« À NOTRE IMAGE ET RESSEMBLANCE… » - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Revenons à François Jacob (a)1 et au néo-darwinisme : à mon idée, peu de discussions philosophiques sont actuellement aussi intéressantes et aussi clairement engagées. Je pense même que c’est l’une des deux grandes discussions philosophiques actuellement possibles (il sera question de l’autre une prochaine fois2). Pourquoi ce mot, « possible » ? Parce que la science en a complètement renouvelé les prémisses, qu’elle nous les sert sur un plateau, toutes fraîches, d’une limpidité cristalline. Nous en sommes sur ces problèmes où en était le jeune Kant lorsque, en 1755 (à trente et un ans !) il écrivait son Histoire naturelle universelle et théorie des cieux. Dans cet opuscule d’une éblouissante sagacité, le jeune Kant, raisonnant sur les seules connaissances scientifiques de l’époque, brossait un tableau de l’univers que les astronomes n’ont rattrapé que deux siècles plus tard, en le confirmant de A à Z. C’est seulement depuis la découverte toujours inexpliquée de l’expansion de l’univers, ou plutôt du rougissement des spectres à la distance (le red shift), que l’astrophysique dépasse le tableau de Kant3. Que prouve cette prouesse du raisonnement ? Que parfois, dans l’histoire des sciences, tous les éléments d’une synthèse très anticipatrice (deux siècles !) se trouvent rassemblés sous notre regard, tout prêts à prendre forme, et qu’il suffit de savoir regarder ce que l’on voit pour qu’une perspective nouvelle s’ouvre devant nous4. [|*|] Nous sommes à l’un de ces précieux moments de l’histoire. Tous les éléments d’une révolution philosophique sont là, sous nos yeux. La différence avec 1755, c’est l’universalisation de la science : la synthèse ne sera pas faite par un Kant. Elle est en train de s’opérer dans les milliers et milliers d’esprits de la « classe » scientifique. On en discerne déjà les contours. On en voit à peu près les éléments. Dans cette chronique, j’essaierai d’en faire sentir la nouveauté la plus intéressante peut-être : la théorie de l’information, qu’une équation rattache à la thermodynamique. Le sens de cette équation, due à Léon Brillouin, est que tout accroissement d’information se paie par une consommation énergétique5. Le Belge Ilya Prigogine, qui vient pour cela d’obtenir un prix Nobel, a montré que la thermodynamique n’était peut-être pas contradictoire avec l’apparition de ce qu’il appelle des « structures dissipatives », et même qu’elle prévoit l’apparition de telles structures. Abstraction que l’on peut traduire ainsi : l’univers étant ce qu’il est, et la thermodynamique obéissant aux lois qui sont les siennes, on doit prévoir l’apparition locale de structures de plus en plus complexes, qui dissipent de l’énergie. Ou encore : au cours de l’irréversible dégradation énergétique qui accompagne tout événement se produisant dans l’univers, le calcul permet de prévoir que, localement, apparaîtront des structures qui dissipent de l’énergie et en même temps en accumulent pour devenir plus complexes. On pense naturellement à l’apparition de la vie. Et c’est bien ce à quoi pense aussi Prigogine. Il montre indirectement que, les lois de la thermodynamique étant ce qu’elles sont, des structures mathématiquement équivalentes à celles de la vie sont prévisibles et même inévitables6. Il faudrait, pour aller au fond, expliquer ici l’idée de structure. Elle n’a ici aucun rapport avec le « structuralisme », qui n’est pas une science, mais un procédé littéraire, ou à la rigueur idéologique. Disons qu’une structure est une accumulation d’information. Exemple : une bûche de bois ; il n’y a aucune différence ni en substance ni en énergie entre cette bûche et ce qu’il en reste après sa combustion et sa résolution en cendres, si la combustion se fait dans une enceinte close, complètement imperméable à la chaleur. Il y a dans l’enceinte, avant et après la combustion, exactement la même quantité de carbone, d’azote, d’hydrogène, etc., et d’énergie. Mais avant la combustion, la température intérieure de l’enceinte était plus basse qu’après la combustion, et la structure de la bûche intacte. Que s’est-il passé ? Simplement que l’énergie potentielle contenue dans la structure du bois s’est transformée en chaleur : on touche presque là du doigt l’équivalence (mesurée par les physiciens) entre structure et chaleur. Or, la structure se mesure en quantité d’information (l’unité d’information est le bit, abréviation de l’anglais Binary digit, « nombre binaire »). Cependant, même si une équation nous permet de transformer des bits en degrés de température, et donc d’affirmer entre eux une égalité, une équation, il crève les yeux qu’une bûche froide et un tas de cendres chaudes, c’est bien différent ! Il y a toute la différence entre le vivant et son cadavre ! Comment allons-nous exprimer scientifiquement notre constatation que le vivant n’est pas équivalent à son cadavre, même si, en bits et en degrés centigrades, il y a équivalence ? En énonçant ceci : que la vie accumule de l’information