La révélation par la communauté de l’Arche d’agressions sexuelles commises par Jean Vanier sur des femmes aux profils fragiles, constitue un véritable coup de tonnerre pour le monde catholique où il était révéré presque comme un saint. Moi-même, qui l’ait salué, au moment de sa mort, pour exprimer mon admiration et ma gratitude à son égard, je m’en trouve blessé et il faudra longtemps pour que ma tristesse s’apaise. Cette révélation fait d’autant plus mal que Jean Vanier a fondé et dirigé un œuvre proprement admirable à tous égards. Faut-il se redire avec les anciens : « Corruptio optimi, pessima » ? La corruption du meilleur est la pire des choses. Peut-être, parce qu’en un certain sens, Jean demeure le meilleur et que sa culpabilité n’en est que plus cruelle. Pourquoi ? Parce qu’en abusant de certaines femmes, il s’est prévalu justement de son prestige spirituel et de son autorité de héros de la charité.
Et là, on est bien obligé de parler de dévoiement pervers. Jean Vanier était une sorte de laïc bien particulier dans l’Église. Il a prêché dans sa vie de multiples retraites et on ne pouvait qu’acquiescer à un sens évangélique incontestable. Bien qu’il ne fut pas prêtre, il a usurpé de son charisme pour commettre le mal. On s’interroge sur la responsabilité qu’a pu avoir dans ce dévoiement le Père Thomas Philippe, cofondateur de l’Arche et lui-même coupable d’agressions du même type. Dans les années cinquante, ce religieux avait été d’ailleurs gravement sanctionné par le Saint-Siège, déjà pour des actes délictueux. L’affaire était restée en grande partie secrète et peu savaient ce qui s’était passé à ce moment-là. J’avais moi-même interrogé Jean Vanier là-dessus il y a fort longtemps, et il m’avait répondu que cela demeurait aussi pour lui une énigme.
Ne détenait-il pas un terrible secret qui aura marqué son existence entière, en l’inclinant à ces agressions justifiées par une insupportable mystification spirituelle ? C’est pourquoi Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, a jugé, au plus juste titre, qu’il convenait de revenir sur la pensée dévoyée du Père Thomas Philippe, que celui-ci partageait aussi malheureusement avec son frère, le fondateur des petits gris. La corruption du trésor de la mystique chrétienne est vraiment la pire des choses. Il nous revient, au fond de notre accablement, à prier pour celles qui en sont subi les conséquences, et pour Jean lui-même. Que la douce pitié de Dieu retombe sur lui.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 février 2020.
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