbre de Renan, la vérité ne peut être triste. Dans un univers désespérant, l’homme ne peut tout simplement pas se perpétuer : « Si nous refusons de croire que le monde va quelque part, eh bien, nous le tuerons, c’est certain. » La confiance (foi) et l’espérance sont nécessaires pour vivre. C’est pourquoi l’homme est un « animal religieux ». Les faits ne s’inscrivent pas contre cette vue et la science ne peut s’opposer à la foi parce qu’elles ne sont pas dans le même registre. La vieille querelle entre science et religion est sans objet. Aimé Michel refuse de confondre la science avec le rationalisme et la religion avec le teilhardisme ou le concordisme. D’où son insistance sur les limites de la science et son acceptation du mystique, du saint, du miracle même, mais selon une perspective aux antipodes du New Age et de ses syncrétismes. Il veut reconnaître les deux domaines, affirmer qu’il n’y a pas une vérité unique.

Aimé Michel suit donc une voie étroite qui le conduit à batailler sur deux fronts, contre le matérialisme scientiste et contre un certain rationalisme religieux, en s’appuyant sur deux tranquilles certitudes : l’irréductibilité de la conscience, qui échappe à toute preuve scienti­fique directe, et la non moins certaine limitation de la pensée humaine, produit d’un cerveau humain fini. Mais c’est une voie difficile : l’approche religieuse est légitimée mais ne fournit pas pour autant des réponses toutes faites aux grands défis posés par l’accroissement de nos connaissances et de nos moyens d’action sur le monde et sur notre corps, sans même parler des défis à venir qui passent nos capacités d’imagination.

D’une manière générale les textes publiés dans le recueil que j’ai réalisé ont gardé toute leur fraîcheur : il suffira au lecteur de quelques transpositions qui lui viendront immédiatement à l’esprit, pour qu’ils semblent écrits de la veille. Si on compare les textes parus dans France Catholique au reste de l’œuvre, on constate quelques différences. La première est le développement du thème religieux sur lequel on ne trouve que des allusions dans ses autres publications. Ce n’est guère surprenant, le journal lui ayant fourni là une tribune naturelle. Par contre la dimension eschatologique de la pensée michelienne n’est traitée qu’en demi-teinte. Autre différence : le très faible nombre de chroniques consacrées à la parapsychologie et même au mysticisme, ce qui est plus inattendu. Il y a à cela deux explications possibles. Peut-être Aimé Michel s’intéressait-il moins à ce sujet dans ses années de collaboration à France Catholique ? Ou peut-être a-t-il préféré ne pas aborder un sujet qui aurait pu troubler inutilement certains de ses lecteurs ? Une interrogation du même ordre s’attache à l’expression de sa pensée religieuse. Les lecteurs de culture chrétienne auquel ses chroniques s’adressaient au départ ont été parfois déconcertés et on voit bien que l’auteur s’est imposé certaines li­mites. Quand on lit ses correspondances privées on constate que sa spiritualité est intacte mais ne se laisse évidemment pas enfermer dans un catholicisme rigide.

Aimé Michel consacre sa vie à une exploration globale de la Nature, au sens large. Il recueille patiemment tous les indices disponibles, sans œillères, dans toutes les disciplines, même celles qui n’existent pas encore. Il interroge les grands esprits de toutes les époques. C’est la raison pour laquelle les conclusions auxquelles il aboutit sont précieuses, même en tenant compte de son « équation personnelle ». Voilà un homme qui a passé sa vie à lire des milliers de livres d’érudition et de culture, en français, en anglais, en italien, en latin et en grec ; à correspondre avec des spécia­listes éminents. Quelle image du monde en dégage-t-il ? Pour en avoir une idée, il faut le suivre dans cette exploration tous azimuts. En outre il a le rare talent d’expliquer simplement des idées difficiles enfouies dans des textes d’accès malaisé. Il sait aller à l’essentiel et résumer en quelques lignes de vastes ensembles de faits et de raisonnements. Un esprit aigu, imaginatif, transdisciplinaire, indépendant, en dehors de toute mode et de toute pression, s’efforce de rassembler une somme considérable de connaissances dispersées et spécialisées, d’en rechercher la signification, et d’en faire la synthèse sous une forme simple et claire, sans jargon, sans abstraction inutile, sans se payer de mots, en partant des humbles faits. Aimé Michel sait beaucoup mais sa première vertu est de poser des questions. Les questions qu’il pose sont souvent plus importantes que les réponses qui restent, à ses propres yeux, sujettes à révision mais suffisent à faire voir les choses sous un nouveau jour. n
Qu’il soit de formation scientifique ou litté­raire, de droite ou de gauche, croyant ou incroyant, le lecteur devra à son tour, pour suivre cette pensée souvent troublante, dérangeante, inattendue, reliant les contraires, échapper aux classifications toutes faites et casser les réflexes inculqués par les idées dominantes du moment. Il rencontrera une pensée tonique, pragmatique, adaptée aux incertitudes du temps, dont le passage des années ne fait que renforcer l’actualité et la pertinence.

Jean-Pierre ROSPARS