Au début de cette semaine, le monde a appris que le pape François était mal à l’aise quand des laïcs voulaient baiser son anneau pontifical. Une vidéo montre le Saint Père retirant sa main de façon maladroite et abrupte de dessous la tête inclinée et les lèvres qui s’approchent, d’un laïc après l’autre. Il n’avait pas de tels scrupules quand il s’agissait de recevoir les signes d’obéissance des prêtres et religieux qu’il a rencontrés lors d’accueils similaires. Au cas où vous ne le sauriez pas, certaines personnes ont une opinion très arrêtée sur cette question.
Pas moi.
Le pape François n’est pas le premier prélat à ne pas souhaiter recevoir ce signe particulier de piété et de respect pour sa personne et sa charge. C’est tout à fait courant et pas seulement parmi les prélats que l’on pourrait décrire comme libéraux et progressistes.
Oui, le symbole de l’anneau reçu lors de son installation comme Pape est important. Il est vrai aussi que les honneurs sont conférés, pas seulement pour celui qui les reçoit, mais pour celui qui les confère. Voilà pourquoi le fait de refuser un honneur – une récompense, une médaille, un baiser sur l’anneau de sa charge – peut être pris comme une offense, sinon carrément une insulte.
Le symbolisme de l’anneau – et par conséquent l’importance symbolique de l’embrasser – est merveilleux et beau, et théologiquement profond, mais tout le monde ne le comprend pas toujours de cette façon. Beaucoup de gens trouvent cela démodé, et même scandaleux : comme un exemple des bergers dominant leurs troupeaux d’une manière contre laquelle le Christ nous a précisément prévenus.
Il n’y a pas de raison de supposer que tous ceux qui pensent cela le font pour de mauvaises raisons. Encore moins qu’en pensant cela ils sapent l’intégrité de la charge ou la piété du fidèle.
Comme pourraient le dire les scholastiques : Quoique l’on reçoive, on le reçoit à sa façon à soi. Nous ne parlons pas ici de goûts particuliers ou de préférences. Nous parlons de la manière dont les actes et les symboles transmettent du sens – à la fois le sens que l’on veut donner, et celui qui est reçu.
Dans une culture fracturée et étant donné les divisions et la turbulence qui règne dans l’Eglise catholique, différents symboles vont transmettre des significations différentes selon les personnes. Ceci est seulement exacerbé à une époque où les pratiques et les habitudes ecclésiales variées sont instantanément visibles du fait des medias en ligne aussi bien à ceux qui les comprennent qu’à ceux qui ne les comprennent pas – même à des croyants aussi bien qu’à des non-croyants.
Si le Saint Père pense qu’autoriser les laïcs à embrasser son anneau envoie un mauvais signal sur la relation entre un pasteur et son troupeau, c’est son opinion. S’il veut écourter cette pratique parce qu’il pense qu’elle a des relents de cléricalisme, c’est son droit. Mais il devrait le dire – ne serait-ce que pour éviter d’embarrasser les fidèles qui sont surpris de trouver la main du pape qui se recule au milieu du baiser, et dont la surprise et l’embarras sont alors transmis tout autour du globe.
Les papes ne portent plus non plus le triregnum. Mais il y a une autre leçon qui peut être tirée de cet épisode à propos de cléricalisme, une leçon qui concerne directement la façon dont l’Eglise trouve son chemin à travers la crise actuelle.
Le cléricalisme vient de diverses façons : des variétés « haute-église » et « basse-église si vous voulez. S’il est dangereux de perpétuer des habitudes accumulées qui ont perdu le lustre et la clarté qu’impliquait leur symbolisme, il y a aussi un danger à abandonner la richesse des habitudes et des traditions (avec un t minuscule) qui servent de reposoirs, et d’enseignements à la piété authentique.
Etant donné que l’Eglise examine de près quels moyens employer pour réparer les défaillances généralisées du clergé, et particulièrement de l’épiscopat, elle devra prendre soin de délimiter quelles sortes de changements sont acceptables théologiquement et sacramentellement, et lesquelles ne le sont pas.
Peut-être que la tâche la plus difficile sera de déterminer quels changements de style et de symbole seront prudents et sages et lesquels risquent, quelle que soit leur bonne intention, de mener à la folie. Il suffit de penser aux mésaventures survenues dans l’art et l’architecture au cours du siècle dernier, pour voir combien le fait de changer même des choses qui ne touchent pas directement des questions de doctrine fondamentale, peut avoir des conséquences étendues et dommageables.
Si des changements radicaux peuvent être déroutants, la dépendance envers des coutumes et des symboles qui ne portent plus le sens voulu, ou le sens qu’ils ont porté autrefois, n’est pas seulement inutile, mais néfaste. Connaitre la différence entre les deux n’est pas toujours aussi facile que nous aimons le croire. La tradition peut être un guide, bien sûr, mais beaucoup de traditions et de symboles sur lesquels nous nous appuyons maintenant ont été eux- mêmes des nouveautés autrefois.
C’est utile bien sûr que les fidèles instruits de la chose ecclésiastique. C’est utile que les fidèles apprennent à comprendre et à interpréter correctement le symbolisme de l’Eglise. C’est quelque chose que nous avons très mal fait ces dernières décades, et ce ne sont pas seulement les prêtres et les évêques qui sont à blâmer. La prudence requiert que nous reconnaissions la connexion entre l’essentiel et le « purement symbolique », que nous voyions comment les symboles – un mot, un bâtiment, un geste- peuvent donner forme à notre compréhension de l’essentiel. Mais la prudence exige aussi que nous fassions attention à ne pas confondre les symboles de l’essentiel avec les choses essentielles elles-mêmes. La prudence recommande aussi un degré de bonne volonté et de patience pour ceux (disons un pape accueillant des fidèles dans un sanctuaire italien) dont nous pourrions mal interpréter de loin les gestes symboliques.
Après tout, la façon dont nous réagissons à ce morceau-ci ou ce morceau-là de nouvelles ecclésiastiques porte son propre symbolisme. Nous ferions bien – pour nous, pour l’Eglise que nous aimons et pour le Dieu que nous servons – d’être conscients du sens que nous transmettons par nos propres actions.
28 Mars 2019
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/28/see-how-they-love-one-another/