Un éditorialiste n’a pas à faire partager, du moins habituellement, ses états d’âme face à ses perplexités devant l’actualité. Ce n’est pas que les sujets manquent à traiter. Chaque événement serait à analyser, à décortiquer. Mais nous ne sommes pas, nous les journalistes, omniscients et omnipotents. Nous ne disposons pas des remèdes miracles pour résoudre tous les problèmes, et certains d’entre eux sont d’une complexité telle qu’il convient de ne pas céder à des simplifications outrancières. Il y a, certes, les débats du jour qui sont a priori les plus tentants, parce qu’ils semblent passionner l’opinion et que chacun se trouve sommé d’y participer, sauf à se dérober lâchement.
Faut-il que j’ajoute, par exemple, mon grain de sel à la controverse autour de l’humoriste Dieudonné ? Évidemment, je partage l’opinion commune et je m’indigne de cette contagion dangereuse qui diffuse la haine de l’autre, en l’espèce l’antisémitisme qui semble renaître dans un nouveau public, en bravant les interdits que l’histoire et la mémoire avaient établis solidement. Dans un tel domaine, il faut toujours se méfier, d’autant que nous nous trouvons devant des phénomènes retors, habiles à inventer sans cesse des pièges inédits.
N’est-ce pas un paradoxe que l’antisémitisme de Dieudonné soit issu de l’antiracisme ? À l’origine, l’humoriste entend, en effet, se battre contre le racisme anti-noir. Et c’est dans le même mouvement qu’il va être amené à désigner un ennemi, contre lequel retourner la haine dont il s’estimait la victime. D’où l’importance de bien réfléchir à la signification de l’anti-racisme qui peut devenir un racisme contraire, comme l’avait démontré il y a bien longtemps déjà Pierre-André Taguieff. Alors que tous s’interrogent sur les moyens répressifs propres à faire taire Dieudonné, n’y aurait-il pas lieu de réfléchir en commun aux moyens de susciter chez nous, entre nous, plus de fraternité ?