Cher Frédéric, tu es le directeur du journal. Tu n’es plus tout jeune. Comment vont les affaires…
Quelles affaires ?
Celles de France Catholique bien sûr…
Drôle de manière de dire. Si tu parles du bilan économique, il est probablement catastrophique – notre expert comptable doit nous rendre le bilan 2016-2017 dans les jours à venir. Mais cela doit bien faire un quart de siècle que c’est le cas. Alors nous avons depuis longtemps dépassé le stade de l’angoisse pour compter sur la providence (en l’occurrence la générosité de nos abonnés…)
Ceux-ci vieillissent et ne sont pas remplacés…
C’est un fait, encore que l’espérance de vie augmente et que nous avons parfois de bonnes surprises et de belles rencontres avec des lecteurs beaucoup plus jeunes qu’on pourrait imaginer.
Et pour la suite ?
Si les évêques réunis à Lourdes paraissent plutôt moroses cette année, nous n’allons pas fanfaronner… La suite on y songe, mais le travail quotidien nous empêche sans doute de bien distinguer ce qu’il y aurait à faire de plus décisif…
Prier ?
Jolie remarque. Je suis en train de lire un petit livre de Jacques Gauthier sur le père Caffarel. A plus de 90 ans ce dernier n’avait toujours pas trouvé de successeur pour la maison de Troussure. Finalement il n’y en a pas eu du tout. On ne peut pas dire que la fécondité du père Caffarel en ait été atteinte. Mais je ne voudrais pas qu’on me soupçonne de me comparer à ce saint… Et pourtant, je me dis que je devrais parfois un peu plus m’inspirer de sa sagesse…
Quand je t’ai parlé d’ « affaires », tu as plutôt pensé à celles qui défigurent l’Eglise, les scandales sexuels notamment ?
Je l’avoue… Il y a de quoi être découragé.
Le père Bernard Peyrous, prêtre de la communauté de l’Emmanuel, postulateur de la cause de canonisation de Marthe Robin, vient de se voir suspendu de toutes ses fonctions par sa communauté et par le cardinal-archevêque de Bordeaux. Comment réagis-tu ?
En vérité, j’aimerais autant ne pas avoir à réagir. Je ne sais rien de cette affaire. On ne nous dit pas ce qu’a fait le père Peyrous à cette femme majeure qui s’est manifestement plainte à la hiérarchie catholique, mais pas — pas encore ? — à un procureur de la République. Quand on a une responsabilité comme la mienne, on a forcément vu, voire vécu beaucoup de situations où la hiérarchie n’a pas été à la hauteur. Mais alors pas du tout ! de mon point de vue… Et on a donc un peu envie, quand se produit un tel événement, de rajouter son grain de sel, voire de régler ses petits comptes. Je constate sur internet qu’un laïc bien connu dans nos milieux se répand en commentaires pour se plaindre surtout, si je comprends bien, qu’il n’a pas réussi à faire annuler son mariage… Ce qui prouve bien à ses yeux l’injustice fondamentale de l’Église qui ferme les yeux sur les mauvais agissements des prêtres pour mieux opprimer les laïcs. Je semble exagérer et pourtant…
Alors je prendrai le parti inverse. Puisqu’il y a sanction rapide et immédiate « conservatoire » de la hiérarchie catholique, je présuppose qu’elle est proportionnée.
Tu ne doute pas ?
Enfin je l’espère. Parce qu’on a vu parfois les dégâts que le trop fameux principe de précaution a pu causer. Souvent on tombe d’un excès dans son inverse. On a détourné le regard pendant des dizaines d’années sur les dérives sexuelles de certains prêtres ou éducateurs et désormais on prend le risque de se défausser à tout va. Tout évêque a « l’affaire Barbarin » en tête. Ça se comprend. Mais le cardinal-archevêque de Lyon est innocent. La justice l’a dit et le redira. A mon avis, on devrait s’en tenir aux règles qu’on s’est fixées désormais, c’est-à-dire déférer immédiatement chaque cas connu et surtout chaque plainte au procureur de la République et laisser à celui-ci le casse-tête de l’enquête et de la prescription. Et si on pouvait éviter de sanctionner trop vite pendant ce temps, ça ne serait peut-être pas trop mal.
Il y a actuellement tout un contentieux administratifs concernant des employés municipaux que leurs mairies doivent réintégrer pour avoir lancé trop mal des sanctions. On devrait plus souvent lire le blogue du petit-fils du général de Castelnau. Sous les outrances du polémiste apparaît une solide santé mentale et morale : il n’y a pas de justice sans respect des principes du droit. Tout cela devrait inciter à la prudence.
Le problème quand on est prêtre c’est que la « réintégration », même en cas d’erreur de droit ou d’injustice, est socialement impossible et la réparation inenvisageable.
