Tout le monde semble à peu près d’accord pour estimer que l’école est le cœur même du champ social et que de sa puissance formatrice dépend largement le devenir de notre jeunesse. Le président de la République exprimait cette conviction lors de sa dernière conférence de presse. Hier, c’était Alain Juppé qui annonçait sa décision de lancer une consultation sur le sujet : « L’éducation, disait-il, c’est tout d’abord former l’esprit critique des jeunes gens pour qu’ils ne se laissent plus intoxiquer par une propagande obscurantiste, diffusée notamment sur les réseaux sociaux. » Comment ne pas être d’accord ? Cependant, je voudrais être sûr qu’on a bien pris la mesure exacte de ce fameux esprit critique. J’ai parfois l’impression qu’on l’interprète d’un point de vue purement négatif, en courant le danger de se laisser aller à la pente du scepticisme absolu, de l’à quoi bon généralisé.
C’est souvent ce qu’on retient de la référence au fameuses Lumières et à celui que l’on présente comme son enfant chéri, Voltaire. Attention ! Il faut revenir à la racine du mot critique, qui vient de krinein en grec, qui signifie juger. Juger c’est bien autre chose que se retrancher derrière « l’esprit qui toujours nie », pour reprendre la formule de Goethe dans son Faust. L’exercice du jugement, c’est aussi l’ouverture à l’être qui ne va pas sans étonnement, ni admiration. Et c’est commettre une lourde erreur que de croire qu’à fabriquer de durs petits esprits, toujours à dissoudre toute certitude, notamment dans l’ordre du Bien et du Juste, on armera nos jeunes pour la vie. Sans amour et sans vénération, on s’expose au dessèchement des facultés humaines.
Attention, cela ne veut pas dire qu’il faut laisser la place à une sorte de sentimentalité mièvre. Il s’agit de mettre les forces de la raison au service du sens profond de la vie, qui se découvre par une forme supérieure de rationalité, à la pointe de l’Esprit. Les jeunes gens qui partent rejoindre le djihadisme n’étaient pas forcément dépourvus d’esprit critique. Il leur manquait peut-être des raisons de vivre qu’ils ont cru, hélas, découvrir du côté d’une religion dévoyée et d’un espoir fourvoyé dans la barbarie.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 12 février 2015.
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