À propos d’une sainte fraude - France Catholique
Edit Template
« Ô Marie conçue sans péché »
Edit Template

À propos d’une sainte fraude

Copier le lien
Jean Chrysostome, saint du IVe siècle.

Jean Chrysostome, saint du IVe siècle.

© Monastero di Bose

Mon gourou catholique – le regretté père Jonathan Robertson, oratorien, (un homme d’une grande patience, car j’étais moi-même l’un de ses pénitents) – avait l’habitude de rassurer ceux dont l’attention avait été distraite.

La doctrine et les dogmes chrétiens ne sont pas ce qu’on pourrait croire d’après les manuels, disait-il. Dieu a beaucoup de particularités, mais ce n’est pas un bureaucrate. Et le chrétien, comme son maître, devrait plutôt rechercher les choses mystérieuses telles que la beauté, la bonté, la vérité, quand celles-ci se présentent, – non pas dans les règlements, mais dans la réalité.

Il vaut la peine de se souvenir de cela quand on en vient inévitablement à juger les gens qui viennent d’un autre contexte, d’autres éducation, vocation ou place dans la vie. Ils ne sont pas « simplement différents » de nous, ou de ce à quoi nous sommes habitués.

Pour le meilleur ou pour le pire, ils sont « programmés » différemment, et il est sage de réserver son jugement tant que nous n’avons pas fait un certain progrès pour les comprendre. Alors qu’ils pourraient paraître hérétiques selon le règlement, la vérité est peut-être que nous sommes des idiots irréfléchis, décidés en effet à envoyer des innocents à la tombe. Prenons saint Jean Chrysostome, l’orateur à la « bouche d’or » d’Antioche par exemple. Je suppose que les prêtres ont eu l’occasion de lire son De Sacerdotio (à propos de la prêtrise) au cours de leurs études, ou en tous cas le lisaient avant l’effondrement de la civilisation occidentale.

On ne peut pas entrer dans le cœur de ce livre sans être rebuté et lui trouver mauvais goût. Car dans le but d’éviter la charge d’évêque (quand il était encore très jeune), ce célèbre père de l’Eglise a commis une sainte fraude.

Il fait un marché avec son bon ami Basile (il ne s’agit apparemment pas de Basile le Grand), qui, lui aussi, était appelé. Soit, ils accepteront tous les deux leurs nominations, soit ils la refuseront tous les deux. Car Jean Chrysostome, et son ami aussi, probablement, sont troublés par l’énormité des responsabilités qu’ils devraient assumer, et se sentent insuffisants.

Cette époque, au IVe siècle, était probablement différente par certains côtés de la nôtre. Il semble que l’Eglise était obligée de s’emparer de nombre de ses chefs religieux. Cela venait naturellement d’une tradition selon laquelle les chefs religieux de l‘Eglise devenaient candidats au martyre. Les jeunes, et les sains d’esprit ne sont pas nécessairement désireux d’être martyrisés.

Toutefois, leur réticence pouvait venir sincèrement d’autres raisons, trop profondes pour que nous essayions de les pénétrer. Les plus grands prêtres tout au long de l’histoire de l’Eglise, y compris ceux qui l’ont servie au cours de périodes de sécurité, se ne sentaient pas prêts pour cet appel, et souvent, ont eu besoin d’être persuadés de façon un peu brutale.

Considérons les attributions d’un évêque, que saint Jean Chrysostome va passer en revue. Il doit non seulement être un bon prédicateur, et administrateur de la discipline parmi ceux qui ont accepté son autorité. Il est également un responsable financier, avec tous les ennuis qui accompagnent cette responsabilité, et il a en outre le devoir de gérer les conflits qui vont lui faire des ennemis. Il a des responsabilités solennelles envers les malheureux et les démunis – le veuves, les orphelins, les prisonniers etc. Il sera la principale source d’hospitalité envers une horde de visiteurs et d’étrangers.

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour saisir les défis, surtout dans une Eglise beaucoup plus jeune, qui a pris ces responsabilités très au sérieux. Après tous ces siècles, nous ne pouvons pas facilement imaginer les complications que provoquait une promotion épiscopale.

Pour les éviter, quelles qu’elles soient, notre Jean s’est tout simplement caché. Il pensait que Basile était un bon choix, et du coup, l’a piégé. Mais il semble presque se vanter de sa propre fuite, au début du chemin qu’il a suivi par la suite profondément dans la prêtrise.

Plutôt que d’entrer immédiatement dans la vie publique dans laquelle il deviendrait un prédicateur renommé, il s’est retiré dans un ermitage en pleine nature. Infatigablement, il a mémorisé la Bible ; et en fait il a sacrifié sommeil et santé à cette cause urgente.

Il n’avait pas l’âme désinvolte, on s’en rend bien compte d’après les petits aperçus que nous avons de lui à travers ce qu’il cachait. Il avait été, en fait, élève de Libanius, orateur et juriste classique d’Antioche, qui regrettait que John ne lui succède pas parce que l’Eglise chrétienne s’était emparée de lui.

Mais ici, je me pose encore des questions sur la sainte fraude. Elle n’aurait pas été aussi saisissante si l’auteur ne l’avait pas reconnue ouvertement, et comme je l’ai dit, n’avait pas semblé presque s’en vanter. A ce moment précis, Saint Jean Chrysostome est devenu, pour moi, un visiteur d’une autre planète.

De la même manière, au travers de l’histoire de l’Eglise, les personnalités marquantes sont « pleines de surprises ». Il n’est pas nécessaire de donner d’autres exemples, car tous ceux qui lisent sur le sujet en trouveront des quantités qui les rendront perplexes.

Essayer de donner un sens aux « vies secrètes » de, disons, n’importe lequel des papes célèbres de la Renaissance, peut être un défi à la fidélité chrétienne. Cependant, il est tout aussi difficile de douter de la ferveur chrétienne d’hommes qui étaient franchement engagés.

La sincérité que nous en sommes venus à admirer, même au prix de la vérité, brille à travers le comportement d’hommes que nous n’aurions peut-être pas souhaité rencontrer. Et comme nous le savons par l’enseignement le plus élémentaire des chrétiens catholiques, finalement ce n’est pas notre rôle de juger du destin ni des mérites d’aucun d’entre eux.

A la fin, nous pouvons seulement apprendre en admirant, et trouver des vérités qui peuvent vraiment être cachées et recouvertes par le temps et l’éloignement.

Cependant il y a un trait continu dans la sainteté, qui nous aide à reconnaitre ce qui est sincère de ce qui est vraiment frauduleux. Ce n’est pas l’amour de l’Eglise en tant qu’institution, mais de Son Fondateur, qui brille de très loin.

C’est de cette façon que même les protestants et les prêtres orthodoxes se distinguent de leurs semblables maintenant comme autrefois. Et même parmi les non-chrétiens, nés dans des cultures qui font qu’il y a peu de chance qu’ils appartiennent un jour à l’Eglise, le Christ n’est pas accueilli avec mépris.

De mes propres expériences de jeunesse en Asie, j’ai été subtilement attiré vers le Christ par le regard admiratif que lui portaient tant de bouddhistes, d’hindous et de musulmans.