Probablement. Je ne suis toujours pas convaincu par exemple que l’ancien évêque de Dax, Hervé Gaschignard, n’a pas été victime d’une grave injustice quelle qu’ait pu être son imprudence. Ce qui compte vraiment en ces matières, c’est ce qu’une enquête de police et une décision de la justice civile en disent sur le terrain du droit de tout le monde. La justice de l’Eglise, je l’aimerais plus discrète. J’ai en tête d’autres cas de prêtres socialement réduits à rien en quelques décisions hâtives et communiqués de presse, et dont j’admire la force de caractère qui leur a permis d’éviter le suicide. Parfois il s’agit même de coups montés, avec des incidences financières qu’on ne découvre que plus tard…
« Le diable entre par les poches » à dit le Pape François !
Oui, beaucoup plus souvent il agit par l’argent plutôt que par le sexe, même si les deux font bon ménage.
Pour en rester aux affaires sexuelles, aujourd’hui on mélange tout. Un prêtre démis de ses fonctions parce qu’il aurait des relations sexuelles avec une femme (ou un homme) est vite assimilé à un criminel pédophile. Alors que la justice de notre pays n’y trouvera rien à redire. Reste qu’en matière religieuse, le phénomène d’emprise psychologique et d’abus de pouvoir est toujours un risque et doit être impitoyablement sanctionné.
Mais cette violence psychologique est tout de même difficile à démontrer. Je comprends bien que de jeunes actrices qui vont chercher le scénario du film – dans lequel elles espèrent jouer – dans la chambre à coucher du producteur n’ont peut-être pas vraiment d’autre choix que de « passer à la casserole ». Mais des élèves en théologie, comme on le dit dans l’affaire du prédicateur musulman Tariq Ramadan ?! Mais des femmes mûres, catholiques pratiquantes, spirituellement dirigées par un prêtre ?!!!
Tu dévies du sujet…
Oui. Pour ne pas faire de commentaires que je pourrais regretter ensuite, je voudrais donc reprendre le parti de la confiance que j’ai esquissé avant de dévier.
Tu disais que la sanction était probablement proportionnée…
Probablement. Les membres de la communauté de l’Emmanuel sont là parce qu’ils ont ressenti un appel à la sainteté. Le père Peyrous plus qu’un autre aspire à la sainteté. Je n’en doute pas un instant. Personnellement, mes aspirations ne vont malheureusement pas souvent aussi loin. C’est pourquoi sans doute je me sens un peu épargné par les attaques du diable. Mais quand on a tout donné, quand on est prêtre, quand on a fait vœu de célibat, de chasteté… il ne faut pas s’étonner que le diable redouble d’attention et de vice en amenant des tentations dans lesquelles chacun peut tomber si facilement, même à 70 ans…
Alors, puisque j’ai décidé d’être positif, je dirai que cette chute du père Peyrous doit être considérée comme une chance. Il a voulu la sainteté. Voici l’humiliation suprême qui lui donnera l’humilité ! S’il était totalement innocent – mais il semble qu’il a reconnu quelque chose ? – ce serait peut-être une grâce plus grande encore. Je ne veux pas faire de rhétorique facile, mais il me semble que s’il était coupable, même de quelque chose de pire que ce qu’on nous laisse entendre, il n’en aurait pas moins là une occasion de devenir un saint…
Je comprends le raisonnement. Mais pour la communauté de l’Emmanuel, pour Marthe Robin, c’est terrible…
Marthe Robin a été taquinée par le diable toute sa vie. Alors elle ne doit pas être surprise.
Pour la communauté aussi c’est évidemment une occasion de faire le point, de se remettre en cause peut-être. N’ont-il pas mis le père Peyrous en péril en le mettant trop en avant par exemple ? Je sais les ressources spirituelles de l’Emmanuel et je n’ai donc aucune inquiétude sur la capacité de cette communauté à faire de ce scandale (on ne peut pas appeler ça autrement) une occasion de clarifier, de purifier et de rebondir…
Encore une fois ce n’est pas un peu facile à dire ?
Oui. J’ai l’air de jouer les directeurs de conscience, de donner des conseils à un prêtre, à une communauté, juste parce que j’ai la chance de ne pas être dans un tel pétrin. D’ailleurs, pour ma part, je m’effondrerais sûrement si quoi que ce soit de cet ordre m’arrivait. C’est là où le communiqué de la communauté de l’Emmanuel me paraît particulièrement juste : « Les responsables de la communauté accompagnent le Père Bernard Peyrous dans la mise en œuvre de ces décisions ». C’est ça qu’il faut faire. Et nous, comme tu me l’as si bien dit, nous devrions prier… et garder la tête froide.