« Accompagner la vie jusqu’au bout » - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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« Accompagner la vie jusqu’au bout »

Pour prendre en charge la souffrance de la fin de vie, les soins palliatifs constituent une approche authentiquement efficace, aux résultats avérés. À tous niveaux : physique, psychologique, social et spirituel.
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La clinique Sainte-Élisabeth, à Marseille.

La clinique Sainte-Élisabeth, à Marseille.

© Antoine

En apparence, rien ne distingue Sainte-Élisabeth des autres cliniques, à part peut-être le calme qui y règne, en particulier dans les couloirs, où les infirmières glissent sans bruit d’un endroit à l’autre. C’est en croisant, au sortir des chambres, des familles aux traits tirés, les yeux parfois rougis, que l’on prend la mesure du combat qui se joue derrière chaque porte, livré par des malades accueillis pour des soins dits palliatifs dans un service qui sera, pour la plupart, l’endroit où ils rendront l’âme.

L’établissement marseillais compte 37 lits de soins palliatifs, 12 lits pour des soins de suite comme des chimiothérapies et encore 12 lits pour des malades en états végétatifs chroniques et pauci-relationnels – comme l’était Vincent Lambert, ce jeune homme dont l’alimentation et l’hydratation ont été interrompues en 2019. Sainte-Élisabeth a été fondée en 1881 par deux femmes inspirées par l’exemple de Jeanne Garnier, une veuve lyonnaise qui, à 24 ans, avait décidé de se consacrer à l’accompagnement des femmes jusqu’à leur mort. La clinique marseillaise est alors gérée par son œuvre, les Dames du Calvaire, chargées de prendre en charge les femmes présentant des « plaies vives » ou souffrant de « maladies incurables ». « Dès la fondation, il y a la volonté de voir chez le malade le visage du Christ souffrant », explique Olivier Sillard, directeur de Sainte-Élisabeth. Si elle n’est pas une œuvre d’Église à proprement parler, la clinique revendique son identité catholique, comme l’atteste son rattachement au Groupement d’établissements de soins d’inspiration catholique, aux côtés des cliniques des Petites Sœurs des maternités catholiques, de celle des Augustines de Malestroit, ou encore de l’Institut Jérôme-Lejeune.

« Notre but est d’être fidèles à la culture de vie, annonce sans ambages Olivier Sillard. Cela signifie que nous voulons accompagner la vie jusqu’au bout, car nous n’en sommes pas les maîtres. » L’établissement fait sien le credo des soins palliatifs : face à la souffrance, adopter une approche « holistique » de la personne – c’est-à-dire globale –, à la fois physique, psychologique, sociale et spirituelle.

Combattre la souffrance physique

Dans leur bureau où sont étalées les fiches de chaque patient, remplies d’indications posologiques, les docteurs François Croixmarie et Timothée Souletie laissent un temps de silence après chaque question qui leur est posée, tant il est délicat et complexe de parler de la souffrance endurée par les malades, de la douleur physique suscitée par la maladie mais aussi des regrets éventuels au moment de dresser le bilan de sa vie et, enfin, de l’angoisse spirituelle face à la mort. « La souffrance physique est à combattre, affirme d’emblée Timothée Souletie. Elle peut certes être offerte, à l’image du Christ en croix, mais cela relève de l’intimité de chaque patient. »

Pour guider ce combat, les médecins de Sainte-Élisabeth se fixent un cap : atténuer la douleur le plus possible tout en permettant au malade de conserver les idées claires. Subtil équilibre qui nécessite une réévaluation quotidienne des médicaments et de l’accompagnement. « Notre mission, c’est écouter le patient dans sa plainte et comprendre ce que sa douleur exprime », avance François Croixmarie, qui met en garde contre la « violence » que représente l’étouffement de la souffrance. « Lourdement augmenter une dose de morphine pour un patient qui geint et dont la famille est à bout, pourrait sembler une solution qui convient à tous, mais en réalité, c’est prendre la fuite », continue le praticien qui plaide pour une attention perpétuelle : telle une énigme, chaque douleur exprimée peut être traitée, dès lors qu’on en trouve la clé, qu’elle soit un médicament, un geste ou une parole. « Une déviance s’est renforcée depuis une trentaine d’années : la création du statut du “bon malade”, qui serait celui sans douleur et sans angoisses, alors même que pour arriver à ce résultat, il faut procéder à un surdosage médicamenteux », déplore de son côté le docteur Hubert Tesson, médecin en soins palliatifs depuis 1992.