en consommant de la chaleur. Si l’on pouvait libérer d’un coup toute la chaleur qui s’est transformée en bits au cours de l’évolution pour aboutir à la structure la plus complexe de l’univers, à savoir le cerveau, cela ferait une jolie bombe H, et beaucoup plus (entre parenthèses, n’y a-t-il pas là le secret de certains « prodiges » attribués à des hommes comme Uri Geller ? À supposer, bien sûr, que ces « prodiges » existent7). [|*|] Bornons-nous aujourd’hui à ces idées nouvelles si intéressantes d’information et de structure (en relation avec l’énergie, ou la thermodynamique, ce qui revient au même) ; Écrire, comme le fait en substance Jacob, que « l’Évolution se sert de bouts de ficelles pour faire quelque chose qui tienne », c’est user du langage analogique et magique que la science a pour fonction d’éliminer. Le savant ne peut, à propos de l’évolution, que constater les faits et chercher s’il existe une façon de poser scientifiquement les questions que ces faits soulèvent. Ces faits, en réalité le fait unique, quoique infiniment varié, de l’évolution, c’est l’accroissement continu et accéléré de l’information au cours de l’histoire géologique, accroissement culminant dans la structure la plus complexe (et la plus dangereusement dissipative) du cerveau humain8. Il est bien vrai (comme l’écrit Jacob) que l’évolution ne travaille pas comme l’ingénieur. Il n’est pas moins vrai qu’elle fait ce que fait l’ingénieur, c’est-à-dire qu’elle fabrique de l’information et la fixe dans des structures. On désigne par les mots vagues mais subjectivement très clairs d’intelligence, pensée, esprit, cette capacité d’accumuler l’information. Oui ? Alors que signifie l’évolution ? Non ? Alors que diable fait l’ingénieur, et que fait Jacob lui-même? L’idée est d’ailleurs plaisante que le moteur de l’évolution dût travailler comme l’ingénieur. Quel ingénieur ? M. Eiffel ? Les auteurs du projet Viking ? L’ingénieur de l’an 10 000 ? ou 100 000 ? Il faut en prendre, hélas, son parti : le moteur de l’évolution ne travaille pas sous la surveillance d’une commission de l’Académie des Sciences. Mais, dit Jacob, il travaille au hasard. On n’en sait rien, c’est là pour l’instant au moins un acte de foi métaphysique, mais pourquoi pas ? Admettons-le, comme je l’ai dit dans un précédent article9. Reste que ce moteur ne cesse, à travers les milliards d’années, d’accumuler de l’information sous forme de structures, et que c’est là l’activité sui generis de ce que nous appelons intelligence. D’où vient cette information illimitée, postulant une intelligence illimitée ? Je ne dis pas que la théorie de l’information prouve l’existence de Dieu ! Non ! Mais qu’elle nous montre à l’œuvre dans l’univers, multipliée apparemment au-delà de toute borne, une activité qui est aussi le propre de notre pensée, et que nous sommes, très exactement, « créés à son image »10. Aimé MICHEL (a) France Catholique Ecclesia, 7 octobre 1977. Chronique n° 295 parue dans F.C. – N° 1614 – 18 novembre 1977 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 11 janvier 2016

 

  1. La chronique citée en note (a) est la n° 291, Objections à François Jacob – L’évolution embrasse toute l’histoire de l’univers mais on en ignore le moteur, mise en ligne la semaine dernière. Aimé Michel y critique la thèse du « bricolage de l’évolution » de l’éminent biologiste moléculaire François Jacob. Ce qu’il critique ce n’est pas quelque mécanisme génétique particulier en œuvre dans l’évolution des espèces ou quelque fait évolutif défendus par Jacob. Ce qu’il conteste c’est la thèse qu’on puisse d’ores et déjà affirmer avec certitude « au nom de la science » que l’univers en général et la vie en particulier évoluent « au hasard », sans aucun projet. Car tel est le fond de la pensée de François Jacob, en accord avec son athéisme, pensée qu’il affirme explicitement par le titre « L’évolution sans projet » de son entretien avec Émile Noël dans le recueil Le darwinisme aujourd’hui (voir la note 7 de la chronique de la semaine dernière). Aimé Michel rétorque que l’histoire d’ensemble de l’univers avec la formation progressive des éléments, puis leurs associations en édifices moléculaires de taille et de complexité croissante, leur organisation dynamique en organismes eux-mêmes de taille et de complexité croissante manifestent clairement le caractère orienté de l’évolution cosmique. Bien évidemment le mécanisme néo-darwinien (par mutation aléatoire puis sélection) ne peut pas rendre compte de l’évolution cosmique non-biologique, force est donc de trouver autre chose…
  2. Il s’agit de la question de « la pluralité des mondes habités » qu’il traite dans la chronique suivante n° 296, L’espace silencieux. Nous la mettrons en ligne prochainement. Pour l’heure, renvoyons par exemple à la chronique n° 103, Avant l’homme et au-delà – Un univers infiniment peuplé de créatures intelligentes (13.02.2012), où il affirme fortement la thèse que la vie, l’intelligence et la conscience ne sont pas limitées à la Terre mais sont répandues à profusion dans l’univers.
