Au cours d’une réunion politique récente dans une périphérie urbaine, cette réflexion entendue d’une personne âgée : dans cette campagne des municipales, « il n’y en a que pour les bobos trentenaires avec une barbe et des baskets… » ! Sous-entendu : où sont les autres catégories de la population, où est le souci du bien commun qui unit plutôt que de segmenter ? Au vu également des querelles d’appareils qui mobilisent l’attention sur la campagne parisienne, au détriment des enjeux pour ses habitants, il y a en effet urgence à réhabiliter la noblesse de la politique.
Y compris chez les chrétiens, qu’ils soient électeurs ou élus. Certes, le rejet de la politique telle qu’elle est, ou sa réduction à des enjeux purement matériels – la feuille d’impôts plutôt que le salut de la société – n’est ni nouveau, ni propre aux croyants. Un des documents les plus anciens de l’Antiquité chrétienne, les Actes du concile d’Elvire, au début du IVe siècle en Espagne, montre bien la tension au sein de l’Église vis-à-vis de la fonction d’élu municipal, qui obligeait à assister aux cérémonies païennes, voire à sacrifier aux dieux antiques ! Malgré tout, ce concile aboutit au choix d’accepter l’ordre politique de l’Empire, afin d’en christianiser les élites.
Ainsi, entre la fuite hors du monde vers le tout-spirituel – ou le repli individualiste vers la sphère privée –, et la soumission au monde, il existe un espace pour l’action des catholiques au cœur de la Cité. Sans se renier, ni renoncer à avancer vers le Bien et le Vrai, tout en sachant que le véritable Royaume n’est pas de ce monde. La civilisation consiste, selon l’expression saisissante du poète Baudelaire, en la « diminution des traces du péché originel » : c’est réellement le bien des âmes qui est en jeu, et cela redonne à la politique sa grandeur…
Cela suppose aussi, de la part des élus catholiques, un certain courage, une solide formation, et pour tout dire, un inconfort. Il est donc essentiel de savoir le reconnaître et de les soutenir.
Nécessité d’élites
C’est dire également la nécessité, car ce n’est pas donné à tout le monde, de faire émerger des élites pour demain, « des petites équipes (…) qui font le travail », comme le disait Maritain dans Le Paysan de la Garonne. Élites politiques qui aient le souci de la vérité, « l’amour de la sagesse et de l’intelligence, et la confiance en le rayonnement invisible de cet amour » (idem).
Sans oublier non plus que ces mêmes élites ne pourront rien sans l’émergence d’un tissu culturel et spirituel local favorable. C’était pour Simone Weil la supériorité de la religion sur la politique : cette capacité à créer un milieu vital, notamment par la dimension publique des fêtes religieuses et des cérémonies. Manière plus discrète, mais efficace, de faire de la politique !