Je reviens d’un séjour en Angleterre, où j’ai éprouvé un de ces pressentiments troublants sur ce qui nous « pend au nez ». Les gens que je rencontrais en Angleterre parlaient toujours de leur « partenaire », jamais « mari » ou « femme ». On m’a dit que c’est pareil en Irlande.
Au début, je croyais avoir rencontré des célibataires, jusqu’à ce qu’une charmante enseignante catholique m’explique que, tout au moins dans son milieu, on ne parle jamais de « son mari » ou de « sa femme », mais toujours, exclusivement, de son « partenaire ». Autrement, ce serait impoli et, pire, « discriminatoire ».
L’emploi de ces mots interdits suggère que vous trouvez quelque différence entre deux personnes « sexuellement proches » et deux personnes qui se sont unies publiquement devant Dieu et devant tous leurs amis pour vivre ensemble dans le lien sacré du mariage.
Aussi, pour éviter de heurter les gens, il est interdit aux couples mariés d’employer des mots laissant entendre qu’ils le sont.
Quel que soit l’intérêt de ces mesures d’austérité linguistique, il se pose souvent des problèmes. Savoir si le « partenaire » est un homme ou une femme. On attend souvent avec impatience qu’apparaisse dans la conversation le pronom adéquat (il, elle) permettant de poser l’amicale question: «depuis quand la connaissez-vous?», «est-il amateur de foot?» Mais à mon avis le manque de clarté au sujet du genre fait partie du plan: il faut éviter de telles précisions qui relèvent de la « discrimination ».
Mais l’autre problème est que le mot « partenaire » peut avoir des applications diverses. On a peine à détecter le type de relation qu’il désigne. après tout, on a souvent dans son existence une foule de différents « partenaires »: partenaires en affaires, partenaires au tennis, partenaire au « jogging », partenaire pour danser.
Quand quelqu’un me dit que son partenaire est actuellement en France, qu’en penser ? Qu’il est privé de tennis ? Qu’une affaire importante se traite à Paris ? Qu’il y a une affaire de cœur en cours ? Tout çà n’est pas net. Mais tant-pis: il ne faut pas que les gens soient mal à l’aise.
Je suis peut-être un peu méchant, ou bien est-ce dû à mon long séjour au Texas, mais quand on me présente à un ou une « partenaire », je suis tenté de dire avec l’accent bien traînant du Texas: « Howdy, par’dner [Salut!, partenaire].» [NDT: « Howdy » = « Salut » est fort usité dans l’Ouest, au pays des Cow Boys].
Mais même quand je surmonte la tentation, il se pose d’autres questions qui pétilleront naturellement, compte-tenu de la nature flexible du mot « partenariat ».
Depuis combien de temps êtes-vous avec votre partenaire?
Travaillez-vous dans le même bureau que votre partenaire?
Vivez-vous dans la même maison que votre partenaire?
Vivez-vous dans le même pays que votre partenaire?
Depuis quand avez-vous rencontré votre partenaire?
Votre partenaire a-t-il beaucoup d’autres partenaires?
Il y a de quoi se mélanger les pieds. Là encore, on peut s’interroger.
L’insistance pour se débarrasser de la distinction due au mot « mariage » survient, assez bizarrement, à une époque où les couples gays revendiquent le statut de « mariés ». Ce qui est étrange, c’est la démarche des gays souhaitant le « mariage » alors que les hétérosexuels ont tant fait pour le déprécier, l’abaissant à une sorte de « non-entité ».
En fait, on se demande si les couples gays, une fois acquis le statut de « mariés », refuseront, comme tous les autres, de se présenter comme « époux » (mari ou femme) et se diront simplement « partenaires ». De toutes façons, la cause du problème n’est pas avec les couples gays. C’est le chambardement que les hétérosexuels ont déjà mis dans ce qu’on avait l’habitude d’appeler « mariage ».
Les voies du Seigneur sont impénétrables. Il serait intéressant de voir une évolution due à la pression mise sur le mariage gay, amenant les gens à réfléchir plus sérieusement sur ce qu’est vraiment le mariage, et ce qui distingue les « partenaires mariés » des simples « partenaires ».
S’il n’y a vraiment aucune différence, pourquoi donc certains se battent-ils si vigoureusement pour acquérir le titre de « mariés » ? Qu’y voient-ils, peut-être en filigrane, que les autres semblent décidés à oublier ?
Un partenariat non défini ne serait-il que que néant? Nous semblons victimes de l’illusion que nous pouvons définir nos relations comme nous pensons pouvoir nous définir nous-mêmes selon nos désirs et nos humeurs. Pourtant, en vérité, nul ne peut tirer avantage d’un engagement sans vraiment s’engager.
Dans son essai « Le Pouvoir des sans-pouvoir » Vaclav Havel explique avec éloquence comment sous les régimes autoritaires tout devient mensonge, même les choses les plus simples. Une grande action de la révolte des « sans pouvoir » consiste pour Havel à parler et agir de sorte à « vivre dans la vérité ».
Il raconte l’histoire d’un marchand de primeurs qui affiche à sa devanture le slogan « Travailleurs du monde, unissez-vous! », non parce qu’il y a pensé ne setrait-ce qu’un instant, mais simplement parce qu’il est supposé le faire. Havel nous invite à imaginer « qu’un jour quelque chose frappe l’esprit de notre marchand de primeurs et il cesse d’afficher ce slogan simplement pour sa propre satisfaction. »
« Dans sa révolte — nous dit Havel — le marchand de primeurs s’extrait de la vie dans le mensonge. Il rejette le rite et rompt les règles du jeu. Il redécouvre son identité et sa dignité confisquées. Il donne à sa liberté un sens concret. Sa révolte est une tentative pour vivre en vérité. »
Laissons les autres parler de leurs « partenaires ». Pas besoin de les critiquer. Qu’ils fassent comme il leur plaît. Mais les Catholiques devraient affirmer nettement que nous avons des « maris » et des « femmes », non seulement par notre vocabulaire, mais par notre façon de vivre ensemble et de nous entourer mutuellement dans le mariage.
Le but de cette démarche serait de montrer qu’il y a mieux que ce dont bien des gens se contentent dans leur existence.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/howdy-partner.html
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Partenaire ou partenaire ? (Dessin de Laurence Fellows, vers 1935)