En 197 après J.C. Tertullien écrivait : « Le sang des martyrs est la semence de l’Eglise ». Habituellement, nous tenons ce principe comme garanti. On pourrait cependant se demander si Tertullien tirerait la même conclusion de nos jours. Cela commence à ressembler davantage à : « Le sang des martyrs est la fin de la chrétienté ». La destruction systématique des chrétiens du Moyen Orient en même temps que de leurs bâtiments est un pas 1) vers l’unité intérieure de l’islam, 2) vers un projet de pacification de « Réalpolitique » (C’est la religion qui provoque la guerre). Deux théories différentes justifient le même acte. L’une implique une persécution active ; l’autre implique de ne pas intervenir.
Penser au martyre, à une époque, paraissait évident. Les gens se faisaient tuer pour avoir refusé d’adorer les faux dieux. Dans l’Eglise primitive, cette fin sanglante était la première voie vers la reconnaissance de la sainteté. Il a fallu attendre un certain temps avant qu’on admette d’autres titres à la canonisation. Le martyre était le premier test qui prouvait la vérité de la foi.
Nous voyons de jeunes Coptes décapités sur place pour avoir refusé de se convertir à l’Islam. Nous reconnaissons notre impuissance. Personne ne va rien « faire » pour cela. Nous entendons le pape et les évêques du Moyen Orient supplier pour avoir de l’aide, et, ajoutent-ils, de l’aide sans violence, sans guerre. Qui vult finem, vult media ad finem. On ne peut pas tout avoir. Si vous ne commandez pas votre propre armée, vous dépendez de celle de quelqu’un d’autre. Ils ont leur propre programme.
Dans ce mélange, quelque chose de nouveau surgit. A travers l’histoire, le concept du martyre était relativement clair. A propos des chrétiens martyrisés au Japon au XVII° siècle, Shusaku Endo, dans son roman Silence, décrivait les autorités qui voulaient seulement torturer les chrétiens pour qu’ils apostasient. Les tuer leur donnait trop de prestige. Les comportements récents des chinois vis-à-vis des chrétiens semblent suivre la même politique. Le martyre était contreproductif. Il causait plus d’ennuis à ceux qui le perpétraient, qu’il n’en valait la peine. Cela arrivait parfois cependant.
Auparavant, ceux qui procédaient à l’exécution pensaient en général qu’ils suivaient une politique d’Etat. Le martyre n’était pas un homicide. Il y avait des martyres de la vertu, bien sûr, on tuait des femmes pour leur vertu.
De nos jour, la nouvelle réalité, c’est que les musulmans tuent quiconque n’est pas musulmans pour la raison qu’il est coupable de ne pas être musulman. Si un musulman est tué alors qu’il est en train de tuer un infidèle, c’est lui, et non celui qu’il est en train de tuer, qui est le martyre. Un tel concept est renversant. C’est le musulman assassin qui est martyre, pas celui qu’il tue !
Dans Shakespeare, on assassine un homme alors qu’il commet un adultère. Cela représente un niveau de haine qui ne laisse à celui que l’on tue aucune chance de se repentir. Dans la conception des musulmans, celui qui tue va au ciel. Celui qu’on tue n’y va pas.
Dans le chapitre 12 de l’épître aux Romains, nous lisons : « « Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez les, ne les maudissez pas. » Il n’y a pas de doute, c’est un enseignement difficile. Nous devons haïr les actes d’injustice car ils sont haïssables. Si nous aimonss l’ennemi ou le pécheur, nous n’aimons ou n’approuvons pas pour autant les actions ou les intentions mauvaises. Que faisons-nous ?
Joseph Pieper faisait remarquer que le martyr chrétien ne nie pas que le monde est bon, malgré son martyre. Le Christ et Saint Etienne pardonnent à leurs ennemis. Les célébrations liturgiques des martyrs sont considérées comme des occasions de se réjouir. Le martyr ne manque pas dans sa mort d’atteindre le but pour lequel il a été créé. Au contraire, il l’accomplit. En plus, celui qui le tue à la possibilité de se repentir, même s’il ne le fait pas.
Je me souviens de ce que j’ai lu sur les Jésuites martyrs au Canada. La rhétorique récente à propos de Junipero Serra et Pierre Jean de Smet (qui n’ont pas été martyrisés) est que de tels missionnaires n’étaient que des exploiteurs au service des puissances coloniales. Certains de ces jésuites français avaient fait le vœu d’accepter le martyr. Ils l’ont même demandé dans la prière comme une part du troisième degré d’humilité selon saint Ignace. Nous devons penser à eux non comme voulant éviter que les indiens soient damnés, mais en même temps, acceptant le martyr.
Qu’en est-il du musulman qui pense que, en tuant un chrétien, c’est lui, et non pas le chrétien, qui est sauvé ? Pouvons-nous utiliser l’enseignement de Saint Thomas sur l’obéissance à une conscience erronée pour l’excuser ?
« Mais quand le Fils de l’Homme reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Luc XVIII 8) Le temps présent est-il celui de Sa venue ? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons par contre, c’est que s’il vient juste maintenant, Il ne trouvera pas beaucoup d’endroits où ses enseignements sont autorisés, ni mis en pratique là où ils le sont.
Est-ce que c’est une conclusion pessimiste ? La question n’est pas : est-ce que c’est pessimiste, mais est-ce que c’est pertinent ? Nous hésitons à lire certains « signes des temps ». Finalement, qu’il y ait une abondance de martyrs ne veut pas dire que le monde n’est pas bon. Et cela ne suggère pas non plus que le plan de Dieu pour notre salut ne se réalise pas au milieu de nous.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/06/23/on-martyrdom/
Tableau : La lapidation de saint Etienne, par Charles LEBRUN (1651)
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.