Affaire des minarets contre la Suisse : L’ECLJ soumet ses observations écrites en tierce intervention - France Catholique
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Affaire des minarets contre la Suisse : L’ECLJ soumet ses observations écrites en tierce intervention

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Le 22 octobre 2010, l’ECLJ a soumis à la Cour européenne des droits de l’homme ses observations dans les affaires Hafid Ouardiri et Association « Ligue des musulmans de Suisse » contre la Suisse (n°66274/09 et n°65840/09). Dans ces affaires, invoquant les articles 9 et 14 de la Convention, les requérants soutiennent que l’interdiction constitutionnelle de construction de nouveaux minarets en Suisse résultant du référendum populaire du 29 novembre 2009 constitue une violation de la liberté religieuse des musulmans et une discrimination en raison de leur religion.

Ces requêtes ont été communiquées au gouvernement suisse le 11 mai 2010. Le Gouvernement suisse a soumis ses observations le 15 septembre 2010 (documents en lien ci-dessous) en invitant la Cour à déclarer irrecevables les requêtes pour défaut de qualité de victime, puis à titre subsidiaire, pour inépuisement des voies de recours internes, puis encore pour défaut manifeste de fondement.

Le 30 juillet 2010, l’ECLJ a demandé à la Cour l’autorisation d’intervenir comme tierce partie (amicus curiae). Cette autorisation a été accordée le 17 septembre suivant. L’ECLJ a soumis ses observations le 22 octobre 2010. Dans ses observations, l’ECLJ n’a pas souhaité revenir sur la question de la recevabilité des requêtes, car elle a été largement traitée par le gouvernement fédéral.

L’ECLJ, dans ses observations, a voulu replacer l’affaire des minarets dans la perspective plus large de la période de crise que traverse le concept de liberté religieuse. En effet, le référendum suisse, tout comme l’interdiction du voile islamique, constituent des désaveux de la conception pluraliste, tolérante et multiculturelle de la liberté religieuse ; conception qui a prévalu depuis la Seconde Guerre Mondiale dans l’interprétation de l’article 9 de la Convention.

Selon l’ECLJ, les affaires des minarets, du voile islamique ou encore celle du crucifix à l’école indiquent que l’évolution du concept de liberté religieuse devrait aller dans le sens d’une meilleure prise en compte par le droit de la culture de chaque pays. A cette fin, il s’agirait de compléter les concepts de « neutralité » et de « laïcité » dont la Cour fait habituellement usage pour ordonner les relations entre le pouvoir civil et les questions religieuses. En effet, ces deux approches, utiles et complémentaires, peinent à appréhender de façon réaliste la « réalité sociale » dans sa dimension culturelle, et notamment socioreligieuse, car elles imaginent « l’espace public » comme étant religieusement neutre ou vide. Ces deux approches usuelles, parce qu’elles aboutissent in fine au paradoxe de protéger la liberté religieuse en supprimant socialement la religion, ne semblent pas respecter l’esprit de la Convention.

Selon l’ECLJ, un troisième angle d’approche, venant compléter les concepts de neutralité et de laïcité semble ainsi nécessaire. En effet, si la neutralité vise les conflits inter ou intra-religieux sans répercussion sur l’Etat, et si la laïcité vise à protéger l’Etat contre le pouvoir religieux, ni la laïcité, ni la neutralité ne permettent d’appréhender le phénomène religieux dans son rapport avec le fondement même de la société, c’est-à-dire avec les composantes essentielles de son identité. Ce troisième angle d’approche consisterait en la prise en compte substantielle de la réalité culturelle. En d’autres termes, il s’agirait de renoncer à la fiction selon laquelle l’espace public serait un espace neutre ou vide religieusement.

Les crises identitaires, dans leur dimension religieuse, que traversent tant l’Europe occidentale et orientale que les pays de culture musulmane indiquent que la dimension sociale de la religion ne peut être ignorée durablement. L’identité socioreligieuse d’une société ne peut pas être « neutralisée » : elle peut être niée, combattue et remplacée, mais pas neutralisée. De même, la neutralité du pouvoir ne peut pas exiger la neutralisation religieuse de la culture. Selon Grégor Puppinck, Directeur de l’ECLJ, il devrait être possible de trouver une approche plus réaliste de la liberté religieuse, qui soit ré-enracinée dans la réalité culturelle. Cette prise en compte de la réalité de la culture devrait permettre, sous certaines conditions, de reconnaître comme légitime l’intérêt que peut avoir une société à l’égard de sa culture, non seulement dans sa dimension linguistique et patrimoniale, mais aussi religieuse ou socioreligieuse.

La Cour, à l’égard des valeurs européennes, a déjà clairement exprimé son rejet d’une approche relativiste. Cela est apparu notamment dans les arrêts Leyla Sahin et Refah Partisi contre Turquie. Dans cette dernière affaire, la Cour a dit partager « l’analyse effectuée (…) quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention ». Elle considère en effet qu’il « est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia ».

En revanche, il est douteux que les références aux seules valeurs de pluralisme, de tolérance et d’esprit d’ouverture qui caractérisent une société démocratique puissent à elles seules rendre compte de la réalité culturelle de l’espace public. Afin de rendre compte de cette réalité, il conviendrait de reconnaître comme pouvant légitimement être prises en considération, non seulement des valeurs morales universalisables, mais aussi la culture, la langue, les usages, les traditions, même religieuses. Il est vrai que ces éléments sont spécifiques et non universels ; mais ils sont les éléments constitutifs des nations ; ils sont le fondement ultime du droit à l’autodétermination des peuples, et de leur souveraineté. C’est le socle de la nation et de l’Etat ; il n’est pas réaliste de l’ignorer, et le peuple suisse l’a rappelé lors du référendum du 29 novembre 2009.

L’idée d’un espace public européen sécularisé est en fait totalement étrangère à l’esprit du Conseil de l’Europe. Plus encore, la sécularisation de l’espace public européen serait un échec du projet du Conseil de l’Europe. En effet, l’esprit de la Convention, ses « valeurs sous-jacentes » ne sont autres, comme l’indique le Statut du Conseil de l’Europe, que « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples d’Europe et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ». Dès lors ce patrimoine devrait pouvoir être mobilisé pour ancrer les libertés publiques.

In fine, l’ECLJ a souhaité indiquer à la Cour que reconnaître comme un intérêt légitime la préservation de ce patrimoine culturel et spirituel pourrait contribuer à rendre sa substance à l’espace public européen, notamment dans sa dimension socioreligieuse.

L’ECLJ est une organisation non gouvernementale spécialisée dans la défense juridique des droits de l’homme et en particulier de la liberté de conscience et de religion. L’ECLJ est intervenu dans de nombreuses affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’auprès d’autres mécanismes conventionnels de protection des droits de l’homme. L’ECLJ est accrédité auprès des Nations-Unies (ECOSOC) et du Parlement européen.

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