Un article comme celui-ci, publié une semaine avant l’élection présidentielle, peut difficilement éviter de se référer à l’événement. Qu’est-ce qu’une élection, aussi bien ? Comment cela s’est-il fait que nous pensions pouvoir choisir nos gouvernants par une méthode aussi hasardeuse ?
Nous nous souvenons de ces périodes de l’histoire où les rois et les reines étaient choisis en raison de leur naissance dans une famille royale. De nos jours, nous pensons rarement que cette méthode puisse être envisagée sérieusement. Elle avait pourtant ses avantages.
La monarchie héréditaire résolvait un problème politique évident, à savoir la transition ordonnée d’un régime ou d’un gouvernement à un autre. La question était réglée par la naissance d’un héritier.
C’était une sorte de loterie, qui à l’évidence produisait de bons et de mauvais gouvernants, selon des proportions similaires à celles d’un autre mode de sélection. On connaît aussi le règne par la conquête ou par des chefs militaires.
Mais, habituellement, dans la plupart de nos sociétés policées, nous avons une part d’élection. Un corpus plus ou moins grand se voit assigner la tâche de choisir le prochain gouvernant. Le vainqueur est désigné par une majorité dans cette représentation. C’est Sir Ernest Baker, je crois, qui faisait remarquer que l’essentiel de ce système électif avait initialement été élaboré dans les monastères, tout particulièrement les chapitres de Dominicains.
Habituellement, il y a deux questions concernant les élections : qui veut gouverner ? qui est capable de gouverner ? Chesterton a dit quelque part que la plus dangereuse personne au gouvernement est celle qui avait le désir de gouverner. Des gouvernants peu enthousiastes étaient souvent plus sûrs. Cela a à voir avec le pouvoir politique qui corrompt l’âme de beaucoup, surtout parmi ceux qui ont une position politique éminente.
Si cette vision des choses est vraie, nous ne devrions pas être autrement surpris d’avoir à changer souvent les personnes haut placées. Nous avons, il est vrai, des exemples d’hommes et de femmes de pouvoir ayant longtemps exercé leur charge et devenus plus sages avec l’âge. Mais nous avons aussi une longue liste de gouvernants qui n’ont pas quitté leur poste assez tôt. Ils sont rarement morts dans leur lit.
Le problème du régicide ou du tyrannicide a surgi de la difficulté à changer des gouvernants qui semblaient devoir être démis de leur charge mais qui n’étaient pas prêts à l’admettre. Les élections, je l’ai toujours pensé, sont un moyen pacifique de tuer les rois et les tyrans. Cependant, si nous regardons les possiblités de corruption dans les élections, nous pouvons parfois nous émerveiller qu’il n’y ait pas plus de pagaille que dans l’ancienne méthode si décriée.
Par ailleurs les élections, ainsi que le remarque Aristote, qui a remarqué de nombreuses choses méritant de l’être, présentent une particularité. Quand le scutin donne un écart faible entre les candidats, il en résulte un pouvoir plutôt faible. Si le vainqueur obtient 50,1% des suffrages et son adversaire 49,9%, il n’est pas évident de savoir quel était le meilleur choix (ou le pire) . Pourtant quand une large majorité (98%) se dégage, nous soupçonnons qu’il n’existait pas une réelle liberté de choix.
Les Pères Fondateurs de l’Amérique étaient des hommes sensés. Imprégnés des leçons politiques de l’Histoire, ils n’avaient pas prévu des élections au suffrage universel direct. Ils avaient organisé les choses pour que d’autres facteurs que les chiffres bruts entrent en jeu. La stricte règle de la majorité laisse soupçonner autant de tyrannie que le règne d’un unique gouvernant.
Dans le système grec classique, la participation au gouvernement était considérée comme requérant la maturité et une pleine formation humaine. Comment cela se passait-il ? Il était toujours reconnu que n’importe qui ne pouvait gouverner. Il fallait une sélection à la fois pour les gouvernants et les rôles consultatifs.
La participation aux élections sur la large base de la citoyenneté autorise chacun à pratiquer par le vote une certaine circonspection politique. Voter n’est pas prévu pour être une autre façon de lancer les dés. La réflexion et le jugement devraient guider la sélection de l’électeur.
La croissance et la chute des nations dépendent-elles des élections ? Parfois. Nous pouvons avoir ce que j’appelle des élections cicéronniennes. Cicéron a tenté de sauver la forme républicaine de gouvernement de ce qu’il prévoyait ête une tyrannie et il a échoué. Tous les pouvoirs ont fini par être concentrés dans les mains d’un seul, nommé César. Nos Pères Fondateurs avaient étudié l’histoire romaine.
Tant Platon qu’Aristote étaient sûrs que les régimes politiques ou les républiques pouvaient facilement se muer en démocraties, c’est-à-dire une forme de gouvernement par le peuple qui se voit libre de faire ce qu’il veut, sans autre règle ou limite que lui-même. C’est dans un tel contexte que surgira un tyran, bien qu’il ne voudra pas être appelé ainsi. Il sera « le conducteur du peuple » et lui enlèvera même ses libertés aléatoires.
Savoir reconnaître à quelle sorte d’élection on fait face est en soi une question de perspicacité prudentielle. Les régimes politiques, surtout les électifs, reflètent l’âme des citoyens. C’est peut-être pour cela que les élections ont été inventés.
James V. Shall, professeur à l’université de Georgetown, est l’un des écrivains catholiques américains les plus prolifiques. Ses plus récents livres sont L’esprit catholique et L’âge moderne.
Illustration : Le roi Charles conduit à son exécution, par Charles Crofts (1901)
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/on-elections.html
Pour aller plus loin :
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