A propos de la conscience des chefs d'États - France Catholique
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Pâques. La foi des convertis
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A propos de la conscience des chefs d’États

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Dans A Man for All Seasons (Un homme pour tous les temps), à une subtile proposition du cardinal Wolsey consistant à donner une épouse au roi afin de sauver l’Eglise d’Angleterre, More répond : « Quand les hommes d’État étouffent la voix de leur conscience au profit de leurs obligations d’état… ils conduisent leur pays au chaos par le plus court chemin. »

Cette phrase mémorable semble prophétique. Elle éclaire — ou faudrait-il dire qu’elle met sur le gril ? — les personnages publics que nous appelons de nos jours « hommes d’État ». Nous pensons tout particulièrement à ceux qui soutiennent qu’ils suivent leur conscience même (ou peut-être surtout) quand la décision est contraire à la raison et aux enseignements de l’Église. Le problème devient plus ardu quand nous nous rappelons que Thomas d’Aquin enseignait que nous devrions suivre notre conscience quand elle se trompe de bonne foi, précisément pour la raison avancée par More, c’est-à-dire pour éviter le chaos moral. Cependant la conscience de More n’était pas dans l’erreur, même si une grande partie de l’aristocratie anglaise de l’époque le croyait.

A l’exception de John Fisher, les évêques d’Angleterre, à l’époque des démêlés matrimoniaux d’Henry VIII, n’avaient pas de problèmes de conscience. Ils étaient du côté du roi, pas de celui de la hache du bourreau. Henry lui-même a protesté que sa conscience était troublée par l’interdiction d’épouser la veuve de son frère inscrite dans le Lévitique. Des restrictions qui n’ont pas beaucoup tracassé sa conscience concernant les épouses qui ont suivi Anne Boleyn.

En 1929, Ronald Knox, dans The Charge of Religious Intolerance (Les responsabilités de l’intolérance religieuse) dit des choses très crues sur les responsables de la mort de More, des mots que nous avons rarement l’occasion d’entendre en ces temps d’œcuménisme :

« Un grand crime a été commis il y a quatre cents ans, l’un des plus infects crimes de l’histoire. Et bien qu’il soit vrai que l’auteur principal en est un roi dont peu de nos contemporains ont une bonne opinion, la responsable de ce crime est l’Angleterre protestante. Pas dans le sens où l’Angleterre de cette époque aurait été un pays protestant, mais dans le sens où l’Angleterre témoin de ce crime n’ayant élevé aucune protestation et ayant continué à faire un héros du tyran sanguinaire coupable de ce crime était une Angleterre à la conscience pervertie. »

Quelques cinq cents ans après l’exécution par ordonnance royale de More (le 6 juillet 1535), la question n’est pas de savoir si l’Angleterre est protestante mais plutôt si elle pourrait devenir musulmane ou même, hypothèse moins plausible, catholique.

Mais la facilité avec laquelle les prélats et le peuple catholiques anglais se sont accommodés du meurtre de More a à voir avec la prédominance de ce que Knox nomme « une conscience pervertie ». La mort de More n’impliquait pas uniquement le roi Henry. Elle impliquait aussi la société tout entière, qui s’est contentée de regarder.

Nous parlons de la démocratie comme si les élections qu’elle implique nous exemptaient de la responsabilité morale personnelle qui est la nôtre quand nous tolérons ses dérives dans des lois et décrets immoraux. Nos élections et jugements récents débordent de ce que Knox sous-entendait. Des hommes et des femmes indignes légifèrent suite au choix populaire. Aristote nous avait averti, mais il n’avait pas localisé le problème dans « une conscience pervertie ».

Comme je lisais les commentaires de Knox, j’ai pensé aux efforts controversés de Jean-Paul II pour manifester la tristesse et le repentir des péchés passés des chrétiens, et particulièrement des papes. A ma connaissance, il n’y a pas eu d’effort officiel similaire en Angleterre pour exprimer le regret du meurtre de More. A mon avis, parce que cela impliquerait un questionnement sur les fondations du régime qui a suivi Henry. Mieux vaut ne pas réveiller le chat qui dort. Tous les maux ne doivent pas recevoir leur rétribution en ce monde.

Pourtant, en lisant ce commentaire, on éprouve un sentiment de malaise. De nombreux croyants de notre époque n’ont aucune difficulté à embrasser des positions bien plus nocives à l’âme que celle des évêques anglais en faveur du divorce d’Henry, bien que le divorce soit probablement à la racine de beaucoup de notre désordre moral actuel.

Ignatius Press a publié un petit livre de Joseph Ratzinger sur la conscience. Dans celui-ci, il traite avec soin de la conscience dans l’erreur. Si quelqu’un a fait peu ou pas d’effort pour former sa conscience, ses erreurs paraissent moins respectables. Les actuels « suiveurs de conscience » formés contre l’enseignement basique orthodoxe sont une clef pour comprendre la vie publique. En effet, ils substituent leur conscience à la loi puis jugent la loi et ceux qui soutiennent la loi de Dieu comme inhumains ou dépassés.

Si nous relisons une nouvelle fois la déclaration de More, nous voyons bien qu’il avait raison. Quand un homme d’État viole sa propre conscience ou néglige de la former afin de pouvoir juger en vérité, il conduit effectivement la communauté vers le chaos. Qui peut douter que de tels « hommes d’État », qui font de leur conscience dévoyée la norme, ne nous conduisent inexorablement vers le chaos ?

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/on-the-private-conscience-of-statesmen.html


James V. Shall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des auteurs catholiques les plus féconds d’Amérique. Ses plus récents livres sont The Mind That Is Catholic (L’esprit catholique) et The Modern Age (L’époque moderne).


illustration : Sir Thomas More et sa fille, par John Rogers Herbert, 1844