Comment est-il possible que des gens apparemment bons finissent par soutenir et faire des choses terriblement mauvaises, spécialement sur les questions concernant la vie ? Pourquoi nient-ils farouchement que ce qu’ils font est mauvais ? Pourquoi font-ils les derniers efforts pour détruire quiconque dénonce ce qu’ils font comme mal ? On me pose souvent la question. Comment répondre ?
Evangile de mardi, deuxième semaine du temps ordinaire, Luc, chapitre 3. L’homme à la main atrophiée. J’ai toujours pensé que c’était un passage marquant. Jésus revient à la synagogue. Il a parcouru la contrée. Les disciples mangeaient des épis le long du chemin. Ils sont alors accusés de violer le sabbat. Mais Jésus répond aux autorités juives tatillonnes que même les hommes de David ont mangé des pains d’oblation le jour du sabbat, quand ils ne pouvaient rien trouver d’autre à manger. « Le sabbat est fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat ». Le Christ s’applique ensuite la phrase à Lui-même — « le maître du sabbat ». Cette affirmation peut seulement signifier qu’Il s’identifie à Dieu.
Qu’arrive-t-il alors ? Un homme à la main atrophiée se présente. Nous n’avons pas de raison de supposer que la main n’était pas sérieusement déformée ou que l’incident a été provoqué. Le Christ sait qu’Il est attentivement surveillé. Les responsables juifs cherchent quelque chose pour pouvoir L’accuser. Ils L’ont déjà implicitement jugé coupable de blasphème, méritant la mort. Mais ils sont prudents. Leur conduite exaspère le Christ. Que fait-il ? Il ordonne à l’homme de venir devant Lui.
Le Christ pose une question aux spectateurs : « Est-il permis par la Loi de faire le bien pendant le sabbat ou de faire le mal ? » Les responsables religieux savent que cette question est dangereuse. Alors ils ne répondent pas pour éviter d’être mal vus à la synagogue. Ils « demeurent silencieux ». Le Christ les regarde « avec colère ». Leur silence est malveillant. Si l’homme est guéri, même un jour de sabbat, c’est d’évidence une bonne oeuvre. Le diable ne peut pas réaliser une telle prouesse. Personne ne peut appeler cela un mal.
Jusqu’alors, les pharisiens faisaient savoir qu’agir ainsi violait les lois rigoureuses sur le travail pendant le sabbat. Ils pensaient que l’homme était fait pour le sabbat. La Loi règlemente tous les événements. Même une bonne oeuvre est interdite. Mais ils reconnaissent évidemment qu’il y a là quelque chose de contradictoire. Cette prise de conscience est la raison de leur silence. Ils ne veulent aucun examen logique de leurs positions. Ils ne veulent pas avoir l’air mauvais. Mais ils ne veulent pas non plus changer d’opinion.
Marc nous dit que le Christ « était profondément affligé qu’ils aient fermé leur esprit ». Il ne dit pas : « ils ne savent pas ce qu’ils font » mais « ils ont fermé leur esprit ». Ils ne veulent pas voir ce qui se passe devant eux. Ils acceptent implicitement que selon toute logique, si quelqu’un est guéri durant le sabbat, cela ne peut venir que du Maître du Sabbat. Ils refusent de reconnaître qui se trouve devant eux.
Le Christ demande à l’homme « d’étendre la main ». Il le fait. Sa main est entièrement rétablie. Si la guérison n’avait été que partielle, on se serait moqué du Christ comme d’un imposteur. Mais la main est guérie. Les pharisiens présents ne demandent pas un examen médical de vérification. Il est manifeste pour tous ceux qui regardent, l’homme comme les autres spectateurs, que la main est parfaitement rétablie. Les pharisiens peuvent bien ne pas aimer, mais ils voient la main en parfaite santé.
Qu’est-ce qui explique les actes des chefs de la synagogue ? Ils refusent les implications de ce dont ils viennent d’être témoins. Ils ferment leur esprit. Ils n’admettent aucune logique dans la Bible qui leur permettrait d’accepter les implications de l’événement auquel ils ont assisté. Il faudrait pour cela qu’ils suivent Jésus et non leurs propres opinions.
Alors vient un des passages les plus ahurissants et de mauvais augure de toutes les Ecritures. Les pharisiens vont « dehors ». Dans quel but ? Ils « commencent immédiatement à comploter avec les partisans d’Hérode pour voir comment Le détruire. » La preuve de l’autorité divine ne compte pas devant la propre compréhension qu’ont les pharisiens de l’autorité divine. Ils renient l’autorité divine au nom de l’autorité divine.
Si quelqu’un se demande comment ou pourquoi des croyants ou des penseurs intelligents peuvent se tenir devant des vérités évidentes de la raison ou de la révélation et toujours les repousser au profit de leurs propres opinions, voilà la raison. Nous ne devrions pas être trop étonnés par ceux, même « croyants » qui rejettent les éléments de base de la foi ou de la raison parce que cela ne colle pas avec leurs vues de ce que Dieu « devrait » faire et ne fait évidemment pas.
Cette réaction est-elle peu courante ? Je ne crois pas. Cela arrive tous les jours parmi nous. Est-ce que cela continue d’irriter le Christ ? Je le soupçonne fort. Les plus grands opposants à la foi, ainsi que l’histoire juive nous l’enseigne, sont souvent ceux censés en être les plus proches. Ses plus grands ennemis sont au sein de la maisonnée. Ils savent ce qu’ils font. Ils « ferment leur esprit ».
James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains les plus prolifiques des Etats-Unis.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/on-closed-minds.html
Illustration : L’homme à la main atrophiée, par James Tissot, vers 1890