  3. Kant (1724-1804), réfléchissant sur les lois de Newton et la portée universelle de la force de gravitation, en avait déduit que les étoiles devaient elles aussi tourner autour d’un centre comme les planètes autour du soleil. Cette analogie entre des systèmes de taille très différente l’avait conduit à privilégier une organisation d’ensemble des étoiles en un disque aplati. Il écrit : « On peut se représenter le système des étoiles comme un système planétaire énormément agrandi (…). L’aspect du ciel étoilé (…) reproduit en grand ce qu’est notre système planétaire (…). La Voie Lactée est, pour ainsi dire, le zodiaque de ces étoiles nouvelles ». Il interprète les nébuleuses, ainsi appelées en raison de leur aspect nébuleux qui s’oppose à celui, ponctuel, des étoiles, comme des systèmes d’étoiles semblables à la Voie Lactée et extérieurs à elle. L’idée sera progressivement confirmée à partir du XIXe siècle, mais il faudra attendre la mise en service des grands télescopes à partir des années 1920 pour accéder à l’univers des galaxies. On peut lire cette œuvre de jeunesse de Kant sur Internet (https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_naturelle_g%C3%A9n%C3%A9rale_et_th%C3%A9orie_du_ciel). Le décalage vers le rouge de la lumière émise par les galaxies lointaines fait l’objet de la chronique n° 319, Un petit caillou sur la berge : qui peut scruter au télescope le mystère divin ? – Une pensée scientifique libérée du concordisme, du dogmatisme et de l’athéisme (16.02.2015).
  4. Le grand psychologue Wolfgang Köhler écrivait en 1940 : « Les moments les plus heureux de l’histoire des connaissances surviennent lorsque des faits qui n’avaient été jusqu’alors, que des données particulières sont soudain mis en rapport avec d’autres faits apparemment éloignés et apparaissent ainsi dans une nouvelle lumière. » (Köhler W. : Dynamics in Psychology, Liveright édit., New York, 1940). Michel donne cette citation dans la préface de son petit livre Pour les soucoupes volantes (Berger-Levrault, 1969) pour mettre en valeur les quatorze faits, disparates en apparence, qu’ils y rassemblent et qui, lorsqu’on les prend ensemble, apparaissent « dans une nouvelle lumière » parce qu’ils suggèrent que l’existence dans l’univers d’êtres de niveau humain ou supérieur est banale.
  5. Sur le physicien Léon Brillouin, voir les chroniques n° 112, Entre « le hasard et la nécessité » décombres à vendre ? – La physique suffit-elle à tout expliquer ? (30.04.2012). Le théorème de Brillouin, qui établit l’équivalence entre l’entropie d’un système (la mesure de son désordre) et l’information qu’il contient (la mesure de son improbabilité), est résumé dans la note 2 de la chronique n° 283, L’arroseur arrosé – De Brillouin à Wheeler : l’Esprit qui voit et sait dans la physique contemporaine (8.7.2013).