Dans les faits, une grande partie des malades, arrivant à Sainte-Élisabeth depuis les établissements hospitaliers de la cité phocéenne, sont en surdosage. Or, c’est justement dans la claire conscience des malades que se déploie la spécificité chrétienne des soins palliatifs de l’établissement. « Avoir les idées claires, c’est être libre. En privant les malades de cette opportunité, on les prive de la confrontation à la mort, mais aussi à leur propre vie et c’est, in fine, attaquer leur dignité » avance Hubert Tesson.

Dignité inhérente à chacun

Les termes de « liberté » et de « dignité » ne sont pas choisis au hasard par le praticien. Les partisans de l’euthanasie les brandissent régulièrement pour réclamer sa légalisation. Ainsi, un responsable politique comme Jean-Luc Mélenchon évoque régulièrement l’euthanasie comme la « liberté suprême », tandis que souffrance et dépendance sont perçues comme dégradantes pour la dignité des personnes.

« La dignité n’est pas un attribut, elle est inhérente, propre à chacun, balaye sans hésiter Hubert Tesson. Souvent, des patients nous disent se sentir “inutiles”, ou être un “poids” pour leur famille. Raison de plus pour leur manifester leur dignité à travers nos soins ! En prendre soin est une spécificité humaine : face à l’inutile et au poids, les animaux abandonnent ou tuent, pas nous. »

« Cette question de dignité me fait penser à l’histoire de sainte Bernadette se recouvrant de boue dans la grotte de Massabielle », glisse de son côté Timothée Souletie. Lors des apparitions de Lourdes en 1858, la voyante creuse, sur indication de la Vierge, le sol de la grotte afin d’y trouver de l’eau pour boire et se laver. « Il en va de même avec les malades, explique le médecin. La boue dont ils sont recouverts est celle de la souffrance, de la dépendance… Je vois nos gestes comme des gestes qui lavent et qui viennent révéler la dignité de ceux dont nous nous occupons. »

Des joies simples

Quelques mètres plus loin, dans la chambre de Sauveur, un octogénaire au fort accent marseillais, l’aide-soignante qui s’occupe de sa toilette redouble d’attention. « Ça va pour vous ? » demande-t-elle. « Et là, ça va toujours ? » réitère-t-elle un instant plus tard. La voix est douce, la discussion avec le malade presque badine, au point que Sauveur se lance dans un rapide tour de prestidigitation, comme il aime le faire à ceux qui s’occupent de lui. « Vous me montrerez les autres les prochains jours », lui glisse Victoire dans un sourire.
À la sortie de la chambre, cette jeune aide-soignante de 24 ans, qui ne cache pas sa foi catholique, confie : « Il y a une dimension sociale et spirituelle capitale dans ce que nous faisons. Il s’agit de comprendre qui nous avons en face de nous et de lui apporter des joies toutes simples, une consolation. »

Car au-delà de la souffrance physique, que les médecins savent gérer, reste une douleur beaucoup plus délicate à apaiser : l’angoisse spirituelle face à la mort. « Humblement, il faut commencer par reconnaître que nous avons tous peur de la mort et que des grands saints comme sainte Thérèse de Lisieux ont eu peur, eux aussi, en la sentant arriver », note le Père François Buet, médecin et aumônier de Sainte-Élisabeth depuis 2015. « Toutefois, comme le Christ a vécu l’angoisse de Gethsémani avant d’être arrêté et crucifié, il faut croire que, par notre souffrance, nous sommes associés à sa Passion, explique-t-il en pesant ses mots, conscient de la sensibilité de la question. La réponse n’est donc pas uniquement médicale, psychologique, sociale ou spirituelle : celui qui va aussi répondre à la souffrance, c’est Dieu lui-même, lui qui a connu toutes ces souffrances lors de la Passion », continue l’aumônier, pour qui la « bonne mort » consiste non pas à ne pas souffrir, mais à mourir en état de grâce.

Aussi, tous les malades qui arrivent à la clinique – tous ne sont pas catholiques – reçoivent la visite des bénévoles de l’aumônerie et, pour ceux qui le souhaitent, la visite de l’aumônier. La première rencontre avec les bénévoles se termine en proposant une prière adressée au Christ et permet à certains d’oser aborder les épreuves personnelles qui ont jalonné leur vie.

« Une fois qu’on rejoint la personne dans ses blessures de l’âme, on l’amène progressivement à prendre conscience de la part de responsabilité qu’elle a pu avoir et je lui propose de se confesser », raconte le Père François Buet, qui revendique vouloir porter la miséricorde divine « au cœur des blessures existentielles ». Ces confessions préparent ensuite la réception de l’eucharistie, qui s’apparente parfois à une « première communion », mais également du sacrement des malades.

