Les quatre « Seekers », en habit de cérémonie, avec un tambourin, une basse et deux guitares, chantent leur dynamique interprétation du vieux negro-spiritual « Open Up Them Pearly Gates » (Ouvre les portes du Paradis). Presque tout le monde a chanté un jour ou l’autre cette mélodie pleine d’allant. Une chanteuse du nom de Viola Billups a pris pour nom de scène « Pearly Gates ». Les portes du Paradis sont dénommées Portail de Perle. Le nom portail, qu’il soit ou non de perle, est très familier à la culture technique contemporaine.
L’inspiration des paroles du chant provient probablement de l’Apocalypse 21:21 qui déclare : « les douze portes (de la Nouvelle Jérusalem) étaient douze perles, chacune des portes étant faite d’une seule perle ; et les rues de la cité étaient d’or pur, transparent comme du verre. »
Nous avons ici encore un nouvel effort, cette fois-ci inspiré d’une très bonne source, pour imaginer comment pourrait être le Ciel, un sujet qu’il est difficile de laisser tomber. Même les païens modernes ne le rejettent pas. Ils veulent seulement le localiser dans leur version de ce monde-ci. Leur « nouvelle » Nouvelle Jérusalem se trouve toujours tourner, tôt ou tard, à une autre horrible version du Meilleur des Mondes plutôt qu’à la Cité de Dieu.
Les premières paroles de la chanson sont celles-ci : « Ecoutez, vous tous/ que je vous apprenne une leçon/ Préparez-vous pour le Jour du Jugement/ Alleluia ! Alleluia !/ Quand vous entendrez la trompette sonner/ Alors vous saurez que vous êtes enfin à la maison/ Ouvrez pour moi les portes du Paradis. »
En ces jours de murs, bâtis pour garder certaines personnes dedans et d’autres dehors, nous voyons dans l’Apocalypse une description de la Nouvelle Jérusalem qui comporte des murs avec des portes qui doivent être ouvertes, non pas par n’importe qui, mais par ceux qui sont qualifiés pour juger qui est digne d’entrer.
La vie éternelle ne semble pas être un mélange de bons et de mauvais, mais de bons et de ceux qui parmi les mauvais ont assez de bon sens pour se repentir à temps et reconnaître la vérité en ce qui concerne leur version personnelle de la mauvaise conduite.
De nombreux vers de la chanson sont très précis. Grand-papa Jones n’y va pas par quatre chemins, pour ainsi dire, à propos de ce qui est en jeu : « Ecoutez, vous tous les pécheurs/ Si vous voulez aller au Ciel/ Mieux vaut vous agenouiller et prier/ Et vous joueurs d’argent invétérés/ Vaut mieux arrêter de miser/ Préparez-vous pour le Jour du Jugement. » Le Jour du Jugement – les ombres de Platon – est dépeint comme une chose à laquelle il faut se préparer, un jugement qui sera rendu à la lumière de nos vies telles que vécues.
Les pécheurs, même ceux jouant à des jeux d’argent, ont à s’agenouiller et prier. Et si nous entendons « la trompette sonner », alors « nous saurons que nous sommes enfin à la maison ». A l’évidence, certains ne l’entendront pas. Ce ne sera jamais leur maison. Ce sont les pécheurs qui se savent pécheurs mais ne s’agenouillent pas.
Dans le récit du chant, ce qui manque aux pécheurs, c’est de prier pour demander pardon. Même pour « ceux qui jouent à des jeux d’argent », il est trop tard uniquement à partir du moment où les portes du Paradis leur sont fermées, de toute évidence à leur mort. Ils n’entendent pas « la trompette sonner ».
Ce commentaire est peut-être de la casuistique jésuite sur un hymne à la base protestant, mais probablement que ceux qui misent occasionnellement quelques dollars au billard ou jouent une fois jamais au black jack entendront la trompette. C’est pour les gros joueurs aux relations louches que nous nous inquiétons. Et si « un peu de vin est bon pour l’estomac » et « qu’il réjouit le cœur de l’homme », probablement que les vertueux abstinents auront dans la Cité éternelle des compagnons ivrognes mais s’étant agenouillés.
Il est à noter que quand nous arrivons à passer les portes du Paradis, quand nous entendons la trompette sonner, nous n’arrivons pas en un lieu étranger. Bien plutôt, nous arrivons à la maison, et nous le savons. Nous avons ici un indice de la réflexion de Chesterton de l’étrangeté de notre vie sur terre. C’est bien cela, surtout si nous vivons comme il faut, nous commençons à ressentir douloureusement « la nostalgie du logis même en étant chez soi ». Nous n’avons pas ici-bas de cité éternelle.
Ces dernières années, nous avons beaucoup entendu parler de jugement et de non-jugement. Le chant expose clairement que nous ne passerons pas les portes du Paradis tant que nous n’aurons pas été jugé sur notre façon de vivre. C’est le drame de notre existence, il vaut la peine qu’on le mette en chanson.
C’est aussi le sérieux rappel que ne pas s’agenouiller a des conséquences. La première façon de rendre sa vie vide de sens, c’est de soutenir que de quelque manière que nous façonnions notre âme, cela n’a aucune incidence cosmique sur personne, pas même sur nous-mêmes.
Si ça se trouve, nous tomberons un jour, dans un vieux cimetière du New Jersey ou de l’Iowa, sur une pierre tombale presque effacée portant l’inscription : ci gît Jefferson Zachariah Smith, 1809 – 1863, attendant que la trompette sonne.
Nous saurons un jour ce qu’il voulait dire. Oui, encore une fois, nous le saurons tous ! – « Ouvrez pour moi les portes du Paradis, Alleluia ! »
James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques en Amérique.
Illustration : « le Jugement Dernier » par Stefan Lochner vers 1435 [musée Wallraf-Richartz de Cologne]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/13/on-them-pearly-gates/