  6. Ilya Prigogine (1917-2003), prix Nobel de chimie en 1977, s’est montré très critique à l’égard de Jacques Monod et de la science classique dans son livre écrit avec la philosophe Isabelle Stengers, La Nouvelle Alliance (Gallimard, Paris, 1979). Selon eux, si l’homme était un étranger dans le monde décrit par la science classique, ce n’est plus le cas dans le monde décrit par la science moderne, celle des quanta et de la complexité. Les travaux de Prigogine sont brièvement présentés dans la chronique n° 200, Les temps sont durs pour un matérialiste – Pourquoi les lois de la physique donnent-elles un univers orienté vers la vie et la pensée ? (19.03.2012). Ils sont centrés non sur l’information mais sur l’auto-organisation d’un système matériel lorsque celui-ci est traversé par un flux d’énergie et ainsi déplacé loin de son état d’équilibre. Essayons d’en dégager la signification en comparant les points de vue de Monod et Jacob d’un côté et de Prigogine et Stengers de l’autre (voir aussi l’article « Structure dissipative » d’Isabelle Stengers dans l’Encyclopædia Universalis). La thermodynamique, science de l’évolution des systèmes physico-chimiques, établit au XIXe siècle qu’un système isolé évolue nécessairement vers un état d’équilibre où son désordre est maximal. Or ce résultat est en fort contraste avec la croissance de l’ordre observée dans les systèmes vivants, ce qui rend l’ordre biologique fort improbable. Pour rendre la biologie compatible avec la physique Monod et Jacob sont ainsi conduits à renoncer à toute théorie de l’organisation en tant que telle et à la remplacer par un recours au hasard. Le seul ordre reconnu par la thermodynamique de l’équilibre est l’ordre cristallin. Cet ordre cristallin Monod le trouve dans les macromolécules, à savoir l’ADN, où se sont accumulées au cours de millions d’années les mutations retenues par la sélection naturelle, et les protéines dont l’organisation tridimensionnelle détermine les propriétés fonctionnelles. L’information stockée dans l’ADN et l’activité des protéines qu’elle contrôle assurent l’ordre improbable du vivant et retardent pour un temps l’inéluctable retour à l’équilibre de la mort. Tout autre est la solution proposée par Prigogine et Stengers. Pour eux l’ordre biologique n’est pas d’origine moléculaire (ADN et protéines) mais supramoléculaire. Toutes les molécules d’un être vivant se trouvent impliquées dans des flux d’ensemble et des réseaux de réactions. Tant que ces flux sont maintenus la structure peut se maintenir, comme se maintient la flamme tant qu’elle est alimentée en gaz et en oxygène. De même l’être vivant ne peut se maintenir que s’il est alimenté en oxygène, sucre et nutriments variés et excrète dioxyde de carbone, eau et autres déchets. Dans ces exemples, la flamme et la cellule vivante, et bien d’autres – les cellules de convection dans un liquide chauffé par en-dessous, les réactions d’autocatalyse, etc. – apparaissent des organisations spatiales (ou temporelles) à grande échelle, c’est-à-dire impliquant un très grand nombre de molécules. Prigogine parle de structures dissipatives parce que ces organisations collectives ne se maintiennent qu’au prix d’une dissipation d’énergie et de matière. L’ordre n’est plus cristallin mais dynamique. De ce nouveau point de vue l’ordre ne s’oppose plus au désordre mais s’en nourrit. Le hasard n’est plus un choix entre une presque infinité de possibilités triées par la sélection comme l’envisagent Monod, Jacob, Gould et d’autres, mais se réduit à un choix entre un nombre restreint de possibilités imposées par les conditions de stabilité du système. Le hasard y est canalisé par des lois physiques. L’apparition de la vie n’est certes pas expliquée mais elle cesse d’apparaître comme un miracle. Bien entendu il n’y a pas lieu de trop opposer la biologie moléculaire de Monod et Jacob et la physico-chimie de Prigogine. De leur mariage (sans négliger l’intégration d’autres éléments, voir plus bas) devrait naître une nouvelle compréhension des êtres vivants, de leur ontogenèse et de leur phylogenèse.
  7. Le cas Uri Geller est résumé dans la chronique n° 179, Aux USA : renaissance du grec et du latin, 19.09.2011. La polémique autour des pouvoirs allégués du fameux « tordeur de cuillers » est demeurée confuse, peut-être moins à cause des difficultés de leur vérification expérimentale qu’en raison de la ferme croyance que de tels pouvoirs sont tout bonnement impossibles. Il n’y aurait donc pas lieu de perdre son temps à les vérifier et si quelques scientifiques prétendent y être parvenu c’est qu’ils se sont fait berner. Les passions soulevées par ces discussions sont aussi vives sinon plus que celles sur les causes de l’évolution. Elles suggèrent que la possibilité de trous importants dans nos connaissances suscitent chez certains esprits bien plus de rejet que de curiosité.