La chapelle au cœur

« La chapelle est le cœur de Sainte-Élisabeth », explique ainsi Olivier Sillard, devant l’autel orné d’une fresque représentant le lavement des pieds, allusion aux soins accordés aux malades de la clinique. « Notre mission n’a de sens que si le salut des malades est dans notre ligne de mire, sinon, nul besoin de se définir comme soins palliatifs catholiques », lance le directeur de l’établissement. Comme d’autres, il partage le souvenir du baptême, dans cette chapelle, d’un malade d’une soixantaine d’années, ancien détenu. Ayant obtenu une dispense de l’évêque, il avait pu être baptisé quelques jours seulement après l’avoir demandé. « Je me souviens de lui s’accrochant à la cuve baptismale une fois baptisé, disant “ça y est, c’est fait” », se remémore dans un sourire le Père François Buet, pour qui ces malades deviennent des évangélisateurs. « Les soins palliatifs, c’est la vie jusqu’au bout, y compris la vie sacramentelle », avance encore l’aumônier.

La colère face à une loi sur l’euthanasie

La chapelle abrite également tous les vendredis la prière des soignants. Réunis le matin pour prier le chapelet de la Divine Miséricorde, ce temps de prière est l’occasion pour chacun de confier les patients et les familles dont ils ont la charge, leurs douleurs et leurs angoisses. Ce jour-là, au milieu d’un des silences qui rythment les intentions, un médecin lance : « Seigneur, je te confie les débats actuels sur la légalisation de l’euthanasie. Que ton règne vienne. Éloigne-nous du mal, donne-nous l’intelligence et la force dans ce combat. »

La peur et la colère règnent en effet à Sainte-Élisabeth depuis l’annonce de la « concertation citoyenne sur la fin de vie », dont personne ici ne doute de l’issue : la légalisation de l’euthanasie. Un sujet que le personnel soignant connaît bien, tant les demandes sont régulières… « J’entends souvent “je veux mourir” », confie Timothée Souletie, qui constate très régulièrement que les demandes s’estompent au fur et à mesure de la prise en charge de la douleur. « Les demandes de mort sont ambivalentes. Dans une même phrase, le malade peut exprimer à la fois une volonté de mort et une volonté de vie. Rendre possible l’euthanasie, c’est ne plus laisser place à cette ambivalence », insiste pour sa part François Croixmarie, qui témoigne lui aussi de la disparition des demandes lors de la prise en charge de la douleur.

« Nous avons besoin de cet interdit »

Face au spectre de l’euthanasie, les médecins de Sainte-Élisabeth invoquent tous le serment d’Hippocrate qu’ils ont prêté à la fin de leurs études : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » « Je ne sais pas comment les médecins en faveur de l’euthanasie se débrouillent avec leur conscience après avoir prêté un tel serment », se désole Timothée Souletie. Davantage faites par les familles que par les malades eux-mêmes, les demandes d’euthanasie viennent saper la raison d’être des soins palliatifs. « Cette affaire d’euthanasie va être pour moi un combat personnel », prévient d’une voix tremblante de colère Minette, une aide-soignante de 52 ans, à Sainte-Élisabeth depuis cinq ans, après avoir vu des patients « abandonnés à leur mort » dans un hôpital d’Aubagne, à l’est de Marseille. « Ici, nous arrivons à stabiliser l’état des malades et à calmer leur douleur, pourquoi ne pas s’y tenir ? » lance-t-elle avec indignation.

Plus rarement abordée dans les débats, la question de l’euthanasie suscite également une peur chez les médecins, liée à leurs propres faiblesses. « Nous avons besoin de cet interdit, car il nous protège de nos pulsions de mort », confie humblement un membre de l’équipe soignante de Sainte-Élisabeth, qui raconte combien la souffrance d’un malade, couplée à la détresse et à l’insistance d’une famille pour que leur proche soit euthanasié, demeure un poids écrasant. « Accepter l’euthanasie, c’est acter notre passage à une société tribale, met en garde Hubert Tesson, où l’interdit de tuer demeure, à moins que la mort ne soit donnée par la tribu des blouses blanches à un membre de la tribu des malades. »

Face au risque et à la tentation de l’euthanasie, ces soignants en première ligne appellent unanimement à un développement de la « culture palliative » en France, alors que le pays ne compte qu’environ 7 500 lits dédiés, que 70% des patients qui en auraient besoin n’y ont pas accès – selon la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs citée par un rapport du Sénat en 2021 – et que 26 départements demeurent sans soins palliatifs. Mais que restera-t-il de cette approche méticuleuse, où chaque souffrance est digne d’attention, dès lors que l’euthanasie deviendra une possibilité ? Il y a quelques semaines, une cloche a été installée dans la cour de la clinique, qui sonne l’Angélus à chaque décès. Afin de permettre à ceux qui le souhaitent de se recueillir. Comme si, après avoir été entendus et consolés jusqu’à leur dernier souffle, les malades continuaient à l’être après leur mort.