« Le Mur » termine son vol plané dans l’âtre. La couverture du livre se tort un instant dans la flamme où elle disparait avec le nom de l’auteur, Jean-Paul Sartre 1 … c’était avant que les écologistes interdisent les feux dans les cheminées, avant que les baccalauréats, il y en avait deux, soient délivrés à tout va, avant, enfin, que les adolescents parlent verlan… bref, c’était avant ! J’exprime prudemment, à mon père, auteur de cet autodafé expéditif, ce qu’un garçon de 15 ans peut dire dans ces cas-là, que la lecture en a été demandée par le prof, que si je loupe mon premier bac, ce ne sera pas de ma faute, et autres remarques qui le laissent de marbre. Bon, j’ai quand même eu mon bac (en un temps, où je le signale au passage pour l’édification des jeunes générations, ça n’était pas donné… mais bon)
“Si quelqu’un devait faire chuter l’un de ces petits qui croient, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une meule de moulin et qu’on le jette dans la mer… » .
A qui attacher la meule ? A Jean-Paul Sartre ? Qu’il repose ! (En paix ?).… à l’éditeur dudit ouvrage ? S’il ne l’avait publié, un autre l’aurait fait… A mon professeur de français de première à Janson de Sailly ? Il aurait répondu programmes… J’entends d’ici les bonnes âmes stigmatiser un père rigide, qui aurait mieux fait d’entamer un dialogue (qui ne saurait être autrement que « constructif »)… Eh bien, moi, soixante ans plus tard, je pense que j’ai eu bien de la chance d’avoir eu un père qui, ayant jeté un coup d’œil sur « Enfance d’un chef » que j’étais en train de lire, n’a tout simplement pas supporté qu’on donne des serpents à son fils qui demandait du pain. Belle leçon de paternité à défaut de littérature car les fils ont besoin de pères indignés pour s’affirmer. Sartre est mort après avoir beaucoup manifesté, fait bien du mal, s’être généralement trompé et son purgatoire aura été que son œuvre se fissure en même temps que le mur de Berlin. Reste un nom sur une tombe de la 20e division du cimetière du Montparnasse à Paris — juste à droite de l’entrée principale boulevard Edgar-Quinet. Précision utile pour ceux qui, voudrait venir y prier, et non pas y uriner comme il se vanta élégamment de l’avoir fait sur la dalle qui, contre coups de vents de noroit et marées d’équinoxe, défend sur le grand Bé, les restes de Chateaubriand. L’ennui, c’est que les lycéens d’aujourd’hui à qui on infligerait la lecture du Mur, n’en seraient plus perturbés, tellement ils en ont vu pire, au point que les pères ne sachant plus trop à quel saint se vouer, se taisent quand ils n’en viennent carrément à déraper comme cela s’est vu !
Je connais un autre mur :
Peu importe l’anonymat de son auteur qui repose sous une dalle commune face à la mer: son grand œuvre demeure solide depuis plus de deux cent ans au long du chemin qui mène au cap. Les joints de sable et de chaux se sont effrités sous l’assaut des lierres, mais le mur n’a pas bougé tant les quelque trois cent mètres de grès rose ont été soigneusement assemblés.. Il en a fallu de la patience, de l’intelligence, du savoir faire, pour monter cet humble et superbe chef d’œuvre ! Les charrois venus de la carrière proche, déversaient pèle mêle ce qui, pour Pierre-Marie ou Jean-Baptiste, mousses recyclés en apprentis maçons entre deux campagnes à Terre Neuve, paraissait un tas informe. Le patron, lui, repérait les pièces essentielles qui charpenteraient l’ouvrage, soupesait la pierre, la mettait en place, l’ajustait d’un coup de marteau précis, désignait du menton à ses jeunes compagnons les moellons qui caleraient le tout. Tous, boscos cap horniers, maitres maçon, recteurs en chaire, transmettaient sans paroles superflues leur savoir sur ce qui étalerait à la lame, tiendrait sous les gelées, résisterait aux assauts du Malin. La paternité était partagée, Pierre-Marie et Jean-Baptiste filaient droit. C’était avant la téléréalité.
Aujourd’hui encore, dans certains villages catholiques du Vietnam, les enfants peuvent chanter de tout leur cœur : « J’ai de la chance……… J’ai trois pères et deux mères : à la maison, mon père qui travaille durement pour me nourrir, à l’église, monsieur le curé qui me prépare pour la vie éternelle, au Ciel, Dieu qui m’attend … A la maison, ma maman qui prépare le bol de phô et au Ciel, la Très Sainte Vierge… J’ai de la chance, j’ai trois pères et deux mères… ». Oui, ils ont de la chance, ces enfants qui poussent comme tiges de bambous, enracinés d’amour et de foi, portés par tout un village devenu parenté. Un père disparait, un oncle prend le relais : « L’oncle est comme un père ». Là-bas, on porte bien souvent Joseph comme prénom de baptême…. Joseph patron du Vietnam, mais aussi, origine des premières fêtes des pères au Moyen Age car celle que nous connaissons actuellement n’a été inventée que dans les années cinquante pour des raisons commerciales. Voici que, déjà la télévision gouvernementale entre dans les chaumières et les grands, partis chercher du travail à Hanoï ou Saigon, reviennent avec des comptes sur facebook.
Dés lors, pas étonnant que le diable qui rode comme un lion rugissant et a plus d’un tour dans son sac, s’en réjouisse. Pas étonnant qu’après avoir déboussolé les pères il s’en prenne aux substituts. Pas étonnant qu’il cherche – et parvienne trop souvent – à s’attaque aux paternités spirituelles. Pas étonnant qu’il s’acharne contre ceux qui s’efforcent d’accueillir les plus démunis, jeunes étrangers, réfugiés, idéologisés, privés de pères et de repères, petits qui ne demandaient qu’à croire. Pas étonnant qu’il les scandalise à coups de bons chrétiens autoproclamés. Pas étonnant que celui qui, dés les commencements, récusa délibérément les racines même de la paternité, ne veuille en priver les autres. C’est que le moteur de Satan, c’est l’orgueil et l’orgueil n’accepte pas que notre Dieu soit d’abord venu pour les plus pauvres, les plus malades, les plus sans papiers, les plus paumés, les plus déstructurés par des idéologies intrinsèquement perverses… les plus aimés !
Saint Grégoire le Grand dont Benoit XVI disait qu’il resta un simple moine contraire aux titres… et sut se faire le serviteur de tous en un temps de tribulations, a, pour diagnostiqué le mal, trouvé les mots – terribles : « C’est l’envie qui permet au serpent de cracher son venin le plus secret et de vomir la peste de sa méchanceté pour la faire partager »….
Maitres du soupçon, administrations irresponsables et parfois complices, régimes dévoyés au service d’idéologies de circonstances, pire encore, maitres de la loi hypocrites, se sont faufilés dans les brisures des sociétés mondialisées. Les pères ont été emportés dans le flot des réseaux sociaux, des médias. C’est une grâce car voici qu’est venu le temps de la Fête du Père… si nous ne voulons pas que ceux qui ont cru pouvoir prendre le volant à Sa place ne nous conduise droit… dans le mur.
Pour aller plus loin :
- Bernanos au Vatican
- Macron et le Pape avec Bernanos et Saint Martin
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies