Vogüé est le parangon du catholique engagé en politique. Artisan de la politique de Ralliement de l’Église à la République, opérée à partir des années 1890, ce collaborateur de la prestigieuse Revue des Deux Mondes est avant tout un témoin de son époque. Élu député de l’Ardèche de 1893 à 1898, il s’érige en observateur avisé des mœurs politiques de son temps publié en 1899.
Imprégné d’une éthique forte puisée dans sa foi, Vogüé développe un modèle d’élu idéal et critique la professionnalisation naissante de la politique. Idéaliste, le primo-député pense pouvoir peser sur les décisions législatives et se veut être un défenseur des « masses rurales » oubliées. Il ne trouve dans l’hémicycle qu’un conglomérat d’intérêts divergents, théâtralisé sous les ors de la République. L’Assemblée est décrite comme « une ruche » dans Les Morts qui parlent, scènes de la vie parlementaire. L’on y débat sur un projet de loi déposé depuis sept ans, voté une première fois sous la précédente législature, retenu ensuite à la chambre haute pendant quelques années, puis finalement abandonné : symbole d’un monde déconnecté des réalités, loin des idéaux de ce brillant intellectuel chrétien.
Par cette description du parlementarisme – volontairement provocatrice – Vogüé apparaît alors comme un défenseur de la Contre-Révolution dépeint par son ami, l’immortel Paul Bourget, royaliste et antidreyfusard, auteur de l’ouvrage polémique Le Disciple, comme un véritable traditionaliste. La proximité géographique des deux hommes, tous deux ardéchois, et l’éloge que fait Bourget dans la Revue des Deux Mondes, (1912, tome 7), contribue à façonner l’image d’Épinal antirépublicaine du diplomate. Pour Bourget, « Eugène-Melchior de Vogüé était bien un traditionaliste par le plus infime de son cire » – les pores de sa peau NDLR – , les origines de son « rare talent » étant le signe de « l’empreinte ineffaçable de la Race et du Sol ». Vogüé appartiendrait ainsi à un « mouvement du traditionalisme par positivisme » ayant une « influence régénératrice » réconciliant « les énergies prolétariennes » et « l’ordre national ». Cet éloge prononcé lors de l’entrée de l’écrivain à l’Académie, le classe parmi les infréquentables dont les œuvres sont sujettes à contestation.
Mais Bourget ne s’est pas entièrement trompé : « cet irrésistible besoin de servir » qu’Eugène-Melchior de Vogüé « ressentit plus que personne » est bien le fruit d’une foi profonde et ancrée. En revanche, son combat politique, loin d’être à l’extrême-droite, se situe dans la lignée du Ralliement des catholiques français à la République. Proche du pape Léon XIII, auteur des encycliques Inter sollicitudines et Rerum Novarum, il effectue plusieurs voyages à Rome, développant des liens étroits avec les hautes autorités ecclésiastiques notamment avec Mgr de Béhaine, ambassadeur de France au Saint-Siège ou bien encore avec le cardinal Rampolla, secrétaire d’État du pape. Il cherche activement à convaincre ses coreligionnaires de l’opportunité de ce choix, participant à la parution d’un message du Souverain pontife adressé aux ouvriers dans l’organe de presse très populaire Le Petit Journal. Le contexte est d’ailleurs compliqué pour lui comme pour les autres « Ralliés », la grande majorité des catholiques et du clergé refusant de s’y soumettre, à l’instar du député de la Sarthe, Sosthène de La Rochefoucauld.
Hostilité au nationalisme, voilà comment l’on peut définir la colonne idéologique de ce penseur. Eugène-Melchior de Vogüé la rappelle dans Au seuil du siècle. Cosmopolitisme et Nationalisme (1901). Bien éloigné du portrait que l’on donne de lui, il s’inscrit complètement dans le courant du catholicisme social de la fin du XIXe promouvant « l’esprit nouveau ». Ce ralliement des catholiques à la République se conforme aux vœux du cardinal Lavigerie, lors du Toast d’Alger le 12 novembre 1890, rappelant que « la forme du gouvernement n’a rien de contraire, aux principes qui peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées ». Par ailleurs, signe de son opposition à toute tentation de renfermement, un débat l’oppose pendant plusieurs années au critique Jules Lemaître, tenant d’un certain nationalisme protectionniste et percevant comme une menace « l’invasion » de livres russes.
Cet utopiste qui croit au principe de subsidiarité, c’est-à-dire à la hiérarchisation des pouvoirs au sein d’une société en fonction des compétences propres à chacun des éléments constitutifs de cette dernière, conçoit la politique comme un service, et non comme un métier. À cette vision, il prône une responsabilité de l’écrivain, qui a un rôle à jouer dans le débat politique. La littérature, selon Vogüé, exprime la société, elle peut donc l’améliorer.
Plus encore que d’être esthétique, l’œuvre doit avoir un intérêt moral, une volonté d’être utile particulièrement pour sa patrie « quelque belles qu’elles soient, des œuvres qui ne sont que belles ne serviront guère les intérêts de la race, dont le développement esthétique, qui la complète, est moins important que le développement moral ». Le salut de la France passait donc pour lui par une redécouverte des valeurs spirituelles, que la fille ainée de l’Église aurait perdue avec la laïcisation de la société.