Deux de mes amis, quand j’étais lycéen dans l’Ohio, étaient catholiques; l’un d’eux était le pilier de l’équipe de foot [foot-ball américain] du lycée, un athlète impressionnant, l’autre, une fille à qui j’ai fait un brin de cour avant qu’elle nous quitte pour une école de filles catholiques à une quinzaine de kilomètres de là. Je n’ai jamais fréquenté d’autres catholiques jusqu’à l’âge de vingt ans, où je devins catholique moi-même.
Encore ado lors du mariage de mon frère avec une juive, pour son premier Noël à la maison, j’ai pendu des guirlandes au plafond près de l’arbre de Noël. À chacune j’ai pendu une carte portant des mots concernant la fête, mots parfois sensés (je m’étais documenté à la bibliothèque municipale), parfois idiots. Une carte portait les mots: « Noël est l’anniversaire de la naissance du Fils de Dieu.» Mes grand-parents, presbytériens, étaient ravis. « Charmant », dit mon père, méthodiste, mais tu ferais mieux de retirer tes œuvres, et je retirai les guirlandes.
Près de huit ans plus tard, j’habitais à Hermosa Beach, en Californie, et je hantais une librairie à l’enseigne « Either/or » (Ou bien/ou bien). Parmi les livres je découvris dans la section « Religions orientales » nombre d’écrits de Thomas Merton. Un religieux ? Intrigué, j’achetai « The seven Storey Mountain » (titre en Français: La nuit privée d’étoiles), qui m’a projeté au sein de l’Église.
À la fois par mes lectures et le catéchisme reçu je devins conscient de ce qu’on ne citait jamais dans le milieu [en français dans le texte] protestant où j’avais été élevé. Pour preuve — comme sur la carte destinée à ma belle-sœur — l’expression « Fils de Dieu » était bien mise en exergue, mais je n’avais jamais entendu le mot « Incarnation ».
Bizarre d’une certaine façon, puisque les méthodistes sont attachés à la Trinité, et croient à la consubstantialité humaine et divine de Jésus. Pourtant, les catholiques ne le savent que trop bien, il y a souvent un gouffre entre la doctrine et la pratique. Ma pratique de protestant suivait bien l’idée: « Il est venu parmi nous », et — Marie étant exclue de cette Église — c’est le côté humain de Jésus qui dominait nos sensibilités, à un point tel que je n’avais jamais entendu quelqu’un déclarer « Jésus est le Fils de Dieu» et encore moins parler de « la Mère de Dieu ».
Dans ma tête, Dieu le Père était Zeus, Marie était Danaé, et Jésus, Persée. Confiant cette idée à mon père, professeur de Faculté, j’eus la réponse inattendue : « depuis quand t’intéresses-tu à la philosophie ? ». Il enseignait le marketing.
C’est alors que j’ai été frappé par mes premières lectures sur le catholicisme — ainsi qu’en allant assister à la Messe.
Quand un dogme était énoncé dans l’église de mon enfance, c’était selon le Symbole des Apôtres, à ceci près (si ma mémoire est bonne) que l’enfer était mis de côté, et, pour la venue prochaine, que Jésus viendra, pour les catholiques, « juger les vivants et les morts » et « juger les vifs et les morts » pour les méthodistes.
Il y avait une croix, toute nue. Il m’est alors apparu, plus tard, qu’il était question d’un christianisme dénaturé tel que décrit par H. Richard Niebuhr :
« Un Dieu sans courroux amena des hommes sans péché, sans jugement, dans le royaume par la grâce d’un Christ sans Croix.»
Alors, je me suis converti. Mais je ne suis devenu catholique pour de vrai qu’après ma profession de foi. Revenant pour des vacances à la maison dans l’Ohio, je suis allé en ville à pied sur la Grand’rue, j’ai dépassé l’église méthodiste, et, huit-cents mètres plus loin, je suis entré pour la première fois dans l’église catholique du quartier.
La Messe de Minuit commençait.
La chorale n’était guère meilleure que celle de l’église méthodiste, et les cantiques étaient les mêmes. Mais dans l’église sans ornements de mon enfance j’avais toujours éprouvé — debout avec les fidèles (il n’y avait pas foule) — un sentiment de solitude. Et maintenant à Saint-Michel, debout (plus un siège libre), parmi les archanges des fresques et les statues (dont une de Notre-Dame), je sentais comme un retour dans la foi d’une famille étrangère qui, pour certains vieux amis était toujours ce groupe d’intrus dangereux n’ayant aucune place en Amérique en raison de ses liens ailleurs: un culte, en raison même du « cultus ».
Venir pour Noël en catholique, témoin et adorateur du mystère de l’Incarnation, de Dieu fait homme, faisait venir les larmes aux yeux. Toutes les espérances enfouies dans mon cœur au cours de mes vingt-cinq premières années se réalisaient en mystères évidents. Père, Fils, Esprit Saint, Création, Incarnation. Oui, Dieu se faisait semblable à nous, les points sombres restant à l’horizon étaient le péché et la mort. Et là-dessus, soudain, tout ce qui était pire devenait meilleur. Tellement bon que, dans la joie de Sa venue apparaît l’extase de la résurrection. Mais ça, ce sera pour Pâques.
Maintenant c’est Noël qui approche.
Qui que tu sois, viens dehors ce soir,
Sors de cette pièce ou tu te sens en sécurité.
L’infini s’ouvre a tes yeux
Où que tu sois.
Avec tes yeux qui ont oublié comment voir
parce qu’ils ont vu des choses trop connues,
Soulève dans l’obscurité un énorme arbre noir
et place-le dans le ciel : grand, solitaire.
Et tu as fait le monde et tout ce que tu vois.
Il mûrit comme les mots que tu n’as pas encore dits,
Et quand, enfin, tu comprends sa vérité,
Alors, ferme les yeux et doucement
Rends-lui sa liberté.
[Entrée, de Rainer Maria Rilke — traduction en français transmise par Charlotte.]
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/coming-into-christmas.html
Tableau : Vierge à l’Enfant – Francisco de Zurbarán (1658).
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