  8. On est ici, je crois, au cœur de l’argumentation d’Aimé Michel, là où la différence de perspective entre François Jacob et lui apparaît le plus clairement. En effet, Jacob ne parle que de l’évolution biologique alors que pour Michel celle-ci ne représente qu’un aspect de l’évolution universelle (qui comprend également celle des particules élémentaires, des atomes, des molécules, des corps célestes…, voir note 1). Quand on considère le tableau d’ensemble de l’univers depuis le Big Bang jusqu’à nous, l’idée d’une évolution dépourvue de sens (c’est-à-dire de direction et aussi, éventuellement, de signification) est plus difficile à défendre. C’est la raison pour laquelle Michel écrivait dans la chronique de la semaine dernière que ses « objections se situent logiquement avant les idées de François Jacob, [qu’]elles les précèdent ». Elles sont avant comme la physique et la chimie précèdent et servent d’assise à la biologie. L’argumentation n’est qu’ébauchée ici mais elle est développée dans la chronique n° 157, L’apologue d’Alfred Kastler – D’où vient l’information qui se manifeste dans la complexité des êtres vivants ? (03.06.2013). En voici deux extraits qui la résume : 1/ « Accordons tout à ceux qui, comme Jacques Monod, expliquent les choses par le seul hasard. Accordons-leur que, les lois de la physique étant ce qu’elles sont, le hasard suffit à rendre compte de l’être vivant le plus complexe, du cerveau humain par exemple, de sa pensée. » 2/ « Cette information existe, elle est un fait que manipulent les physiciens et les ingénieurs. Et dès lors, de deux choses l’une : ou bien elle apparaît de rien, ce qui est un de ces miracles dont la science a horreur, ou bien elle existe déjà en puissance dans les lois les plus primitives de l’univers matériel. Mais pourquoi diable y serait-elle ? Ceci est un autre miracle encore plus merveilleux que le premier. Pourquoi l’univers physique serait-il structuré de telle façon que, livré à la seule loi du hasard, il en arrive à enfanter la vie et l’homme ? » Pour éviter ces « miracles » certains imaginent qu’il existe une infinité d’univers si bien que le hasard pourrait suffire à rendre compte des improbables particularités du nôtre. Cette solution est un peu paresseuse et un cul-de-sac jusqu’à nouvel ordre puisqu’on ne sait pas encore si d’autres univers existent (pour d’autres réflexions sur ce thème voir la note 5 de la chronique n° 58, Notre chair dans les étoiles, 12.12.2010, et la note 2 de la chronique n° 53, À dix minutes de l’an 4000, 24.01.2011). Dans ces conditions on est fondé à rechercher une explication plus aisément vérifiable des propriétés de l’univers du côté de la physique fondamentale, que ce soit selon les vues de Prigogine ou d’autres, par exemple issues de la physique de l’information. Une telle explication serait d’un plus haut degré de généralité que l’explication néo-darwinienne ; elle pourrait lui servir de cadre et s’appliquer aux deux aspects de l’évolution, à la fois non-biologique et biologique. De telles idées courent chez de nombreux physiciens, voir par exemple la note 6 de la chronique n° 157 et le livre Information and the Nature of Reality. From Physics to Metaphysics, sous la direction de P. Davies et N. H. Gregersen (Cambridge University Press, 2010). En formulant le différend de cette façon on comprend la difficulté de sa résolution : c’est que physique et biologie sont des disciplines différentes et qu’il est bien difficile, si on est spécialiste de l’une, d’être aussi spécialiste de l’autre. On comprend donc qu’un biologiste puisse hésiter à parler de découvertes extérieures à sa discipline comme l’évolution cosmique. Malgré tout, à un premier niveau, l’application de la physico-chimie à la biologie a été largement mise en œuvre comme le montrent, entre autres, les succès de la biologie moléculaire dont Jacques Monod et François Jacob ont été parmi les pères fondateurs. Mais, à un autre niveau, celui faisant intervenir la « nouvelle physique », notamment celle des quanta et de l’information, on est encore loin du compte. C’est cette physique là et ses étrangetés que Michel a aussi à l’esprit et c’est à elle qu’il fait allusion dans ses notes (f) et (i) de la chronique de la semaine dernière.
  9. Aimé Michel a admis le rôle du hasard dans l’évolution biologique dans la première citation de la note précédente. Cette admission est très importante car elle évite de se tromper sur la cible véritable de ses critiques qui, répétons-le, n’est pas le rôle du hasard dans les phénomènes naturels (y compris l’évolution) mais d’une part la survalorisation des théories actuelles de l’évolution biologique et d’autre part la promotion sous couvert de science d’une croyance métaphysique au hasard absolu.
  10. Cette réflexion se poursuivra dans un article paru cinq ans plus tard, la chronique n° 354, L’homme n’est pas le produit d’un bricolage, que nous mettrons en ligne ultérieurement.